Les 4 vertus des grands Bodhisattvas sortis de la terre

Le XVe chapitre du Sûtra du Lotus, titré “Surgis de terre”, décrit l’apparition d’innombrables bodhisattvas – comme sortis de la terre – qui vont faire le serment de propager la doctrine bouddhique dans la période connue sous le nom de “derniers jours du Dharma”. Il est dit, dans le Sûtra, que cette période, dont le début a été situé par les bouddhistes d’Extrême-Orient vers le Xe siècle de notre ère, verra s’effacer définitivement l’efficience des doctrines de Shakyamuni, devenues inadaptées aux conditions des sociétés et des mentalités. Ces bodhisattvas plus nombreux que les grains de sable de soixante mille Ganges, dit encore le Sûtra, ont à leur tête les quatre grands bodhisattvas suivants :
– Pratiques-Supérieures (skt Vishishtacharitra, jap. Jogyo)
– Pratiques-Sans-Limites (skt Anantacharitra, jap. Muhengyo)
– Pratiques-Pures (skt Vishuddhacharitra, jap. Jyogyo)
– Pratiques-Solidement-Établies (skt Supratishthitacharitra, jap. Anryugyo)

Le Sûtra du Lotus ne s’étend pas sur la personnalité de ces quatre êtres. Cependant, nous l’avons vu par ailleurs dans Dharmadico, les bodhisattvas n’ont pas d’existence avérée, de dimension historique, ils incarnent des qualités, ainsi que les pratiques pour acquérir celles-ci, ou encore, un idéal à atteindre, un exemple à suivre pour tous les pratiquants du bouddhisme. Ils n’apparaissent que dans les textes du Grand véhicule, parfois l’un d’eux n’est cité que dans un seul sûtra, tel Vimalakirti, dans le Sûtra de la Liberté inconcevable, d’autres, par exemple Manjushri, sont récurrents.
Si l’on ignore tout des quatre grands Bodhisattvas, leurs noms nous sont une indication sur leurs vertus respectives. Tao-hsien, de l’école Tiantai, en fait un commentaire que Nichiren reprend dans plusieurs lettres et dans ses cours oraux sur le Sûtra du Lotus transcrits par Nikko Shonin (Ongi Kuden). Voici ce qu’il dit à propos du chapitre XV :
«…En explicitant l’identité des quatre grands Bodhisattvas décrits ici, le volume IX du Supplément aux Mots et phrases du Sûtra du Lotus, à la suite de l’explication donnée dans le volume IX des Mots et phrases, déclare : “Les quatre chefs décrits dans le passage du Sûtra représentent ici les quatre vertus (voir plus loin). Pratiques-Supérieures représente la vertu du vrai soi. Pratiques-Sans-Limites représente la vertu de l’éternité. Pratiques-Pures représente la vertu de la pureté. Pratiques-Solidement-Établies représente la vertu du bonheur”…»
Toujours dans le Ongi Kuden, Nichiren détaille les 4 vertus ainsi :
«…Dépasser les deux types de mort [la naissance et la mort dans les six voies et la naissance et la mort dans les 4 voies saintes] est connu comme les pratiques supérieures. Aller au-delà des deux vues opposées selon lesquelles la vie cesse après une existence ou qu’elle est éternellement la même s’appelle les pratiques sans limites. Surmonter les cinq catégories d’illusions et enchevêtrements est un état désigné comme les pratiques pures. Et être aussi parfait en vertu que [le Bouddha qui a atteint l’illumination sous l’arbre de la bodhi] est un état appelé pratiques solidement établies.
Nichiren et ses disciples, qui chantent maintenant Nam myoho renge kyo, sont tous des adeptes de ces bodhisattvas qui ont émergé de la terre.
Encore une fois, on peut dire que le feu est ce qui brûle les choses [et par conséquent, il correspond aux pratiques supérieures]. L’eau est ce qui purifie les choses [et par conséquent, elle correspond aux pratiques pures]. Le vent est ce qui emporte la poussière et la crasse [et correspond donc aux pratiques sans limites]. La grande terre est ce qui nourrit les plantes et les arbres [et correspond aux pratiques fermement établies]. Ce sont les mérites respectifs des quatre bodhisattvas. Bien que les pratiques de ces quatre bodhisattvas diffèrent les unes des autres, toutes sont la pratique de Myoho renge kyo.»
Nous retrouvons ici les 4 vertus du Bouddha (jap. jo raku ga jo) qui sont donc l’éternité (qui ne connait pas de fin), la joie (de se libérer de l’emprise des souffrances), le vrai soi (de celui qui a trouvé ce qu’il est vraiment) et la pureté (la disparition des passions et des illusions. Elles concernent aussi bien le Bouddha de son vivant que le nirvana qui ne connait pas de fin, qui est calme et apaisement, qui n’a plus de notion individuelle de la personnalité, qui est pureté sans troubles.

Le bouddha vivant est doté de ces quatre vertus (jap. shitoku), que l’on peut décrire ainsi :

  • la permanence ou éternité (jo). La permanence embrasse les trois phases du passé, du présent et du futur et désigne la qualité de ce qui ne connaît pas de fin.
  • le bonheur (raku). Le bonheur est la joie qui découle de la libération de l’emprise de la souffrance et de la satisfaction de goûter le calme et l’apaisement du nirvana.
  • le véritable soi (ga). Le véritable soi est la qualité de celui qui a trouvé ce qu’il est vraiment et s’est donc départi de la notion purement individuelle de la personnalité.
  • la pureté (jo). La pureté représente le dégagement des troubles et souffrances dus aux passions.

Pour le nirvana, ces mêmes vertus peuvent s’interpréter de cette façon :
Celui-ci est atemporel (pérennité), il est sans attachement ni souffrance (bonheur), le moi y est libéré (véritable soi) et il se situe au-delà du bien et du mal parce que les trois sortes d’égarement y sont épuisés (pureté).
Enfin l’antithèse, l’opposé de ces quatre vertus est la quadruple erreur que commet l’homme ordinaire (jap. bompu) : il prend pour éternel ce qui est impermanent, pour du bonheur ce qui n’est que souffrance et attachement, pour des êtres spécifiques ce qui est dépourvu de nature propre et pour pur ce qui est impur.
Nous voyons donc que les quatre bodhisattvas incarnent chacun l’un des quatre aspects de la bouddhéité, ensemble ils réunissent tous les aspects d’un bouddha. Mais n’oublions pas que leurs noms comprend le terme “pratiques”, ce qui va au-delà de vertus acquises. Ces pratiques sont à la fois cause et effet.

Les cinq niyama

(skt pancavidham niyama)

Nous trouvons les plus anciennes références aux niyama dans les Yoga sûtra, recueils de textes sur lesquels s’appuie le rajah yoga. Cet ouvrage décrit une liste de cinq préceptes, les cinq niyama, qui prônent la retenue morale à travers des attitudes, des pratiques et des comportements vertueux (1). Dans ce contexte, il a le sens de retenue, réserve, limitation, discipline (2), etc.
Quand il apparaît, vers le Ve siècle, dans des commentaires de textes bouddhiques de Buddhaghosa et Buddhadatta (3), son sens a changé, il se rapproche du verbe sanskrit dont est dérivé niyama : niyam (4). S’il évoque toujours la contrainte, il ne s’agit plus de celle que l’on s’impose à soi-même, mais plutôt des contraintes que représentent, pour les êtres sensibles et non-sensibles, les lois universelles, les mécanismes naturels, les impondérables ou encore les relations de causes à effets. Si les niyama sont au nombre de cinq pour le bouddhisme comme le yoga, rien ne semble relier les premières aux secondes.

Commençons par en donner une brève description :
utu-niyama : « la contrainte des saisons » qui englobe les contraintes du climat ;
bija-niyama : « la contrainte des graines ou des germes », soit la transmission héréditaire ;
citta-niyama : « la contrainte de l’esprit », les lois du domaine intellectuel, l’ordre du processus de la pensée ;
kamma-niyama : « la contrainte du kamma (ou karma) », la causalité morale ou plus exactement le causalité de l’acte (pensée, paroles, action), qui nous maintient dans le cycle des naissances et des morts ;
dhamma-niyama : « la contrainte des dhammas (ou dharmas) », les événements liés à la qualité du Bouddha ou à ses capacités.

Ces définitions reposent sur le monde tel qu’il était perçu au début de notre ère en Asie (voir à ce sujet les dix états de vie). De nos jours, nous pourrions l’actualiser ainsi :
– La contrainte des saisons est engendrée par des phénomènes météorologiques, géologiques, et en dernier lieu à des contraintes dues aux lois de l’astrophysique : rotation de la terre sur-elle-même et autour du soleil, pesanteur, rayonnement solaire, mécanismes des fluides, etc. Il s’agit donc des contraintes des lois de la physique : gravitation, champs électromagnétiques, thermodynamique, théorie de la relativité, physique des particules, etc. Dans ces domaines qui traitent de la matière et l’énergie pures, de l’infiniment petit à l’immensément grand, tout phénomène repose sur la loi de causalité. Dans ce sens, l’effet est un changement d’état d’un système physique étudié, due à des causes et forces qui s’exercent sur ce système. Au sein de ce champ d’étude, il n’y a aucune place pour le hasard ou une intervention « extérieur ». C’est seulement une méconnaissance de certains mécanismes ou leur trop grande complexité qui représentent un obstacle à la compréhension humaine.
La contrainte des graines ou des germes, nous l’avons dit, est aussi celle la transmission héréditaire. Ainsi des chiens engendrent des chiens, et non un autre animal. Un noyau de mangue planté dans de bonnes conditions produira un manguier de la même espèce et de la même variété que le fruit dont il est issu (5). Nous pouvons pousser plus loin la contrainte : un enfant humain ne pourra pas devenir un être autre qu’humain en prenant de l’âge, de même qu’un plante en grandissant ne changera pas d’espèce. Comme il existe une cohérence externe dans le processus de la reproduction, il y a une cohérence interne à la vie de tous les êtres vivants (laissons de côté les mutations qui sont des cas à part et souvent se traduisent par des atteintes à l’intégrité de la personne comme dans les cas de cancer). Ainsi, selon ces contraintes, un être vivant garde une cohérence tout au long de sa vie, il ne change pas de génome ni de code génétique, mais en même temps, il vieillit. Privé d’apport énergétique extérieur, il meurt, ou pour certaines forme de vie telles les graines, bactéries ou virus, il peut entrer dans un état de latence totale sur des périodes de temps considérables en attendant qu’apparaissent des conditions favorables à sa réactivation.
La contrainte des graines peut donc être définie comme l’ensemble des domaines de la biologie et, de même que la contrainte des saisons, elle est régie par une stricte causalité.
La contrainte de l’esprit, les lois du domaine intellectuel, l’ordre du processus de la pensée. Notre esprit ne cesse jamais de penser. Il se peut qu’il émette des idées sans suite, qu’il saute « du coq à l’âne », mais la plupart du temps, qu’il soit isolé, participe à une conversation ou attentif au sein d’une collectivité, il fonctionne selon une logique, un mécanisme particulier : associations d’idées, appel à la mémoire, réflexion, etc. C’est ce qu’ont pu montrer en Occident les psychanalystes et les psychologues. Nous savons aussi que chacun d’entre nous a des capacités intellectuelles, une personnalité, un caractère et un tempérament propres. Les mécanismes de l’esprit s’exercent donc avec des variations d’une personne à l’autre, et ces variations nous prouvent qu’il subit des contraintes internes ou externes – ce qui nous limite parfois ou, au contraire, nous conduit trop loin. Enfin, les contraintes de l’esprit peuvent s’appliquer collectivement à une famille, un groupe de personnes, une nation pour donner naissance à des opinions, des mythes,des préjugés, ce que l’on peut définir par le domaines des relations sociologiques (6) qui reposent en grande partie sur le processus de la motivation et le binome action/réaction.
En ce qui concerne la contrainte de l’esprit, nous constatons que les relations causales sont aussi évidentes que les deux premières, bien qu’elles soient plus difficiles à mettre en équation, à reproduire scientifiquement. Mais l’esprit, ce n’est pas la matière…
La contrainte du karma, la causalité morale ou plus exactement le causalité de l’acte (pensée, parole, action), qui nous lie au cycle des naissances et des morts (voir l’article sur le karma). Nous ne développerons pas ce sujet qui a été sur ce blog dans l’article suivant ;
La contrainte du dharma, c’est-à-dire des événements qui sont liés à la qualité du bouddha ou à ses capacités. Les textes bouddhiques citent notamment le tremblement des dix mille systèmes du monde à la conception du Bouddha (ou des grands bodhisattvas), dans le sein de sa mère et ainsi qu’à sa naissance. Nous pouvons également évoquer les pouvoirs, en apparence « magiques », des bouddhas et bodhisattvas décrits dans de nombreux sûtras.
Les commentaires sur la contrainte du dharma restent assez vagues. Pourquoi ne pas trouver en elle une explication aux effets de la pratique du bouddhisme ? Pour l’hindouisme et certains courants bouddhiques, il est impossible de se débarrasser de son mauvais karma de manière active (7). Pour le pratiquant, il est nécessaire de patienter de nombreuses vies pour que celui-ci se résolve de lui-même, en évitant dans le même temps de commettre des actions négatives qui l’alourdiraient et repousseraient ainsi l’échéance de la Libération. D’autres écoles bouddhiques, notamment celles de Nichiren, pensent au contraire que la pratique peut agir au présent, voire dans l’instant, sur le karma. Son propre mécanisme de cause et effet a donc la capacité d’intervenir sur celui de la contrainte du karma et peut-être des trois précédents…

Bien que les textes ne fassent pas mention de gradation, de priorité entre les 5 niyama, nous pouvons penser que, dans certains cas, il existe des interrelations, des influences des uns sur les autres. Ainsi, la vie est apparue dans un univers purement matériel et, à en juger par l’évolution qu’a suivie notre planète depuis des milliards d’années, elle s’y est imposée jusqu’à se montrer capable d’influer en bien et en mal sur son environnement. Quant à l’esprit humain, il peut modifier profondément les mondes sensitif et non-sensitifs, nous en constatons les effets au quotidien. Enfin, à l’inverse, les phénomènes météorologiques, géologiques ou astrophysiques – la contrainte des saisons – ont la capacité de détruire toute vie sur Terre.

Buddhaghosa, puis Buddhadatta, ont tiré la théorie des cinq niyama de commentaires bouddhiques (abhidhamma) et d’un sûtra le Mahapada sutta. Pour autant, rien ne semble lier celle-ci directement, globalement ou intégralement aux paroles du Bouddha. Il pourrait s’agir d’une synthèse de principes tirées de ces paroles telle que Zhiyi et l’école Tientai ont pu en faire plus tard (voir les trois mille mondes), mais réalisée par des exégètes Indiens ou Cingalais, ou par les deux moines continentaux eux-mêmes (8). Parmi ce qui fait écho à la théorie des cinq niyamas, nous trouvons dans l’Anguttara nikaya des références au dhamma-nikaya. Dans le Sivaka sutta, le Bouddha évoque certaines causes comme les changements de saisons, les combinaisons d’humeur corporelle, les traitements sévères, qui nous rappellent les Six causes de maladie, avant d’affirmer :« …Tous les brahmanes et contemplatifs qui ont pour doctrine et opinion que tout ce que ressent un individu – agréable, désagréable, neutre – est entièrement causé par ce qui a été fait auparavant dépassent les limitent de ce qu’ils savent eux-mêmes, de ce qui est admis comme vrai par le monde. Je dis que ces brahmanes et contemplatifs ont tort. » Autrement dit, le seul mécanisme du karma ne peut explique tous les événements et les expériences vécus par chacun de nous. Ce qui sous-entend qu’il existe d’autres domaines, sinon de causalité, du moins de contraintes.

La théorie des cinq niyama ne semble ne pas avoir été retenue par les écoles du Mahayana en dehors de l’Inde. En revanche, elle a beaucoup intéressé, en occident, certains courants philosophiques orientalistes du siècle dernier, liés ou non à la Société de théosophie. Le concept d’un système causal universel pouvait séduire les esprits scientifiques. À l’instar d’autres physiciens, Einstein n’a-t-il pas cherché pendant quarante ans une « théorie unitaire des champs » ?
Nous pourrions nous demander dans quel but des exégètes du Bouddha ont cherché à ériger en système ce que celui-ci avait expliqué de façon parcellaire à ses disciples sur les différents types de relations de cause à effet, sans vouloir décrire une théorie globale. Peut-être ont-ils d’abord cherché à répondre à certaines critiques formulées à l’encontre de leur philosophie, comme la négation d’un démiurge créateur de l’univers et de ses lois ou encore se défendre d’une interprétation déterministe du karma. Quoiqu’il en soit, comme la plupart des théories bouddhiques, les 5 niyama sont un point de vue sur une réalité insaisissable par l’intelligence humaine, ils ne sont pas la vérité elle-même, mais ils nous guident vers elle. Ils signifient que la loi de causalité s’étend à tous les phénomènes de l’univers et que rien ne peut échapper à cette contrainte.

Notes :
1 – Dates de la compilation des Yoga sûtras entre -300 à 500 de notre ère. Les cinq niyama y sont décrits ainsi : Sauca: propreté et respect externe et interne, clarté de l’esprit, la parole et le corps. Santoṣa : accepter les autres et les événements tels qu’ils se présentent. Tapas : ardeur, autodiscipline et persévérance dans la pratique. Svadhyaya : étude de soi, réflexion sur soi, introspection des pensées, des discours et des actions de soi. Isvara-praṇidhana : accord avec la conscience suprême.
2 – Selon le dictionnaire du sanskrit en ligne : sanskrit.inria.fr/DICO.
3 – Buddhaghosa et Buddadatta ont vécu, le premier au nord de l’Inde et le second au sud, au Ve siècle de notre ère, à une époque ou les enseignements du Bouddha avaient été largement transmis dans tout le sous-continent indien, en Asie centrale et jusqu’en Europe. Cette dispersion, les innombrables langues et dialectes dans lesquels ils avaient été traduits ou conservés, parfois dans des versions très altérées, ont poussé les deux moines érudits à consulter les textes qui se trouvaient au monastère Mahavira de la capitale du Sri Lanka Anuradhapura. Il est à noter que ce monastère était alors l’un des plus importants centres bouddhiques. Selon le moine explorateur chinois Faxian qui y a séjourné lui aussi vers le Ve siècle, il abritait plus de 3 000 moines. C’est là que se trouverait encore aujourd’hui l’un des plus vieux arbres du monde, planté au IIIe siècle avant notre ère, un ficus religiosa ou arbre de la Bodhi, issu d’un fruit de l’arbre sous lequel Shakyamuni a atteint l’illumination à Bodh Gaya. Ce fruit aurait été offert au souverain de l’île par le roi Ashoka qui serait également à l’origine de la conversion de celui-ci au bouddhisme.
4 – Retenir, réprimer, restreindre, régir, régler, fixer, discipliner.
op.cit.
5 – L’exemple du noyau de mangue est pris à plusieurs reprises dans Les questions de Milinda.
6 – Nous ne nous attarderons pas sur les neurosciences qui cherchent à comprendre (ou à conditionner socialement) la pensée et le comportement humains à travers des expériences du domaine de la physique ou de la biologie. Comme nous ne nous attarderions pas sur des théories qui chercheraient à expliquer des phénomènes physiques par des expériences psychologiques. 
7 – Par exemple, dans Les questions de Milinda, Nagasena affirme qu’il est impossible d’effacer le karma crée dans cette vie.
8 – Nous retrouvons en partie les contraintes que représentent les cinq niyama dans les six causes de maladie. La première est causée par le désordre des quatre éléments, donc physique, la seconde, consommation immodérée de nourriture ou de boissons, est du domaine de la biologie, la troisième s’accorde avec la contrainte de l’esprit, enfin la dernière fait référence au karma (voir article sur ce blog). 

Les six causes de maladie

La philosophie bouddhique présente la maladie comme l’une des quatre souffrances fondamentales – naissance, maladie, vieillesse et mort – inhérentes à l’existence de tous les êtres, inhérentes à la vie elle-même. Dès son premier sermon, le Bouddha expose ces vérités et propose comme voie vers un bonheur indestructible la cessation de la souffrance à travers l’enseignement des quatre nobles vérités (1). Sa doctrine, ou sa méthode, s’applique donc à notre vie dans ce monde, et pas dans un hypothétique au-delà. Elle a pour corollaire que, malgré les apparences, les racines de notre malheur résident en nous-mêmes, elles ne proviennent pas de quelque chose ni quelqu’un d’autre.
Il existe un rapport de causalité entre les quatre souffrances. La naissance, en nous amenant à la vie, nous contraint à subir les trois autres souffrances ; sous ses multiples formes, la maladie participe à notre vieillesse et notre mort ; enfin, la vieillesse nous mène à la mort. Nous pourrions ajouter que la mort amène à la prochaine naissance.
La maladie sous toutes ses formes représente le vecteur principal de la souffrance, il est logique de la trouver au centre des préoccupations du bouddhisme. De nombreux sûtras (2) mettent en valeur le rôle du médecin. Ils présentent celui-ci sous l’apparence d’un bodhisattva ou d’une personne ordinaire, d’un être historique ou d’un personnage mythique (3). Le Bouddha lui-même est présenté fréquemment par la tradition comme un médecin et nombreux sont les maîtres bouddhistes, tels Nagarjuna, Zhiyi ou Nichiren qui traitent de la maladie (4).

yakushi
Yakushi nyorai, en sanskrit Bahaishajyaguru, maître guérisseur ou Bouddha de la médecine. Ce bodhisattva, qui apparaît dans le Sûtra du Bouddha médecine, a fait douze vœux dont celui de guérir les malades qui entendront son nom. Ici une statue japonaise de la période Heian (XIIe siècle) exposée au Metropolitan Museum de New York. CC-BY-SA-3.0 Photo Sailko.

À l’époque médiévale, en Chine et au Japon, médecine et religions (confucianisme, taoïsme et bouddhisme) sont intimement liées. La première s’inspire depuis des siècles de points de vues répandus par les secondes – en particulier le bouddhisme – harmonie du corps et de l’esprit, interrelation entre l’être et son environnement, énergie vitale, tempérance de la voie du milieu, l’idée qu’il n’existe pas d’effet sans cause, etc. Au Japon, ce sont les moines qui importent les pratiques médicales continentales, les transmettent et les diffusent (5). Ils sont nombreux jusqu’au XVIIe siècle, à mener conjointement des activités spirituelles et médicales, associant dans leurs traitements l’acupuncture, l’herboristerie aussi bien que les cérémonies purificatrices et les pratiques religieuses, par exemple la récitation du Sûtra du Maître de la médecine (Yakushikyo) ou du Sûtra de Kannon (Kannon gyo) traditionnellement dédiée à la guérison.
Les moines japonais n’étaient pas les seuls à faire de la médecine une activité secondaire. Parmi les disciples destinataires des lettres de Nichiren, nous trouvons un samouraï qui semble avoir eu de sérieuses notions médicales, Shinjo Kingo. Nichiren lui écrit dans Le général Tigre-de-Pierre – EdN 128 : « Ma maladie s’est également aggravée, mais vous m’avez donné divers médicaments et un vêtement matelassé. Grâce à vos remèdes, mon état s’est régulièrement amélioré ; j’ai recouvré la santé et je me sens bien mieux qu’auparavant. »
Si Nichiren n’était pas lui-même médecin, nous trouvons mention dans deux de ses lettres à Shijo Kingo et sa femme Nichigen-nyo de l’envoi, pour leur bébé, d’un « agent protecteur » (6) qui tient autant du remède que du talisman. Dans Le traitement de la maladie – EdN 166, il nous apprend qu’à son époque étaient répertoriées « …cent un troubles de l’élément terre, cent un déséquilibres de l’élément eau, cent une perturbations de l’élément feu et cent une disharmonies de l’élément vent, soit au total quatre cent quatre maladies physiques. » et que, parmi les maladies de l’esprit, « …il en existe quatre-vingt-quatre mille sortes ».

Une compilation due à Zhiyi

S’il se réfère ici à la médecine traditionnelle de son temps, le plus souvent, il reprend à son compte ce qu’a écrit Zhiyi sur le sujet (7) : « Il existe six causes de maladie : la disharmonie entre les quatre éléments ; la consommation inappropriée de nourriture ou de boisson ; la pratique de la méditation assise inappropriée ; l’attaque des esprits maléfiques ; l’œuvre des démons (8) ; les effets du karma ». Comme nous le constatons, Zhiyi ne cherche pas à définir de symptômes ni une étiologie directe. Sa liste relève plutôt d’une recherche des causes des maladies directes ou indirectes. En fait, elle s’accorde avec ce que l’on savait – ou que l’on ignorait – à son époque des sciences sur lesquelles s’appuie la médecine moderne.
Voyons comment les six causes de maladie sont réinterprétées de nos jours par la plupart des écoles bouddhiques ou des mouvements religieux qui se réclament du bouddhisme. Les unes comme les autres en donnent des commentaires assez proches.
Le désordre des quatre éléments
– le solide : muscles, organes, os, peau
– le liquide : sang, lymphe, salive, sucs digestifs, hormones, en autres
– l’air et le gazeux : la respiration, les gaz internes ou externes
– la chaleur et l’énergie : température, mais également l’énergie produite par les activités physiques et chimiques du corps et ses organes, y compris l’électromagnétisme pour le cerveau et le système nerveux.
Chacun des quatre éléments correspond à certains types de maladie. Par exemple, la terre est liée à des maladies osseuses, vasculaires, musculaires, graisseuses ; l’eau, à des problèmes digestifs, sanguins ; le feu à la fièvre, l’inflammation, l’hypothermie ; le vent est liée à des difficultés respiratoires et des vomissements. Dans le Sûtra de la Lumière dorée chap. XVI, La guérison des maladies, un jeune homme demande à son père, médecin, comment guérir les maladies qui surviennent d’un déséquilibre des éléments. Celui-ci lui répond : « Un bon médecin a appris à prescrire les bons aliments et les médicaments pour réguler les quatre éléments et nourrir le patient en fonction de la saison. Lorsque saison et nourriture sont en équilibre, l’organisme est aussi dans l’équilibre. »
La consommation immodérée de nourriture et de boisson est une conséquence de l’un des trois poisons (9), le désir brûlant ou fièvre de la convoitise insatiable, qui se rapporte à de nombreux domaines de l’existence, mais qui désigne ici une envie sensuelle non sexuelle. Ce sont les troubles liés à un manque de discernement dans l’alimentation quotidienne, en quantité comme en qualité, ce qui englobe la malnutrition, la sur-nutrition, les déséquilibres alimentaires, les intoxications, etc. (10). Citons pour exemple certaines formes du diabète, le scorbut, les affections rénales, vasculaires, hépatiques, etc. qui dépendent ou sont favorisées par une mauvaise hygiène alimentaire.
Favorisé, cela sous-entend que la cause n’est pas toujours directe. Nous pouvons constater au quotidien que les êtres humains ne sont pas tous « faits du même moule ». Tous les gros mangeurs ne souffrent pas de la goutte ou du cholestérol et les gros fumeurs n’ont pas tous non plus une bronchite chronique. Il existe des prédispositions plus ou moins nettes qui se rattachent alors aux causes de maladies suivantes. À l’inverse, la plupart de ces maladies seront évitées par les personnes, prédisposées ou pas, si elles adoptent un régime équilibré et sain. Et nous rejoignons là le principe de modération propre au bouddhisme que nous appelons « la voie du milieu ».
La pratique de la méditation assise inappropriée. Ce sont les termes employés par Zhiyi pour désigner une mauvaise posture corporelle pendant la méditation entraînant souffrances et inefficacité. Dans son acception moderne, cette cause peut être définie ainsi : paresse de l’esprit provoquée par un rythme de vie irrégulier, de mauvaise attitudes (sédentarité, manque de sommeil, excès de travail) ou encore manque d’attention pouvant entraîner des accidents et des blessures.
L’attaque des esprits maléfiques. Les causes de maladie désignées ainsi sont autant d’ordre somatique que psychologique. Le premier cas concerne les maladies infectieuses et parasitaires. Les esprits maléfiques étaient perçus comme invisibles jusqu’au début du XIXe siècle, quand des savants européens, dont Pasteur, ont découvert qu’il s’agissait de micro-organismes bien réels – virus, bactéries, champignons et parasites – plus efficacement combattus par des traitements médicaux appropriés que par la magie, même si des progrès restent encore à faire dans le domaine scientifique et que l’état d’esprit du patient a son influence sur l’évolution de la plupart des maladies infectieuses ou non.
En parallèle, les esprits maléfiques représentent les influences extérieures de tous ordres (religieuses, culturelles, politiques, sociales, etc.) que nous subissons et qui nous conduisent à adopter des opinions néfastes pour nous-mêmes et pour les autres. Là encore, il y a interpénétration entre les causes de maladie. Les mauvais usages alimentaires, par exemple, ou les comportements à risques, sont souvent induits par la publicité, les modes, les modèles de la culture populaire. Ils participent donc à la fois des deuxième et quatrième causes.
L’œuvre des démons. Selon le bouddhisme, dans le cas particulier des pratiquants, ce type de maladies détruit l’observation de l’esprit, la sagesse, et réduit à néant les résultats obtenus par la pratique. Celui qui avait la foi commence à douter, puis finit par rejeter sa croyance. Il n’éprouve plus le désir de suivre la Voie.
Plus généralement, les démons désignent des forces intérieures (alors que dans la cause de maladies précédente, les esprits maléfiques proviennent de notre environnement). Ils incarnent les maladies mentales et les souffrances de l’esprit à des degrés divers : troubles de l’intelligence, de l’affectivité, du comportement, du caractère, de l’humeur, etc. Ainsi, Nichiren classe-t-il également les trois poisons dans les maladies de l’esprit : « Les maladies des êtres humains peuvent être divisées en deux catégories générales. La première est celle des maladies du corps… La seconde catégorie est celle des maladies de l’esprit. Ce sont les trois poisons et quatre-vingt-quatre mille maladies. » Sur la guérison des maladies karmiques – EdN 76.
En ce qui concerne le corps nous pouvons prendre pour exemple les maladies auto-immunes – diabète type 1, sclérose en plaques, allergies, arthrose, etc. – un type de maladies dans lequel les défenses d’un organisme se retournent contre lui. Au lieu de le protéger, son système immunitaire s’attaque à ses constituants.
Les effets du karma. Ces maladies sont dues à des causes créées dans la vie présente et les existences passées. Des causes graves, puisque, selon la logique bouddhique, les fautes les plus lourdes engendrent les rétributions à la fois les plus cruelles et les plus lointaines, au-delà d’une ou plusieurs vies successives (voir Réflexions sur le karma). Nous ne savons rien de précis sur elles, sinon que les pires sont dues à l’opposition au Sûtra du Lotus ou encore au Dharma. Conséquemment, elles sont difficiles, voire quasiment impossibles, à guérir autrement que par la pratique du bouddhisme, puisque celle-ci est le moyen le plus efficace de transformer son karma. Selon les écoles, ce sera par la méditation, la récitation de sûtras ou de Nam myoho renge kyo (11). Pour autant, les plus sérieuses de ces écoles ne prétendent pas rendre inutile le recours à la médecine (12). De son côté, la médecine a reconnu depuis longtemps les effets en bien ou en mal du psychisme sur l’évolution de la maladie, comme nous l’avons dit plus haut. S’il est difficile de concevoir que l’énergie vitale, la sérénité, la sagesse dans les décisions que nous procure la pratique du bouddhisme puissent être responsables à elles-seules d’une guérison, nous pouvons admettre qu’elles y participent pour beaucoup.
Gardons à l’esprit que la plupart des listes (dix états, neuf consciences, huit souffrances, etc.) qui forment « l’ossature » de la philosophie bouddhique ne doivent pas être prises dans un sens strict, exhaustif. Les catégories ou les termes qu’elles énumèrent ne sont pas isolés les unes des autres, ils peuvent parfois être liés. Dans le troisième volume de la Relation sur le Dharma envoyée depuis les mers du Sud (13), par exemple, il est dit que « Si les maladies sont liées aux quatre éléments, elles sont généralement causées par la suralimentation ou le surmenage ».
Nous l’avons dit, les six causes de maladies ne doivent pas être considérées comme un traitée d’étiologie au sens stricte. Elles ne définissent pas directement des maladies, mais bien des causes de maladies qui peuvent s’ajouter les unes aux autres. Nous pouvons prendre pour exemples les cancers ou leucémies qui ont une origine génétique, sans être pour autant purement héréditaires. Dans le cas de ces maladies, c’est un processus naturel, celui de la duplication des cellules, la mitose (14) qui est en cause. Un être vivant est constitué de cellules qui ont une durée de vie variable mais toujours beaucoup plus courte que lui-même. Pour que l’ensemble que représente cet être vivant puisse survivre à la mort successives des cellules qui le composent, celles-ci doivent se dupliquer ; c’est ce que l’on appelle la division cellulaire. Idéalement, lors de ce processus, l’ADN devrait se scinder, se reproduire « à l’identique » en deux cellules neuves. Ce n’est pas toujours le cas. Il se produit assez fréquemment des altérations génétiques. Certaines, légères, semblent sans conséquence si elles ne sont pas trop fréquentes, d’autres par contre peuvent se répéter jusqu’à provoquer des cancers et des leucémies. Qu’est-ce qui fait que des petites erreurs génétiques sont stoppées par les défenses naturelles, alors que d’autres réussissent à s’imposer, se répandre par métastases et accomplir leur œuvre destructrice ? Nous trouvons réunies là plusieurs causes de maladies soit dans un rapport de cause à effet direct, soit comme facteur favorisant ou aggravant. Nous savons depuis longtemps que de nombreux cancers sont favorisés par des désordres dans les habitudes alimentaires, l’hygiène de vie, l’environnement, les excès en tous genres, ce qui nous ramène aux trois premières causes de maladie. Pour l’attaque des esprits maléfiques, nous pouvons prendre l’exemple de virus, bactéries et parasites (papillomavirus, VHB, VHC, helicobacter, vers parasites du foie, de la vessie et de l’estomac) responsables de mutations cellulaires génétiques. L’œuvre des démons, l’attaque venue de l’intérieur, de l’organisme lui-même, ressemble beaucoup au processus de la cancérisation, quand les cellules s’émancipent et détruisent leur hôte. Enfin, les mutations génétiques héréditaires, appelées cancers héréditaires (15), puisqu’elles sont innées ne correspondent-elles pas aux maladies karmiques ?
Connaître les six causes des maladies est inutile si ce savoir n’est pas utilisé pour guérir. Quelles sont les propositions du bouddhisme à ce sujet ? Elles sont de deux ordres : la voie du milieu (16) ou voie médiane (skt madhyama-pratipad) et la transformation du karma.
La première est d’une logique accessible à tous : mener une vie saine et ne pas exposer notre santé par une conduite déraisonnable, si cela ne prévient pas toutes les pathologies, permet d’en éviter beaucoup. Être entouré de personnes qui mènent elles-mêmes une vie saine et résident dans un lieu qu’elles ont rendu sain par leur façon de vivre nous sera encore plus favorable. Imaginons maintenant que ce lieu s’étende à toute la Terre… Ce qui paraît une utopie est une mise en pratique de la voie du milieu qui est au cœur de la philosophie bouddhique. Pourquoi cette vision d’un monde équilibré paraît-elle illusoire ? Après tout, nous pourrions tous concevoir que parvenir à une tel résultat mériterait amplement de s’astreindre à une certaine auto-discipline et à la recherche constante de l’harmonie entre soi et l’environnement humain et non-humain. Parce que nous sommes tous conscients, mais nous ne le reconnaissons pas volontiers, que l’homme a une vision morbide de l’existence. Il regarde celle-ci à travers le filtre des trois poisons : l’attachement, l’ignorance, la haine. En conséquence, il se comporte conformément à ce qu’il croit percevoir. Le bouddhisme propose donc de purifier notre regard pour découvrir le réel aspect de la vie et de nous y comporter dans l’harmonie de la voie du milieu.
La seconde proposition du bouddhisme est plus difficile à concevoir, elle demande d’avoir la foi, d’accorder sa confiance en l’enseignement du Bouddha. C’est la guérison ou l’amélioration de la santé par la pratique du bouddhisme, par la transformation du karma. Le bouddhisme considère que le corps et l’esprit ne sont séparables qu’en apparence. Dans leur aspect réels ils sont en fait deux aspects d’une même chose, en l’occurrence un être vivant. De même l’être vivant et son environnement sont aussi deux aspects d’un même phénomène (17). De ce point de vue, la maladie comme la guérison peuvent venir de notre esprit autant que de notre corps, de nous-mêmes comme de notre environnement.
Dans son écrit Sur la guérison des maladies karmiques, Nichiren cite une nouvelle fois Zhiyi : « Même si l’on a commis des fautes graves (…), la rétribution peut être allégée dans cette vie. Et quand la maladie survient, c’est que le mauvais karma est sur le point d’être dissipé. » Cela nous permet de comprendre que la maladie n’est la cause de la souffrance qu’en apparence. En réalité, la maladie – en particulier celle que l’on dit « karmique » – est la concrétisation présente de fautes commises dans cette vie ou/et les précédentes, elle est une rétribution négative, au même titre que les quatre souffrances fondamentales (1). La surmonter sur la base de la pratique du bouddhisme ne nous offre pas seulement la guérison, cela nous permet de progresser sur la voie du Dharma en allégeant notre karma et développant notre sagesse. Ce que le Bouddha, dans le Sûtra sur la contemplation du Sage-universel (18), déclare ainsi :
« Tout l’océan des obstacles karmiques
est né de pensées perturbées.
Si quelqu’un souhaite se repentir,
Qu’il s’assied droit et médite sur le véritable aspect de la vie.
Alors, la multitude de ses fautes, comme le givre ou la rosée,
sera anéanti par le soleil de la sagesse. »

Notes :
1 – Voir article sur Les quatre nobles vérités.
2 – Le plus célèbre des médecins historiques fut Jivaka Komarabhacca, médecin de Shakyamuni, du roi du Magadha, Bimbisara, et son fils Ajatashatru. En ce qui concerne les médecins « non-historiques », nous pouvons citer ceux qui apparaissent dans le Sûtra du Lotus : les bodhisattvas Roi-de-la-Médecine, Médecine-Supérieur et celui de la parabole de l’excellent médecin et ses enfants malades (chap. XVI). Dans ce chapitre le Dharma est présenté comme un remède : «  Voilà un remède extrêmement efficace de couleur, de saveur et odeur excellentes. Prenez-le, votre douleur sera aussitôt soulagée et vous serez délivrés de toute maladie ». Dans le Soûtra de Vimalakirti, il est également fait mention du bouddha Roi-des-Médecins.
3 – Citons entre autres les sûtras Sur le bouddha médecin (Fo Shuo Fo Yi Jing), Sur le soulagement de l’épidémie par un mantra (Fo Shuo Zhou Shi Qi Bing) et Sur la guérison mentale et la maladie physique résultant de mauvaise méditation (Zhi Miyao Chanbing Jing).
4 – Par exemple, la Grande concentration et intuition de Zhiyi, ainsi que les Écrits de Nichiren suivants : Sur la guérison des maladies karmiques – EdN 76, Le bon remède pour tous les maux – EdN 124, Le traitement de la maladie – EdN 166.
5 – Il s’agit bien-sûr de ce que l’on appelle la médecine traditionnelle chinoise.
6 – La naissance de Tsukimaro – EdN 20 et L’accouchement facile d’un enfant de bonne fortune – EdN 19 : « J’ai été informé de l’état de votre grossesse. En réponse à votre demande, j’ai préparé l’agent protecteur, que j’ai choisi en fonction d’un savoir qui m’a été transmis… » Dans sa note explicative, l’éditeur des Écrits de Nichiren définit cet « agent » comme une pratique habituelle parmi les écoles bouddhiques du Japon féodal. Il ajoute qu’il pouvait prendre de multiples formes : dessins, calligraphies de paroles de bouddhas, bodhisattvas ou divinités inscrites sur du papier ou du bois, à porter, placer dans la maison, voire à avaler pour les petits objets, ou encore poudre d’herbes à boire, etc. Nous remarquons que Nichiren fait ici l’état d’un savoir qui lui a été transmis, de toute évidence au cours de ses études monastiques.
7 – Grande concentration et intuition, chapitre IX, Traitement des désordres. Zhiyi y rassemble des causes de maladies déjà évoquées séparément dans les sûtras.
8 – Remettons les choses dans leur contexte historique : les esprits maléfiques et les démons sont une représentation imagée des atteintes à la vie que ni la technologie ni les sciences des époques passées ne permettaient de voir : les bactéries et virus pathogènes, les dysfonctionnements des organes, les dégénérescences d’ordre génétique, les attaques du système immunitaire, les maladies mentales, etc. D’une manière générale, dans les temps anciens, tous les phénomènes d’ordre médical, climatique, astronomique, géologique, etc., dont les causes ne pouvaient être identifiées faute des moyens d’investigations nécessaires, étaient représentés par un panthéon d’êtres supra-humains ou des forces surnaturelles. Ils étaient nommés sans être réellement définis, ce qui permettait de les mémoriser, les prendre en compte, pour éventuellement en tenir compte, les évaluer ou les traiter en faisant appel à l’observation et à la transmission du savoir à travers les générations.
9 – Le désir, l’avidité, la convoitise ou encore la soif insatiable. Ils ont également en sanskrit de nombreux synonymes : trsna, raga, lobha, etc. Les trois poisons (skt trivisa, jap. sandoku) comportent en outre la stupidité/ignorance, l’attachement/désir, la colère/haine. Ces trois racines karmiques du mal nous conduisent à la souffrance, mais c’est l’ignorance (skt avidya) qui est l’élément primordial (voir L’origine interdépendante).
10 – Dans le Soûtra de Vimalakirti, le bodhisattva éponyme de ce texte déclare : « Mon mal vient de l’ignorance et de la soif ».
11 – Voici ce que dit le Bouddha à propos du Sûtra du Lotus : « C’est que ce livre est un remède efficace pour les maladies des hommes du continent Jambudvipa. Si quelqu’un est malade et qu’il puisse entendre ce texte, sa maladie se trouvera dissipée. » Sûtra du Lotus chap. XXIII traduction Jean-Noël Robert.
12 – N’oublions pas ce que Nichiren dit lui-même dans Le général Tigre-de-Pierre cité plus haut. Il a accepté et pris les médicaments envoyés par son disciple Shijo Kingo et a été guéri.
13 – Nanhai Jigui Neifa Zhuan rédigé par le moine chinois Yijing (635-712).
14 – La mitose est la division d’une cellule mère en deux cellules filles strictement identiques génétiquement. Au cours du processus de réplication du matériel génétique, il peut se produire une anomalie, autrement dit la mutation d’un gêne. La plupart du temps la cellule touchée se détruit elle-même ou est détruite, mais si les mutations se répètent trop souvent, l’organisme finit par être débordé par la prolifération et la migration (métastases) des cellules mutantes qui sont par ailleurs plus résistantes que les cellules saines. C’est ainsi que l’on peut schématiquement décrire la majorité des cancers.
15 – À proprement parler, il n’existe pas de cancers héréditaires, dans le sens où, descendant de parents ayant eu un cancer particulier nous serions condamnés à avoir le même qu’eux un jour. Nous dirons plutôt que nous pouvons avoir des prédispositions génétiques d’origine héréditaire pour certains types de cancers tels ceux du sein, des ovaires, de l’intestin ou à des mélanomes.
16 – Voir articles sur La triple vérité.
17 – Voir article Les dix non-dualités (shikishin funi : le corps et l’esprit sont deux, mais pas deux et esho funi sujet et environnement inséparable)
18Ce texte est considéré par de nombreuses écoles bouddhiques comme l’épilogue du Sûtra du Lotus, le Sûtra des sens innombrables en étant le prologue.

Les trois ères du Dharma

Shoho, Zoho et Mappo

Pour le bouddhisme, tous les phénomènes de l’univers, et l’univers lui-même, sont sujets au cycle apparition, croissance, décadence et disparition. Il en est de même pour le bouddhisme (1). Le Dharma de Shakyamuni (son enseignement) obéit à ce cycle. Son pouvoir, son effectualité salvatrice, considéré comme à son apogée à la mort du Bouddha, est appelé à s’affaiblir au cours des siècles suivants jusqu’à devenir totalement inopérants. C’est ce qu’affirment un certain nombre de sûtras et commentaires en Inde, Chine et Japon.
Parmi ceux-ci, le Sûtra du rugissement du roi qui fait tourner la roue (pali Cakkavatti Sihanada Sutta), du Hinayana, présente cette décadence graduelle du Dharma de Shakyamuni dans notre monde de Jambudvipa gagné par la violence, la haine, la folie destructrice, la perte de toute sagesse humaine et même le raccourcissement de l’espérance de vie. Cette concomitance entre le déclin du bouddhisme et la dégradation des comportements sociaux et des conditions de vie est la conséquence logique de la relation étroite qui existe entre la morale (ou les valeurs) qui guide la société et le karma des personnes qui composent celle-ci. Ce sûtra explique, en outre, qu’après la disparition de toute trace du bouddhisme, le bodhisattva Maitreya reviendra d’un autre univers pour remettre en route la roue du Dharma en exposant un nouvel enseignement.

Le Mahayana se montre un peu plus précis. Le Sûtra de la grande assemblée (skt Mahasamnipata sûtra), une compilation de sûtras, décrit trois périodes subdivisées et qui forment cinq âges de 500 ans :
Le Dharma correct (jap. Shōhō), ou « jours de la Loi correcte » qui comprend :
l’âge de l’illumination
l’âge de la méditation
Le faux Dharma (jap. Zōhō), « jours de la Loi formelle » ou encore « jours moyens de la Loi » divisé ainsi :
l’âge de la lecture, la récitation et l’écoute
l’âge de la construction des temples et des stupas
La fin du Dharma (jap. Mappō) ou « derniers jours de la Loi » caractérisée par des guerres, troubles sociaux, famines, épidémies, catastrophes naturelles et l’affaiblissement, puis la disparition, d’une doctrine bouddhique devenue confuse jusqu’à la perte de tout son pouvoir salvateur.
Schématiquement, l’âge de l’illumination est celui où les disciples de Shakyamuni accèdent effectivement à l’Éveil par la pratique de ses enseignements et l’âge de la méditation celui où ils peuvent encore progresser sur la Voie de manière limitée. Durant les deux âges suivants, les adeptes ne disposent plus que de la possibilité d’améliorer leur karma (bonnes rétributions) par les rituels et la pratique des offrandes. Dans le dernier, l’âge de la fin du Dharma, le bouddhisme ancien, lié au Bouddha historique, n’a plus d’effet.
Ci-dessus, les quatre premières périodes s’étendent ensemble sur deux mille ans, mais c’est une version qui ne fait pas l’unanimité, comme nous le verrons. En ce qui concerne les dates, la plus importante étant celle de l’extinction du Bouddha qui marque le début des cinq périodes, il règne aussi une certaine confusion. Les historiens modernes l’estiment sur une large fourchette, entre 483 et 383 avant notre ère, les traditions anciennes la situent entre 949 et 543 avant notre ère.
En Chine, la mort du Bouddha Shakyamuni a été placée dans la cinquante-deuxième année du règne du roi Mu (949 avant notre ère) et les trois périodes ont été calculées ainsi : 500 + 1000 + 10 000. Ce qui fait commencer les derniers jours de la Loi au milieu du sixième siècle de notre ère. Le Japon médiéval a repris la date chinoise de 949, cependant, il a choisi ce qui est détaillé plus haut : (500 x 2) + (500 x 2) + 500. Ainsi, dans ce pays, la fin du Dharma commence-t-elle vers 1050 de notre ère.
Dans la Lampe pour la fin du Dharma (jap. Mappo Tomyo ki) un ouvrage daté de 801, mais à l’origine incertaine, Saicho, le fondateur de l’école Tendai, reprend ce dernier compte. En conséquence, selon lui, les jours moyens de la Loi sont sur le point de s’achever. Si le bouddhisme de Shakyamuni est appelé à survivre, il n’y aura plus aucun effet ni preuve (l’Éveil) provenant de son enseignement. Les préceptes ne seront plus observés, et donc, même un prêtre qui ne respectera pas les préceptes sera vénéré comme un maître par le peuple. La pensée religieuse sera en pleine confusion.

Le texte de Saicho a grandement influencé les courants du bouddhisme japonais de la période Kamakura (1185-1333), ce qui a eu pour conséquence indirecte la fondation de nouvelles écoles : Rizai et Soto (zen), Jodo et Nenbutsu (amidisme), Nichiren, etc. Ces courants cherchaient de nouvelles voies, des voies qui s’écartaient des enseignements « classiques » du Bouddha, considérés comme caducs. Le zen refusait la transmission par les sûtras, l’amidisme faisait appel à un autre bouddha, Amida, régnant sur un univers exempt d’impuretés la « terre pure », (voir article Éveil et nirvana) enfin, Nichiren s’est basé sur le Sûtra du Lotus, qui contenait en lui-même tous les éléments pour concilier tradition et adaptation à une nouvelle ère, pour en faire la pratique ultime du bouddhisme pour le futur sous la forme de Nam Myoho Renge Kyo et du Gohonzon.
Dans le Sûtra, contrairement à ceux du Hinayana, le Bouddha n’annonce pas la venue salvatrice de Maitreya dans un lointain futur pour apporter à l’humanité un nouvel enseignement, il désigne le Sûtra du Lotus comme le Dharma pour les derniers jours de la Loi, dont il a confié la propagation aux bodhisattvas sortis de la terre. Il déclare dans le XXIIIe chapitre : « Pour cette raison, Fleur-souveraine-Constellation, je te confie ce chapitre sur les Actes antérieurs du bodhisattva Roi-de-la-Médecine. Quand je serai rentré dans l’extinction, dans la dernière période de cinq cents ans, il te faudra le propager largement en terre étrangère et à travers tout le Jambudvipa, sans jamais le laisser disparaître… »

Selon Nichiren, il existait une autre raison, en dehors du processus naturel cyclique de naissance et mort, pour expliquer la décadence du Dharma de Shakyamuni : les hommes vivant à l’époque de la fin de la Loi n’ont pas de lien karmique avec celui-ci, ils n’ont jamais reçu de lui la graine de l’Éveil. Cependant, ils peuvent la recevoir en pratiquant le bouddhisme de l’ensemencement qui plante la graine primordiale de l’Éveil dans leur vie. Avec Nam Myoho Renge Kyo, ils achèvent le processus de maturation et de récolte au cours de leur présente vie. (Voir note 23 d’Éveil et nirvana)
l’entrée dans la période des derniers jours de la Loi, l’apparition annoncée de toutes sortes de désordres sociaux, famines, guerres, épidémies, s’est révélée en fait bien réelle. À l’époque de Nichiren, il y a eu des tentatives de coup d’état, des famines, des périodes de sécheresse, et l’invasion manquée des Mongols, vus par les japonais, et avec raison, comme des exterminateurs sans-pitié. Cela explique en grande partie pourquoi Nichiren s’est montré si déterminé à propager Nam Myoho Renge Kyo et à débarrasser le pays de doctrines erronées qui l’entraînaient dans le chaos. Dans L’enseignement pour l’époque de la fin de la Loi – EdN 115, il écrit : « Néanmoins, comme Shanwuwei, les moines de l’école Shingon, les fondateurs et les moines de l’école Zen ont rejeté le Sûtra du Lotus, et tous les habitants du Japon sont maintenant convertis à leurs enseignements, semblables en cela à ceux qui se laissèrent tromper par les rebelles Masakado et Sadato. Le Japon est désormais au bord de la ruine parce qu’il est, depuis de nombreuses années, l’ennemi juré de Shakyamuni, de Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions et parce que, en plus, la personne qui dénonce ces erreurs est persécutée. De telles offenses s’ajoutant ainsi les unes aux autres, notre pays encourra bientôt la fureur du ciel. »
Il a ainsi toujours agi dans l’urgence, parfois au risque de sa vie. Ceux qui se montrent critiques envers ce qu’ils considèrent comme de l’intolérance devraient étudier de plus près l’histoire du bouddhisme au Japon. Ils se rendront compte qu’il n’a pas été le seul a vouloir réagir aux périls de cette époque troublée de la fin de la Loi, et que d’autres se sont montrés réellement violents.

Note :
1 – Les trois périodes ne concernent pas le seul Dharma de Shakyamuni et notre univers, elles se rapportent parfois à d’autres bouddhas et d’autres mondes cités dans les sûtras. Ainsi, le chapitre XX du Sûtra du Lotus y fait-il référence à propos du bouddha Roi-Son-majestueux et il décrit l’apparition du bodhisattva Jamais-méprisant au cours de la deuxième période, celle de la loi formelle.

 

Éveil et nirvana

Si l’on se réfère au tout premier enseignement du Bouddha, le Sûtra de la mise en mouvement de la roue du Dharma (Dharmacakra Pravartana Sûtra), le but de la pratique du bouddhisme est la cessation de la souffrance inhérente à l’existence (voir les quatre nobles vérités), dont les causes résident dans notre ignorance de l’aspect réel de la vie et notre attachement à un monde illusoire. Le cycle des 12 nidanas (voir article) démontre de quelle manière cette ignorance et cet attachement créent le karma qui enferme et maintient les êtres dans le cycle ignorance/désirs/souffrance. La démarche proposée par les enseignements bouddhiques doit nous permettre de parvenir à la cessation de la souffrance (skt dukkha) en nous libérant de notre karma, en dissipant notre ignorance de la nature réelle de la vie (skt avidya) et en développant notre sagesse et notre énergie vitale. L’objectif de la pratique dépasse ainsi la seule résolution du problème du malheur. Il réside dans la création d’un bonheur indépendant de toutes circonstances, ce que le bouddhisme nomme l’Éveil, état de bouddha ou encore nirvana (1).

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Bas-relief en pierre représentant le parinirvana du Bouddha, provenant de Gandhara au Pakistan et datant du premier siècle de notre ère. DR.

Bouddha

Contrairement à certaines idées reçues, l’Éveillé ou celui qui a atteint l’Éveil – le Bouddha –, n’est pas une divinité ni un être à part. Il est d’abord un personnage historique (2), parvenu à un état de sagesse et de vitalité qu’il a voulu transmettre à ses disciples pour en faire à leur tour des bouddhas. Par respect, Shakyamuni est désigné par le nom propre Bouddha. Tandis que tout être arrivé au même état que lui peut être qualifié du nom commun de bouddha (sans majuscule). Il s’agit alors de la qualité d’Éveillé qui peut désigner indistinctement toutes les personnes ayant acquis cette qualité (bouddha Vairocana, bouddhas des dix directions, bouddha Maints-Trésors, nous-mêmes qui pouvons devenir des bouddhas ou manifestons l’état de bouddha, etc.).
Dans des domaines parfois mythologiques, parfois symboliques, le bouddha apparaît comme un personnage merveilleux. Il est paré de 32 marques caractéristiques, dix pouvoirs, 18 dharmas spéciaux, trois vertus, etc. (
3) ou encore doté des vertus de souverain, maître et parent (4). Toutes ces listes offrent un aperçu de ce que peut être un bouddha. La plupart étant postérieures à la mort de Shakyamuni, il faut cependant distinguer en elles ce qui tient de la louange inconditionnelle de disciples zélés et ce qui est le reflet d’une nature qui échappe aux perceptions de l’homme ordinaire.
Il est dit dans le chapitre II du
Sûtra du Lotus de la bonne Loi : « Elle est profonde, ô Shariputra, difficile à voir, difficile à juger la science des bouddhas, cette science qui est l’objet des méditations des tathagathas vénérables ; tous les shravakas et les pratyekabouddhas (5) réunis auraient de la peine à la comprendre. » Ainsi, devenir bouddhiste, s’engager sur la Voie de la libération, reviendrait-il à s’aventurer sur un chemin dont l’issu se perd dans l’obscurité de notre ignorance et à utiliser des moyens pour une fin qu’on ne connaît pas ? Apprendre, c’est nécessairement se confronter à l’inconnu. L’enfant qui entre à l’école maternelle n’a aucune idée de ce à quoi le prépare l’éducation nationale – entre autres son futur métier. Il fait confiance à ses parents et aux enseignants, ce qui représente le premier stade de la foi. Ce n’est qu’en avançant dans ses études qu’il commencera à entrevoir les réalités du monde du travail et à, éventuellement, se passionner pour ses futures activités professionnelles. Il en est de même pour le bouddhisme. Shakyamuni précise bien ibid. que les auditeurs et les bouddhas-pour-soi ne peuvent appréhender la sagesse du bouddha. Autrement dit, cette sagesse est au-delà de l’intelligence, du discernement ou de la connaissance, elle est un état de vie englobant à la fois le corps, l’esprit, soi et son environnement (voir Trois mille mondes). « La bonne loi, ô Shariputra, échappe au raisonnement, elle n’est pas du domaine du raisonnement. » ibid. Certains moines bouddhistes se présentent parfois en philosophes, ils donnent l’impression que leur démarche est purement intellectuelle. S’il en était ainsi, de quelle utilité seraient les pratiques physiques telles que récitations de sûtras, mudra, mantra, etc. ? Il suffirait d’étudier les textes pour devenir bouddha par le seul pouvoir de la réflexion.
Partant de ce qui a été dit plus haut, nous n’aurons pas la prétention de définir précisément ici ce qu’est un bouddha. Nous pouvons cependant relever certains de ces aspects significatifs et explorer quelques points de vue tirés des enseignements de divers écoles et courants bouddhiques qui se rapportent à lui : le nirvana, l’Éveil (et non l’illumination comme il est parfois indiqué en français), l’état de bouddha, etc.
Le mot bouddha (skt et pali buddha, chin. fotuo, jap. budda ou butsu) qui signifie en sanskrit éveillé ou éclairé s’applique aussi bien l’Éveil parfait, absolu, sans régression à la réalité ultime du Dharma (en sanskrit anuttara-samyak-sambodhi), qu’à la compréhension d’un dharma, une vérité, un reflet de la réalité absolue (6). Ce second sens plus restrictif est décrit dans de nombreux sûtras (7).
Historiquement le terme semble être né avec le bouddhisme, il ne fait pas partie de ses emprunts aux religions qui l’ont précédé. Il pourrait même avoir été attribué à Shakyamuni bien après sa disparition, les premiers sûtras ayant été rédigé au plus tôt cinq siècles après sa mort, nous n’avons aucun témoignage direct de ses propos ni de ceux qui l’entouraient. Cette originalité se comprend. Même si elles décrivent des États de sapience ou de connaissance qui se rapprochent de l’Éveil, les religions anciennes, nous considèrent comme les sujets de forces divines ou universelles qui nous dépassent, et avec lesquelles nous nous efforçons de composer, une situation que décrivent précisément les six mondes de la cosmologie indienne. L’enseignement de Shakyamuni, en revanche, nous place au premier plan de l’univers, dans la mesure où notre qualité même d’être humain nous permet d’accéder à la bouddhéité, tout comme lui-même.

Nirvana

Le nirvana, mot sanskrit (en pali, nibbana), est le devenir, après sa mort, d’un bouddha accompli. Voilà la définition la plus brève que l’on puisse en donner. Ce concept, antérieur au bouddhisme et partagé avec l’hindouisme et le jaïnisme, signifie extinction. Il ne faudrait pourtant pas le prendre au sens de disparition ou d’anéantissement – à ce propos la sonorité de sa traduction en japonais par nehan peut rappeler le terme néant à un Français –, mais plutôt comme le refroidissement d’une brûlure, d’une fièvre ou d’un échauffement physique.
Une grande partie des écoles bouddhiques semblent accorder à la vie une valeur négative en affirmant que celle-ci n’est que malheurs et souffrances. Elles proposent, avec le nirvana, une sorte « d’issue de secours », une sortie du cycle des vies et morts, le samsara, pour un ailleurs heureux et paisible. D’autres, principalement du Mahayana, présentent les difficultés de la vie comme le moyen indispensable de parvenir à l’Éveil. Certains grands maîtres de ce courant, par exemple Nagarjuna (8), Zhiyi et Nichiren, vont jusqu’à faire du nirvana et du samsara deux points de vue convergents d’une même réalité. Selon eux, il n’existe pas de nirvana en dehors de notre monde, la bouddhéité est une question d’état de vie, de sapience et de conscience, non un univers en soi.
Voyons maintenant le processus de l’accès à la bouddhéité ou au nirvana, selon les grands courants du bouddhisme. Sans nous attarder sur les diverses méthodes et pratiques ce qui dépasserait très largement le cadre de ce blog !

Hinayana

Les écoles bouddhiques dites « anciennes » ou « archaïques » possèdent deux caractéristiques qui leur sont propres. C’est d’abord une Voie laborieuse et graduelle qui demande de nombreuses vies à ceux qui l’empruntent pour parvenir à son aboutissement, le nirvana, et, autre caractéristique, cet aboutissement consiste à éliminer illusions, passions et désirs pour échapper au cycle naissance/mort du samsara. Il ne s’agit pas pour ceux qui recherchent cette Voie de devenir indifférents aux autres et à eux-mêmes pour ne plus souffrir, mais plutôt de briser les attachements à la vie et à leur ego qui les maintiennent dans le samsara. Dans ce sens, le nirvana est un état de bonheur permanent « hors du monde » ou les notions de bien et de mal ainsi que du soi disparaissent au profit d’une perception suprapersonnelle. On considère que, parvenu au nirvana, le bouddha n’a plus d’influence positive sur le monde par sa sagesse ou son esprit, seules ses reliques conservent encore une part de son pouvoir. Il est résulté de cette croyance un culte des reliques des grands maîtres, présent dans tous les pays bouddhistes et concernant même les écoles du Mahayana, y compris celles de Nichiren.
Le Theravada (9), autre école ancienne, distingue deux sortes de nirvanas. Le premier est celui de l’arhat (10) qui a éliminé toutes les illusions et ne renaîtra plus dans les six voies (mais peut-être au ciel), ainsi que l’anagamin (le sans-retour) qui en est à sa dernière incarnation, mais reste encore rattaché au monde des souffrances du fait qu’il possède un corps. C’est ce que l’on appelle le nirvana du reliquat ou incomplet. Le second est celui auquel le bouddha parvient à la mort, lorsqu’à la fois le corps et l’esprit, sources de souffrances, s’éteignent. C’est le nirvana sans reliquat ou complet (skt parinirvana).
Si l’entrée dans ce nirvana complet, condition de l’Éveil parfait, nécessite pour les adeptes du Hinayana de nombreuses vies, comme nous l’avons dit, il est logique que les progrès que ceux-ci ont réalisés d’existence en existence se manifestent au présent. Pour caractériser ces progrès, les textes bouddhiques font donc état des quatre saintes voies, celles des auditeurs, bouddhas-pour-soi, bodhisattvas et bouddhas (voir les dix états de vie) ou encore de stades successifs dans le mérite : la personne ordinaire non-éveillée, celui qui est entré dans le courant et pourra atteindre le nirvana après sept vies de plus, celui qui l’atteindra dans sa prochaine existence, le sans-retour qui ne renaîtra pas dans ce monde, mais sera réincarné dans un des royaumes célestes pour remplir les conditions finales du nirvana et enfin les dignes d’offrandes, les arhats, qui entreront dans le nirvana au terme de cette vie et ne connaîtront plus de renaissance.
Ne parvenaient aux étapes finales, que ceux qui avaient déjà acquis dans leurs vies passées un « bon karma ». Dans la logique de ces écoles, cela excluait les personnes dont la naissance et les qualités personnelles ne pouvaient en être le reflet, ce qui comprenait les membres des castes inférieures, les criminels et les hommes mauvais, les femmes, etc. En conséquence, au sein du sangha, la communauté bouddhiste, on trouvait une sorte de hiérarchie spirituelle, basée sur l’avancement de chacun sur la Voie du nirvana (10). En fait, il s’agissait plus exactement d’une double hiérarchie, un même « état d’avancement » étant attribué aux hommes et aux femmes, mais pas d’un niveau équivalent. Selon certains textes, ces dernières étaient capables d’atteindre le niveau de l’arhat et d’accéder au nirvana. Un recueil, les Therigatha (Versets des nonnes anciennes), contient des dizaines de témoignages sous forme de poèmes sur des femmes qui auraient atteint le but ultime. Pourtant dans le cadre de la vie monacale, le plus novice des hommes dans sa hiérarchie avait la primauté sur la plus élevée des femmes. D’autre part, l’égalité (religieuse) entre les sexes n’était pas unanimement exposée dans les sûtras et commentaires ni historiquement démontrée dans le quotidien des bhikkus (11) contemporains du Bouddha. Les textes anciens nous indiquent que les femmes devaient – symboliquement ou « par magie » – renoncer à leur féminité pour franchir les dernières étapes vers l’Éveil.
Ajoutons enfin que c’est sur l’insistance de son neveu Ananda que Shakyamuni a consenti à ce qu’elles constituent des communautés religieuses, et encore, en leur imposant des règles supplémentaires à celles qui régissaient les hommes (12). Que penser des réticences du Bouddha ? Nous pourrions y voir une volonté de sa part de protéger les nonnes d’une société hostile en les faisant dépendre des moines. Ou, certaines de ces règles ont pu été ajoutées postérieurement et attribuées à tort à celui-ci pour leur donner force de loi. Quoi qu’il en soit, les communautés féminines rattachées au bouddhisme ancien ont peu à peu disparu d’Inde, puis du Sri Lanka vers le Xe siècle de notre ère. C’est d’ailleurs dans ce pays que l’école theravada a été la première à réadmettre les nonnes au XXe siècle.

Mahayana

Le Mahayana se différencie du Hinayana par la notion de bodhisattva. Ce qui explique pourquoi ce courant religieux est ouvert sur la société, alors que le second est resté essentiellement monastique. Le bodhisattva renonce au nirvana pour rester dans le monde du samsara afin de sauver les êtres humains en les menant sur la voie de l’Éveil. Il lui faut nécessairement vivre parmi eux plutôt que dans l’enceinte monastique. Malgré ce renoncement à l’extinction, les doctrines du Mahayana n’abandonnent pas le concept du nirvana. Quand elles l’appliquent aux bodhisattvas, elles le qualifient de non-statique (skt apratisthita-nirvāṇa), ne résidant ni dans les activités impures du samsara ni dans le nirvana statique et « hors monde » des arhats. Libéré de son karma et doté de la sagesse infinie, le bodhisattva n’a plus à s’impliquer dans le processus des vies et morts. Mais tant qu’il existe des êtres dans le malheur et la douleur, sa compassion lui fait refuser la paix de la cessation. Il ne peut donc y avoir de nirvana définitif qu’une fois le samsara vidé de tous les êtres qui souffrent.
Dans de nombreux textes du Mahayana, la voie vers l’Éveil n’est pas réservée aux seuls bodhisattvas, les auditeurs et les bouddhas-pour-soi peuvent y prétendre. Pour ces deux « modèles » de pratiquants, que l’on appelle les personnes de deux véhicules, l’Éveil se limite à l’extinction du désir et de la douleur, tandis que le bouddha, lui, parvient à l’Éveil suprême correct et complet. Cette distinction est définie dans les textes du Mahayana comme l’Éveil inférieur pour les auditeurs, les arhats et les bouddhas-pour-soi et un Éveil supérieur fait de connaissances multiples, de pouvoirs magiques et d’une multitude de caractéristiques merveilleuses. Le bodhisattva, le seul à pouvoir y prétendre, est présenté comme un être doué des qualités les plus extraordinaires. Souvent si extraordinaires que l’on comprend que pratiquement aucun des bodhisattvas décrits dans les Sûtras, y compris celui du Lotus, n’est un personnage historique. Ils sont à l’évidence le fruit des méditations de moines désireux de léguer à la postérité des figures idéalisées incarnant l’esprit du bouddhisme à son plus haut degré. Les historiens s’accordent sur le fait que de nombreux ajouts ont été faits à des enseignements authentiques du Boudda avant l’époque où ils ont été fixés par écrit. Certains sûtras sont même apocryphes (13).
La priorité donnée à la vie monacale par les divers écoles du Hinayana a fait que celles-ci ont rarement dépassé les frontières de l’Inde continentale, Sri Lanka, la Birmanie et la Thaïlande. En revanche, le Mahayana a été largement diffusé par les moines, les voyageurs et les marchands au Tibet et, à travers la route de la soie, en Asie centrale et en Asie de l’est jusqu’en Corée. En raison principalement des conquêtes mongoles et musulmanes, ce courant a pratiquement disparu du sous-continent indien et des actuels pays turcophones, vers la fin du Haut Moyen Âge. Il a toutefois prospéré en Chine, Corée et Japon. Le contenu des sûtras du Mahayana fixé par l’écriture n’a plus varié. Mais certaines affirmations, acceptées avec réticence par une culture profondément patriarcale comme l’Inde, ont pu trouver un écho plus favorable dans ces nouveaux pays. Parmi ces textes, nous trouvons le
Sûtra de la vie infinie, le Sûtra de l’entrée à Laka, le Sûtra de la reine Srimala (ou du rugissement du Lion) et naturellement le Sûtra du Lotus (14). Si le premier propose un compromis (le bouddha Amitabha a fait vœu de transformer les femmes en hommes pour leur permettre d’atteindre la Terre pure, un monde vertueux, dépourvu de mal, de souffrance et d’impureté !), les autres textes établissent une égalité de « mérites » entre hommes et femmes, quelles que soient leur extraction et leur moralité. Le Sûtra de la reine Srimala prend la forme d’un sermon prononcé par une femme, ce qui est inhabituel dans les textes bouddhiques. Tout comme le Sûtra du Lotus, il expose la doctrine du véhicule unique (15) et précise que la nature de bouddha est inhérente à tous les êtres sensibles.

Sûtra du Lotus

Aboutissement du Mahayana selon Zhiyi, cet enseignement (c’est le sens du mot sanskrit sûtra avant de signifier livre) se caractérise du « fond bouddhique » par un certain nombre d’affirmations. Parmi celles-ci : tous les êtres sensibles possèdent une nature de bouddha innée, non-révélée (skt tathagatagarbha), et la bouddhéité n’est plus accessible aux personnes des deux véhicules – on pourrait même ajouter des trois avec celui des bodhisattvas. Ceux-ci sont remplacés par le véhicule unique, le Sûtra du Lotus lui-même, ce qui est annoncé par la phrase du chapitre II du Lotus de la Bonne Loi « Il n’y a qu’un seul véhicule, ô Shariputra, qui est le véhicule des bouddhas » et développé dans la parabole des Trois chariots et de la maison en feu, ibid. chap. III.
L’accès à l’Éveil n’est pas restreint, puisque tous les êtres peuvent emprunter le véhicule unique, hommes ordinaires, femmes, incroyants irréductibles (skt iccantika), hommes mauvais, y compris Devadatta qui a tenté à plusieurs reprises de tuer le Bouddha. Par contre, ceux qui croyaient avoir atteint l’état d’arhat par les pratiques traditionnelles sont dans l’erreur : ce qu’ils prenaient pour une expérience du nirvana n’était qu’une illusion, une halte de repos sur le chemin de la bouddhéité parfaite (parabole de la cité illusoire ibid. chap. VII). Shariputra, connu comme le représentant des auditeurs et l’un des plus grands arhats, qui pensait être proche du nirvana, se voit annoncer par le Bouddha qu’il est dans l’erreur lui aussi. Il atteindra bien l’Éveil, mais dans un futur très lointain ibid. chap. III. Prédiction que l’on peut interpréter ainsi : quand il aura foi en le Sûtra du Lotus et abandonnera les enseignements provisoires, ou encore, quand il prendra le véhicule unique à la place de celui des auditeurs.
Dans les chapitres IV et suivants, le Bouddha fait des annonces similaires pour de nombreux autres personnages connues comme arhats dans les textes bouddhiques antérieurs. Il élimine ainsi toute relation hiérarchique entre les bodhisattvas et auditeurs ou arhats, mais annihile du même coup leurs réalisations et leurs mérites, comme pour Shariputra.
La méthode proposée par le Sûtra du Lotus pour parvenir à l’Éveil est donc le véhicule unique (nous avons vu, note 16, que le terme de véhicule désignait une méthode ou une Voie). Ce véhicule, nous l’avons dit est le Sûtra du Lotus lui-même qui devient un chemin, une pratique, l’Enseignement ultime. Ainsi que le dit le Bouddha, chap. XXVII ibid. : « …je vous transmets cet état suprême de bouddha parfaitement accompli, qui est arrivé jusqu’à moi après d’innombrables centaines de mille de kôtis de kalpas. Vous devez, ô fils de famille, le recevoir, le garder, le réciter, le comprendre, l’enseigner, et le prêcher à tous les êtres… »
Accepter de recevoir le Sûtra et donc lui faire confiance, le conserver dans son cœur ce qui signifie croire en lui, le réciter, l’étudier pour le comprendre, enseigner ce que l’on en a compris et le propager, tel est donc le véhicule unique. Tout ceci demande avant tout d’avoir foi en lui. Voilà pourquoi, la foi est le centre de son message. Abandonner les trois véhicules pour le véhicule unique signifie-t-il pour autant abandonner tous les enseignements provisoires pour ne se consacrer au seul Sûtra du Lotus ? C’est un débat dans lequel nous ne rentrerons pas. Nous remarquerons simplement que, dans ses écrits, Nichiren se réfère à de nombreux autres sûtras et que, d’autre part, ce texte reprend beaucoup de concepts exposés précédemment tels que les quatre saintes vérités, la vacuité, l’origine interdépendante, etc. Peut-on les abandonner sans trahir le Sûtra du Lotus ?
Cet enseignement, nous pouvons le constater, s’écarte du modèle progressif qui a été celui du bouddhisme ancien et continue à caractériser la majorité des courants aujourd’hui. À la place d’un travail sur soi patient et gradué, il propose un modèle d’Éveil soudain (ou tout le moins rapide) dans lequel le tournant définitif est la compréhension qu’il n’y a qu’un véhicule unique et que nous sommes tous destinés à devenir bouddha. Cet éveil soudain est exposé dans le chapitre XII du Sûtra, qui, comme quelques autres sûtras cités plus haut, traite en même temps de l’accession de tous les êtres à la bouddhéité à travers l’Éveil de la fille de Sagara, le roi-dragon (16). Notons au passage que ce qu’une « simple fille » accomplit, aucun des grands disciples n’en est capable.
Le Japon est le pays d’Extrême-Orient qui offre aux historiens le plus d’informations sur l’implantation du bouddhisme dans la société. Cette religion a été introduite sur l’île au VIe siècle par des moines chinois à la demande du prince Shotoku admiratif de la culture de leur pays. Ce sont les enseignements du Mahayana, les plus répandus en Chine, qui ont été privilégiés, en particulier, les Sûtra de Vimalakirti, de la reine Shrimala et du Lotus. Jusqu’au milieu de l’ère Heian (794-1185), le pays reconnaissait aux femmes une certaine autonomie. Des monastères leur étaient réservés, financés en grande partie par l’État. Progressivement, elles ont vu leurs droits et libertés se restreindre, tant dans la société civile que religieuse. Ainsi, à l’époque suivante (Kamakura) les monastères n’ont plus été accessibles à celles qui désiraient mener une vie religieuse, en partie, il est vrai, pour des soucis financiers. Si une femme décidait de prononcer ses vœux, elle adoptait le statut de nonne séculière (jap. ama) et rester dans la société. Curieusement, pourrions-nous dire, les Japonaises ont été les victimes autant de causes économiques que de la misogynie qui subsistait dans les enseignements indiens du bouddhisme (17), malgré le contenu des sûtras les plus en vogue.

Écoles Nichiren

Les écoles Tiantai/Tiendai (sino/japonaise) et Nichiren s’accordent sur l’ensemble « novateur » contenu dans le Sûtra du Lotus, ci-dessous (ce qui ne signifie pas que certains de ces concepts ne se retrouvent pas dans d’autres textes bouddhiques).
a – l’état de bouddha et l’inclusion mutuelle des dix états (voir les dix états de vie)
b – la bouddhéité des personnes des deux véhicules, des femmes, des personnes mauvaises, de tous les êtres vivants et pas seulement les humains, donc des plantes et jusqu’aux êtres insensibles (jap. samoku jobutsu)
c – l’Éveil sans changer d’apparence (jap. sokushin jobutsu)
d – la voie directe vers l’Éveil (jap. jikido)
e – le bouddha atemporel
f – Identité du cycle naissances et morts avec le nirvana (jap. soji soku nehan) (18)
Tous ces concepts sont liés ou, plus exactement, ils sont induits par la théorie de l’état de bouddha.
Nous l’avons vu dans l’article sur les trois mille mondes, il existe dans un instant de la pensée dix états de vie, dont l’état de bouddha, définissable comme la capacité, pour une personne ordinaire, à manifester le même pouvoir, la même sagesse que le bouddha accompli. Chacun de ces états (y compris l’état de bouddha), soit est apparent et s’exprime, soit il reste latent. Dans ce cas on le dit inclus dans l’état qui est apparent, puisque bien qu’invisible sur l’instant présent, il peut se manifester dans celui d’après (19).
De même que les autres états, l’état de bouddha ne se limite pas à la personne constituée des cinq agrégats, il « couvre » également son environnement humain et non-humain, sensible et non-sensible. Voici ce qu’en dit Nichiren dans La doctrine des trois mille mondes – WND 180 : « En ce qui concerne les plantes et les arbres, Le scalpel de diamant (20) déclare : « Une plante, un arbre, un caillou, un grain de poussière, tout cela possède la nature et la sagesse de Bouddha et la fonction de les manifester à travers le mécanisme de cause et effet […] Si l’état de bouddha est présent chez les êtres non-sensitifs, à plus forte raison existe-t-il chez tous les êtres humains quels qu’ils soient. » (21)
Revenons sur la quasi-instantanéité de l’Éveil de la fille de Sagara dans le Sûtra du Lotus. Nous assistons en quelques instants à un processus qui, dans les enseignements antérieurs, auraient pris plusieurs vies. Cette scène illustre ce que l’on appelle la Voie directe. Certains commentateurs, notamment Saicho, fondateur de l’École japonaise Tendai, insistent sur l’immédiateté de cette réalisation et en déduisent que la bouddhéité ne nécessite pas forcément trois incalculables kalpas (éons) de pratique, comme cela était couramment admis. D’après Saicho, le Sûtra du Lotus offre une « Voie directe », grâce à laquelle certaines personnes peuvent atteindre la bouddhéité « dès ce corps » ou sans changer d’apparence (22).
Rappelons que dans les autres courants du bouddhisme, même le Mahayana, de nombreuses vies sont nécessaires pour parvenir à l’Éveil. En conséquence, seul un être très avancé sur la Voie peut y parvenir. Cet être, qui a déjà acquis des capacités hors du commun et s’est débarrassé de son mauvais karma, est souvent décrit comme un être extraordinaire, doté de toutes les vertus, et capables de prodiges (par exemple, les descriptions de bodhisattvas merveilleux dans les textes du Mahayana ou les pouvoirs du Bouddha, capable de voir dans tous les mondes de l’univers, de léviter, d’émettre un rayon depuis son front, d’avoir une langue qui monte jusqu’au ciel, etc.).
Loin de cette « magie », la Voie directe décrit le cas de ceux qui parviennent à l’Éveil avec les capacités d’un être ordinaire, sans avoir changé d’apparence d’une façon extravagante au cours de leur vie. L’une des raisons de cette divergence dans la notion du bouddha provient de ce que l’enseignement de Nichiren se présente comme le bouddhisme de la récolte, tandis que l’enseignement de Shakyamuni est celui de l’ensemencement (23).
Il existe une autre façon d’interpréter la voie directe et l’éveil sans changer d’apparence : l’état de bouddha que le disciple de Nichiren fait apparaître dans sa vie quotidienne, sans pour autant être parvenu à un haut degré d’Éveil. Par l’effet d’une pratique alimentée par la foi (ou la confiance d’un débutant), il se manifeste à travers les « résultats » ou bienfaits (24). Cette possibilité découle de ce que tous les êtres possèdent originellement la nature de bouddha à l’état latent. Ainsi, qu’il soit novice, homme « mauvais », femme, enfant, tout pratiquant peut accéder à cet Éveil-là.
La nature de bouddha innée nous amène à un autre concept, celui de l’Éveil atemporel ou primordial, encore appelé Éveil originel (jap. hongaku), opposé à l’Éveil différé (jap. shigaku), nous allons voir pourquoi. Cet Éveil atemporel serait celui dont les êtres vivants sont pourvus depuis toujours. Selon Ashvaghosa (25), dans un passé si lointain qu’il tend vers un temps infini, ces Éveils, originel et différé, n’en formaient qu’un. Soumis au temps, dans notre monde de Saha, la nature atemporelle de l’existence est devenue imperceptible aux êtres vivants. Ainsi serait née la distinction entre les deux Éveils, entre l’état de l’homme ordinaire et celui de bouddha. Nichiren traite longuement de ce sujet dans Le choix du cœur du Sûtra du Lotus – WND 235 adressé à Toki Jonin.
Dans ses écrits sur les femmes ou les lettres qu’il leur adresse, Nichiren n’a pas l’ambiguïté des textes bouddhiques indiens à leur égard. Nous constatons qu’il est, parmi les fondateurs d’école bouddhique, celui qui leur accorde le plus d’importance, à l’égal de l’homme déclare-t-il dans plusieurs lettres, comme dans La réalité ultime de tous les phénomènes – EdN 40 : « Il ne doit pas y avoir de discrimination entre ceux qui propagent les cinq caractères de Myoho renge kyo à l’époque de la Fin de la Loi, qu’ils soient hommes ou femmes. » Comme nous l’avons vu précédemment, à son époque, les Japonaises étaient reléguées à un rang inférieur à celui des hommes. Ce n’est donc pas la « pression sociale » ou religieuse qui a dicté sa position à Nichiren, au contraire. Nous trouvons ce qui l’a motivée dans de nombreuses lettres qu’il serait trop long de citer ici. L’article accessible en note 24 en fournit de nombreux extraits. À leur lecture, nous comprenons que Nichiren se réfère à des principes exposés dans le Sûtra du Lotus tels que la nature de bouddha inhérente à tous les êtres sensibles, l’Éveil sans changer d’apparence ou encore le véhicule unique, puisque celui-ci efface toute hiérarchie (26). Citons tout de même ici, ce texte éloquent de Nichiren : « Dans le volume cinq du Sûtra du Lotus, la fille du Roi-dragon dit : « Je dévoilerai la doctrine du Grand véhicule, je délivrerai de la douleur les êtres ». Quelle est cette doctrine du Grand véhicule ? C’est le Sûtra du Lotus. Et que signifie douleur des êtres ? Il ne s’agit pas de la souffrance des êtres dans le monde de l’enfer, pas plus que dans le monde des esprits faméliques. Il s’agit tout simplement de la vie des femmes, ces êtres dans la souffrance. On parle des cinq entraves et trois obéissances, les trois personnes à qui elles doivent obéir et les cinq choses impossibles à réaliser (27). La fille du Roi-dragon était une femme, elle avait fait l’expérience de la souffrance des femmes et elle les comprenait. C’est pourquoi elle se sentait concernée par cette unique tâche : guider et aider les autres femmes. » Shushishin gosho (Sur le souverain, le maître et le parent).
Enfin, nous remarquons qu’il a écrit un grand nombre de lettres à des femmes, ce qui montre que celles-ci étaient nombreuses à suivre ses enseignements, qu’elles soient ou non nonnes séculaires.

Nirvana et samsara

Nichiren évoque parfois le nirvana définitif, le parinirvana, dans lequel le bouddha décide d’entrer dans l’extinction suprême. Cependant, le plus souvent, il définit le nirvana comme l’un des deux aspects de la réalité (shoho jisso), l’autre étant le cycle des vies et des morts. Ce premier aspect de la réalité que la personne ordinaire ne peut saisir, explique-t-il, est accessible au bouddha réalisé mais aussi au pratiquant qui a foi en le Gohonzon et Nam myoho renge kyo. Parmi ses commentaires sur le sujet, il écrit dans Les désirs terrestres mènent à l’illumination – EdN 35 : « Pour saisir que les souffrances des naissances et des morts sont le nirvana (28), il faut s’éveiller au fait que la vie en soi, qui traverse le cycle des naissances et des morts ne connaît ni naissance ni disparition. On lit dans le Sûtra du bodhisattva Sagesse-Universelle que ‟sans se couper des désirs terrestres ni se séparer des cinq désirs, ils peuvent purifier tous leurs sens et effacer toutes leurs fautes“. Il est dit dans La Grande Concentration et intuition que ‟l’ignorance et l’impureté des désirs sont l’illumination et les souffrances des naissances et des morts sont le nirvana“. » Et dans Conversation entre un sage et un ignorant – EdN 13 : « Si vous redoutez vraiment le cycle des naissances et des morts et aspirez au nirvana, si vous persévérez dans votre foi et recherchez avec ferveur la Voie, alors les souffrances du changement et de l’impermanence ne seront plus que le rêve d’hier et le réveil de l’illumination deviendra la réalité d’aujourd’hui. »
Contrairement à d’autres écoles bouddhiques tardives japonaises, celle de Nichiren n’est pas revenue sur l’existence d’un atman, une âme qui transmigrerait de corps en corps pour, un jour, se désincarner définitivement en accédant au nirvana.
S’il cite plusieurs fois le nirvana dans ces écrits, comment définit-il le devenir ou la destination d’un Éveillé après sa mort ? La majorité de ses contemporains japonais, même ceux qui récitaient le
Sûtra du Lotus, et nombre de bouddhistes continentaux croyaient en une notion particulière de l’Éveil : la Terre pure du Bouddha Amitabha, un univers hors du nôtre, accueillait après leur mort les pratiquants méritants (29). C’était seulement dans ce monde dépourvu des impuretés et des malheurs qui souillaient le nôtre qu’ils pouvaient réaliser l’état de Bouddha et accéder au nirvana. Ce n’est pas son cas. Il fait parfois référence à la Terre pure, sans doute parce que cette croyance très répandue était parlante pour tous les Japonais. « Le lieu où demeure une personne qui pratique le Sûtra du Lotus, écrit-il, doit être considéré comme la Terre pure. Pourquoi se donner tant de mal à chercher autre chose ailleurs ? » (30)
Vers la fin de sa vie, cependant, Nichiren évoque « la Terre pure du Pic sacré du Vautour » (lieu où Shakyamuni a enseigné le Sûta du Lotus). Lui-même vieillissant, confronté à la nécessité de consoler des disciples qui avaient perdu des parents, des conjoints et des enfants ; la promesse de retrouvailles avec les disparus au sommet de la Terre pure du pic du Vautour apparaît fréquemment dans ses lettres (30). Si nous comparons ces textes avec ses écrits doctrinaux, nous comprenons que ce sont-là des paroles de consolation. La Terre pure du pic du Vautour n’a rien d’un lieu réel – quoique hors-monde – tel que la Terre pure d’Amitabha. Il la décrit ainsi dans L’objet de vénération pour observer l’esprit – EdN 39 : « Le monde Saha, révélé par le bouddha Shakyamuni dans le chapitre “Durée de la vie”, est la terre pure éternelle, qui n’est pas sujette aux trois calamités ni au cycle des quatre kalpa. Le Bouddha n’est pas entré dans l’extinction dans le passé pas plus qu’il ne naîtra dans l’avenir. Cela s’applique aussi à ses disciples et signifie que leurs vies sont parfaitement dotées des trois mille mondes, c’est-à-dire des trois niveaux d’existence. »
Ce passage fait référence à la cérémonie dans les airs du Sûtra du Lotus. Cette dimension « dans les airs » est une dimension éternelle, donc hors du temps, ainsi qu’il l’écrit dans La réalité ultime de tous les phénomènes – EdN 40 : « Il ne fait aucun doute, cependant, que dans ma vie présente je suis le pratiquant du Sûtra du Lotus et que, dans l’avenir, je pourrai me hisser immanquablement sur le siège de l’illumination. Si l’on juge le passé de ce point de vue, j’ai dû assister à la Cérémonie dans les Airs. Il ne peut donc y avoir de discontinuité entre les trois phases du passé, du présent et de l’avenir. »
Souvenons-nous de la définition du bodhisattva comme d’un être proche de l’Éveil qui décide pourtant d’y renoncer pour rester dans ce monde impur de saha et sauver les autres de la souffrance et nous avons, avec l’éternité de la Cérémonie dans les airs, deux aspects de la conception du nirvana de Nichiren.

Notes
1 – L’éveil s’oppose au sommeil. Dans ces deux états, la conscience existe. Dans le second, elle se manifeste sous la forme du rêve, une activité de l’esprit qui, quel que soit son but, est coupée de toute relation avec l’environnement et le présent. C’est cette comparaison que fait Nichiren dans L’Entité de la Loi merveilleuse – EdN 47 : « On pourrait comparer cela à une personne qui, dans un rêve, se voit en train d’accomplir diverses actions, bonnes et mauvaises. Au réveil, elle réalise qu’il ne s’agissait que d’un rêve produit par son seul esprit. Cet esprit correspond au principe unique de la nature fondamentale des phénomènes, le véritable aspect de la réalité (jap. shosho jisso), alors que le bien et le mal apparus dans le rêve correspondent [respectivement] à l’Éveil et à l’obscurité fondamentale. Lorsque l’on prend conscience de cela, on préfère évidemment sortir de l’obscurité liée au mal et à l’illusion et rechercher l’éveil qui se caractérise par le bien et l’illumination. »
2 –  Le Prince Siddhartha Gautama, qui a vécu vers le VIe siècle avant notre ère, surnommé le Sage du clan des Shakya, Shakyamuni, fondateur de la doctrine. La vénération dont il a fait l’objet à travers les âges lui a apporté d’autres qualificatifs tels que : Tathagata l’Ainsi-Venu, Bhagavat le Bienheureux, Jina Qui a vaincu, Susugata Qui s’en est parfaitement allé, pour ne citer que le sanskrit.
3 – Voir article sur le sujet sur ce site.
4 – (Jap.
san toku). Souverain, la capacité à juger les êtres. Maître, la capacité à les guider. Parent, la capacité à les aimer.
5 – Shravakas et les pratyekabouddhas, les auditeurs et les bouddhas-pour-soi. Deux catégories de disciples de Shakyamuni et, par extension, deux types de pratiquants: ceux qui suivent la Voie en écoutant les enseignements d’un maître et ceux qui suivent une Voie solitaire.
6 –Les textes du Hinayana distingues trois types d’Éveil :
– celui de l’auditeur qui a atteint le nirvaņa grâce à l’enseignement d’un bouddha, le shravakabuddha, appelé parfois arhat et pas toujours considéré comme un bouddha.
– celui de bouddha-pour-soi ou bouddha solitaire, le pratyekabuddha. Celui qui a trouvé la voie par lui-même, mais n’a pas les capacités de libérer d’autres êtres.
– Le samyaksambuddha, bouddha qui a atteint l’éveil pur et parfait (samyaksambodhi) par lui-même et a les capacités d’enseigner le Dharma. Atteindre cet éveil demande de suivre la voie de bodhisattva.
7 – Nous en avons des exemples dans le
Sûtra du Lotus, ainsi que celui-ci dans le Sûtra de Vimalakirti : « Or comme Vimalakirti et Manjushri disaient ces choses, dans l’immense assemblée, cent mille hommes et dieux engendrèrent l’esprit de l’insurpassable Éveil authentique et parfait, et dix mille bodhisattvas gagnèrent la patience à l’égard du néant de la naissance. » Tous ces personnages se sont éveillés à un aspect de la vérité de la vacuité et non à la réalité de tous les phénomènes, notamment les dieux pour qui la bouddhéité est inaccessible parce qu’ils résident dans le sixième monde, le ciel.
8 – Nagarjuna dans son
Traité du Milieu par excellence chap. XXV déclare :
« Il n’y a pas la moindre différence
Entre l’existence cyclique et la libération.
Il n’y a pas la moindre différence
Entre la libération et l’existence cyclique. »
9 – Nous prenons ici le terme Theravada (la voie des anciens) comme un courant particulier du bouddhisme ancien, proche du Hinayana qui est aussi appelé « petit véhicule ». Aujourd’hui, le Theravada est présent essentiellement au Sud-est asiatique.
10 –Le bouddhisme ancien est essentiellement monastique. Pour simplifier, nous dirons que les moines cherchent activement leur salut dans la religion, tandis que les laïcs font l’aumône et des offrandes aux moines pour alléger leur karma, autrement dit accumuler chance et prospérité.
11 – Bikkhu est un terme pali pour désigner un moine bouddhiste homme et bhikkhuni pour une femme. En sanskrit bhiksu et bhiksuni.
12 – Selon la tradition, Ananda a intercédé auprès du Bouddha à la demande de la mère nourricière de celui-ci, Mahapajapati, qui demandait depuis longtemps à ce qu’elle-même et toutes les femmes puissent devenir bhikkhuni.
« Seigneur, des femmes qui s’engageraient dans la vie sans demeure selon ton Dhamma et ta discipline pourraient-elles atteindre la perfection (c’est-à-dire l’illumination) ?
Oui, Ananda.
Seigneur, puisqu’elles en ont sont capables et puisque Mahajapati Gotami t’a rendu grand service, à la fois comme tante du Bienheureux et aussi, après la mort de ta vraie mère, comme seconde mère, gardienne et nourrice, pour cette raison même ce serait bien si tu permettais aux femmes d’entrer dans la vie sans demeure selon ton Dhamma et ta discipline.
– Ananda, si Mahapajapati promet d’observer huit règles supplémentaires, que cela lui tienne lieu d’ordination. »
Parmi ces huit règles nous trouvons : une nonne s’incline toujours devant un moine, même si elle est bhikkhuni depuis cent ans et qu’il vient juste d’être ordonné, ou encore, une nonne ne peut faire de reproches à un moine, mais un moine peut lui faire des reproches.
13 – De nombreux sûtras du Mahayana n’existent que sous forme de fragments dans les langues anciennes de l’Inde ou de l’Asie centrale et ceux que l’on connaît dans une version sanskrite intégrale, sont contemporains ou postérieurs à leur traduction chinoise (à partir du Ve siècle de notre ère). Les historiens s’accordent toutefois sur l’opinion qu’ils ont été fixés sous leur première forme écrite, le plus souvent en sanskrit, entre le Ier et le IIIe siècle. S’il y a donc eu une dérive, une évolution ou un enrichissement des textes depuis l’époque à laquelle le Bouddha a prononcé ses discours ou sermons, ce qui est également admis par les spécialistes, elle s’est faite lorsque les sûtras n’existaient que sous une forme orale aisément modifiable.
14 – Respectivement,
Sukhavatī vyuha sûtra, Lankāvatāra sûtra, Shrimālā devī simhanāda sūtra et Sadharmapundarika sûtra. Le Sûtra de la reine Shrimala est un prêche fait par la fille du roi Prasenajit du Kosala, soutenue par le pouvoir de Shakyamuni. Celle-ci expose la doctrine du véhicule unique et précise que la nature de bouddha est inhérente à tous les êtres sensibles (sans exception du sexe, de l’extraction ou de la moralité).
15 – Le véhicule (skt yana) peut être défini par ce qui permet de passer de l’état d’ignorance à l’Éveil ou la libération, ce qui permet d’aller « sur l’autre rive », celle de la perfection. Il s’agit donc d’une méthode, d’un enseignement et non d’une école. Le Sûtra en distingue quatre, les trois voies saintes), auditeurs, bouddhas-pour-soi et bodhisattvas, plus le véhicule unique (skt
ekayana, jap. ichijo) qui est le Sûtra lui-même selon, en particulier, la parabole de la maison en feu entre autres. D’autres écoles en décrivent deux ou encore neuf, et pour le Théravada, le véhicule unique est celui des auditeurs. En ce qui concerne le véhicule unique dans le Sûtra du Lotus, les commentateurs chinois étaient partagés sur l’hypothèse qu’il fût identique ou différent du véhicule du bodhisattva. Après tout, jusque-là, celui-ci était considéré comme le modèle dans le Mahayana et il était présenté comme supérieur aux deux autres. Dans ce cas, pourquoi ne serait-il devenu qu’un moyen approprié (jap. hoben) au même titre que ceux-ci pour accéder au véhicule unique ? Tel est pourtant le point de vue de Zhiyi, le plus répandu parmi les écoles bouddhiques de Chine et du Japon. Pour lui, le véhicule unique englobe en même temps tous les moyens (hoben). Souvenons-nous que c’est grâce à la promesse des trois véhicules que les enfants de la parabole ont obtenu le Véhicule unique qui allait au-delà de leurs désirs. Sans les uns, point de l’autre.
16 – La scène est décrite ainsi : « Alors tous les participants de l’assemblée purent voir la fille du roi-dragon se transformer en l’espace d’un instant en homme, mener à terme toutes les pratiques d’un bodhisattva, se mettre en route aussitôt vers le Monde-sans-souillure-du-sud, s’asseoir sur un lotus en pierreries et parvenir à l’illumination correcte et impartiale. » Voilà un épisode troublant pour celui qui cherche à s’appuyer sur le
Sûtra du Lotus pour ce qui est de l’égalité des sexes. La plupart des religions, philosophies matérialistes ou opinions qui n’admettent qu’une vie unique sur cette Terre tracent une séparation radicale, substantielle et éternelle entre mâles et femelles, hommes et femmes. Pour les religions du Livre, les êtres conservent leur sexe même après la mort, au paradis ou suite à la résurrection de la chair de la fin des temps. Le bouddhisme n’a jamais affirmé qu’à travers le cycle du samsara nous conservions toujours le même sexe. Dans sa vision de l’univers, le sexe, la condition sociale, les qualités, l’origine ethnique ne sont pas l’essence de l’être, ils sont l’une des résultantes de notre karma, l’assemblage temporaire des cinq éléments, ils sont donc vides de substance (voir les trois domaines de l’existence). De plus, tous les exégètes et adeptes du Sûtra du Lotus n’interprètent pas ce passage qui traite de la fille du roi-dragon dans le sens d’une transformation obligatoire de la femme en homme. Le caractère symbolique de la scène est évident : voilà un être qui change de sexe, mène à terme toutes les pratiques des bodhisattvas, se met en route vers un autre univers, puis parvient à l’Éveil, et tout cela dans l’instant ! C’est bien là une description imagée de l’éveil soudain.
Notons que ce passage figurait dans la première version du Sûtra du Lotus traduite en chinois par Dharmaraksha fin IIIe siècle, de même que le texte sanskrit qui a servi à la traduction en français de Burnouf,
Le Lotus de la bonne Loi. Par contre, absente de la traduction originale de Kumarajiva, elle y a été ajoutée quelques décennies après sa mort. Faut-il voir là l’indice d’une lutte entre factions sexistes et égalitaires dans les monastères ?
17 – Voir sur le sujet l’excellent article : Histoire des femmes dans le bouddhisme japonais – point de vue de Nichiren sur la bouddhéité des femmes par Toshie Kurihara de l’Institute of Oriental Philosophy à l’Université Soka de Tokyo.
18 –
Soku signifie équivaloir, s’identifier, se transformer ou, encore, mener à. Nous le trouvons dans de nombreuses expressions telles que « les désirs/passions se transforment en (mènent à) l’illumination bonno soku bodai, le monde saha est la terre de lumière toujours paisible shaba soku jakkodo, le cycle naissances et morts s’identifie au nirvana shoji soku nehan, devenir bouddha sans changer d’apparence sokushin jobutsu, recevoir et garder (le Gohonzon) mène à la perception de l’état de bouddha inhérent à sa propre vie juji soku kanjin, l’homme ordinaire équivaut au bouddha, bompu soku goku, les trois propriétés du Bouddha se retrouvent en un seul Bouddha sanjin soku ichi, etc.
19 –Le néant est un concept étranger au bouddhisme qui lui substitue celui de la vacuité. Ainsi le phénomène qui vient à se manifester ne surgit pas du néant et, s’il disparaît, il ne retourne pas au néant ( voir Les trois vérités).
20 – Dans ce texte, Zhanran soutient la doctrine de l’Éveil pour les êtres non-sensitifs et toutes les catégories de personnes sans distinction, réfutant la position des écoles mahayanistes chinoises Huayan et Faxiang.
21 – Voici ce que Nichiren précise dans la
Transmission orale sur l’éveil des végétaux – GZ 1339 :
« Question : l’Éveil des végétaux relève-t-il du sensitif ou du non sensitif ?
Réponse : l’Éveil des végétaux est l’Éveil du non sensitif.
Question : le sensitif comme le non sensitif deviennent-ils bouddhas dans le Sûtra ?
Réponse : Effectivement.
Question : Quelle en est l’attestation scripturaire ?
Réponse : C’est Myoho renge kyo. Myoho est l’Éveil du sensitif. Renge est l’Éveil du non sensitif. Le sensitif est l’Éveil de la vie et le non sensitif est l’Éveil de la mort. l’Éveil de la vie et de la mort désigne la bouddhéité du sensitif et du non sensitif. »
22 – L’éveil sans changer d’apparence (jap.
sokujin jobutsu) ou encore l’Éveil dès ce corps. Voici ce qu’en dit Nichiren dans L’atteinte de la bouddhéité dans son principe et dans son aspect réel – WND 329 : « Le grand maître Dengyô dit : “La fille du Roi-Dragon, qui enseigna, n’avait pas pratiqué pendant des éons ; les êtres à qui elle enseigna n’avaient pas pratiqué non plus pendant des éons. L’enseignante comme les enseignés n’ont pas pratiqué pendant des éons. Le pouvoir du Sûtra de la Loi merveilleuse est de permettre de devenir Bouddha sans changer d’apparence”. Il existe par ailleurs deux formes d’Éveil sans changer d’apparence dans le Sûtra du Lotus : la doctrine éphémère enseigne l’ Éveil sans changer d’apparence dans son principe et la doctrine originelle de l’ Éveil sans changer d’apparence dans son accomplissement. C’est pourquoi l’aspect physique [d’une personne], tel qu’il est, est l’Ainsi-Venu qui, dans son état originel, est éternellement doté des trois corps. »
23 – Shakyamuni a d’abord planté la graine de l’Éveil dans la vie de ses disciples dans un passé très lointain ; il l’a nourrie pendant leurs innombrables vies suivantes pour les amener finalement à l’Éveil avec le du Sûtra du Lotus. En d’autres termes, il a exposé son enseignement essentiel dans le but de récolter l’Éveil. Cet enseignement est donc appelé le bouddhisme de la récolte.
Nichiren a concrétisé
Nam myoho renge kyo (la graine primordiale de l’Éveil, possédant en elle-même les trois étapes de l’ensemencement, de la maturation et de la récolte) sous la forme du Gohonzon. Comme son enseignement fournit la graine primordiale de l’état de bouddha, on l’appelle le bouddhisme de l’ensemencement. Les hommes qui vivent à l’époque des Derniers jours du Dharma, par définition, n’ont jamais reçu du Bouddha la graine de l’Éveil dans le passé. Ils peuvent la recevoir en pratiquant le bouddhisme de l’ensemencement qui plante la graine primordiale de l’Éveil dans leur vie. De plus, en pratiquant Nam myoho renge kyo, ils peuvent achever le processus de maturation et de récolte au cours de leur présente vie.
Transmisson des enseignements oraux chapitre XVI : « Quoi qu’il en soit, ce chapitre [chap. XVI du Sûtra du Lotus] ne représente pas l’enseignement essentiel pour le dernier jour de la loi. La raison en est que ce chapitre incarne le bouddhisme de la moisson propre au temps où le Bouddha était dans le monde. Mais seuls les caractères du daimoku constituent le bouddhisme de l’ensemencement qui convient au temps présent. »
24 – Ces résultats ou bienfaits (skt guna, jap. kudoku) signifient œuvres et vertus, œuvres étant l’action positive qui entraîne la vertu ou effet positif. Dans la Lettre au moine séculier Domyo – EdN 90, Nichiren écrit : « En matière de prière, il y a la prière ciblée et la réponse apparente, la prière ciblée et la réponse latente, la prière non ciblée et la réponse latente, et la prière non ciblée et la réponse apparente. Mais un seul point est ici essentiel : si vous croyez dans ce Sûtra, tous vos désirs seront exaucés, dans le présent et dans l’avenir. » Les résultats obtenus par la pratique du bouddhisme sont consécutifs au fait que celle-ci a pour but la purification du karma, ce qui immanquablement doit se traduire favorablement dans tous les domaines de la vie et pas seulement celui de la pensée.
25 – Ashvaghosa, 2e siècle de notre ère, philosophe, mais aussi poète. L’un des quatre grands sages du bouddhisme indien avec Nagarjuna, Aryadeva et Kumaralata.
26 – Au-delà de ces considérations doctrinales, l’attitude de Nichiren remise dans le contexte de son époque et son pays peut étonner. Dans sa lettre
Récitation des chapitres Moyens opportuns et La durée de la vie de l’Ainsi-Venu – EdN 9, il répond avec humanité et naturel à des questions très féminines, sur un sujet tabou dans le Japon médiéval, ainsi d’ailleurs que dans de nombreuses sociétés passées et même présentes à travers le monde. Objet des superstitions les plus diverses, le sang des règles étaient considéré comme impur et maléfique. Pourtant, explique-t-il à sa correspondante, « c’est un phénomène inhérent à la nature féminine, lié à la perpétuation de la graine de la naissance et de la mort ».
27 – Elles sont issues à la fois de l’Inde et de la Chine confucianiste. Les cinq impossibilités pour une femme sont de renaître dans sa vie prochaine en tant que Brahma, Indra, un roi-démon, un roi-faisant-tourner-la-roue ou un bouddha et elle doit l’obéissance, au cours de sa vie, à son père, à son mari, puis à son fils. Les cinq entraves sont également en Inde la convoitise sensuelle, la malveillance, la torpeur physique et mentale, l’inquiétude et le doute.
28 – En japonais
shoji soku nehan. Nichiren n’utilise pas le mot rinne qui est en japonais le samsara, soit les successions des passages d’une vie à l’autre de l’atman, concept issu de l’hindouisme. Il lui préfère soju traduction du sanskrit jatimara signifiant naissance-mort. Nous pouvons développer cette expression ainsi : la succession des naissances et décès des êtres dans un cycle qui ne suppose aucun au-delà, mais un état d’existence et un état de latence, ce qu’il explique ensuite.
29 – C’est ce qu’enseigne l’Amidisme ou écoles de la Terre pure, branche du bouddhisme qui préconise comme pratique principale la récitation de
Namu amida butsu au Japon ou encore Nam mô A Di Đà Phật au Vietnam.
30 – Voici le passage du
Traité pour la protection de la Nation (Shugo kokka ron) rédigé en 1259 d’où est tiré cet extrait : « Le chapitre Durée de la vie, le cœur et le noyau des vingt-huit chapitres du Sûtra du Lotus, déclare, ‘‘Et toujours depuis j’ai [Shakyamuni] été en ce monde Saha’’. Il ajoute : “[Mais] je suis toujours ici.’’ Et encore une fois, il déclare : ‘‘Ma Terre pure est indestructible’’. D’après ces passages, le Bouddha du Dharma parfait dans son essence originelle, l’Éveillé depuis le passé incommensurable, réside dans ce monde. Pourquoi devrait-on abandonner ce monde et aspirer à une autre terre ? Par conséquent, le lieu où demeure une personne qui pratique le Sûtra du Lotus doit être considéré comme la Terre pure. Pourquoi se donner tant de mal à chercher autre chose ailleurs ? » (Trad. de G Renondeau)

Sens et origines de Nam myoho renge kyo

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Portrait de Nichiren. Peinture du XIVe siècle actuellement au temple Kuon-ji de la Nichiren Shu à Minobu au Japon

Mise à jour septembre 2017

La pratique commune et essentielle de toutes les écoles du bouddhisme de Nichiren est la récitation du mantra (1) Nam(u) myoho renge kyo. Cette expression est écrite en chinois, avec un mot d’origine sanskrite pour Namu (2), et prononcée en japonais pour Myoho renge kyo (3). Elle signifie : « se consacrer », suivie de « Sûtra de la Fleur de Lotus de la Loi merveilleuse », titre intégral du Sûtra du Lotus, enseignement central du bouddhisme de Tiantai* et Nichiren. Hokkekyo, que l’on rencontre parfois dans les textes est une abréviation de ce titre.

Nous avons donc pour premier sens :
« Se consacrer au Sûtra de la fleur du lotus de la Loi merveilleuse ».

L’origine de Nam myoho renge kyo

Nichiren a récité pour la première fois Nam myoho renge kyo, seul, face au soleil levant, sur une colline près du temple Seicho-ji, le 28 avril 1253. Le jour même à midi, dans le hall du temple, il a commencé à enseigner sa doctrine. Il a déclaré dans La tortue borgne et le morceau de bois flottant – EdN 130  :
« J’ai été le premier à avoir récité
Nam myoho renge kyo au Japon. Durant les quelque vingt ans écoulés depuis l’été de la cinquième année de l’ère Kencho [1253], moi seul ai récité Nam myoho renge kyo jour et nuit, matin et soir. »
Ceux qui s’intéressent à Nichiren et au courant bouddhique auquel il a donné naissance connaissent cette citation. Cependant, tous n’ont peut-être pas remarqué que, dans sa déclaration, il n’a pas prétendu qu’il était « l’inventeur » de
Nam myoho renge kyo, seulement qu’il a été le premier à le réciter au Japon (et plus précisément, en public, comme nous le comprenons un peu plus loin).
Il s’est fait plus précis sur le sujet dans
L’entité de la Loi merveilleuse – EdN 47 :
« … lorsqu’ils réapparurent en ce monde [respectivement sous la forme de Huisi et de Zhiyi*], ils savaient que le moment n’était pas approprié pour propager la Loi merveilleuse. Par conséquent, aux mots « Loi merveilleuse », ils substituèrent les termes « concentration et intuition » et s’engagèrent plutôt dans la méditation sur les trois mille mondes en un instant de vie et la pratique de la triple contemplation de l’unité. Mais, même ces grands maîtres récitèrent
Nam myoho renge kyo en privé et ils comprirent intérieurement que ces mots exprimaient la vérité.
Ainsi, le Grand Maître Huisi, dans sa
Méthode de repentance par la méditation du Sûtra du Lotus (4), emploie les mots Namu myoho renge kyo. Le Grand Maître Zhiyi emploie les mots Namu byodo daie ichijo Myoho renge kyo, Keishu Myoho renge kyo et Kimyo Myoho renge kyo (5). Et le document, concernant le vœu émis par le Grand-maître Dengyo (6) sur son lit de mort, contient les mots Nam(u) myoho renge kyo.
Question : Toutes ces preuves littérales que vous avez apportées sont parfaitement claires. Mais si ces hommes connaissaient la vérité, comme cela semble évident, pourquoi, alors, ne l’ont-ils pas largement fait connaître ?
Réponse : Pour deux raisons. Tout d’abord, le moment approprié n’était pas encore venu. Ensuite, ces hommes n’étaient pas les personnes à qui cette tâche avait été confiée.
Les cinq caractères de
Myoho renge kyo constituent la grande Loi pure qui serait largement propagée à l’époque de la fin de la Loi. Et elle fut confiée aux grands Bodhisattvas surgis de Terre, en nombre égal aux particules de poussière de mille mondes. Voilà pourquoi Huisi, Zhiyi et Dengyo, bien qu‘ayant perçu la vérité au fond de leur cœur, laissèrent le soin au maître de la Fin de la Loi (7), de la propager largement, tout en s’abstenant eux-mêmes de le faire. »
Nous trouvons également
dans Sur la transmission des trois grandes lois ésotériques – WND 353 :
« Le titre (daimoku) est de deux sortes : celui des périodes du dharma correct et du dharma formel, et celui des derniers jours du dharma. Vasubundhu et Nagarjuna avaient l’habitude de réciter le Sûtra, mais leur récitation du mantra n’allait pas plus loin qu’une pratique personnelle ascétique (8). À la période du dharma formel, Huisi, Zhiyi et les autres récitaient aussi le titre, mais également comme une pratique ascétique personnelle ; et celui-ci n’était pas enseigné pour le bénéfice des autres. Le daimoku était pris comme un concept à méditer.
Mais maintenant – comme nous vivons aux derniers jours du dharma – le titre que moi, Nichiren, récite est nettement différent de celui des périodes précédentes : c’est le
Namu Myoho Renge Kyo qui comprend à la fois la pratique personnelle et pratique pour autrui (jap. jigyo keta). Ce sont les cinq mots qui expriment le quintuple mystère des nom, entité, qualité, fonction et influence (9). »
Dans
Le daimoku du Sûtra du Lotus – EdN 14, Nichiren a même affirmé : « C’est seulement à l’âge de soixante-douze ans qu’il [Shakyamuni] se mit à réciter pour la première fois Myoho renge kyo, le daimoku du Sûtra » (10).
Nous reviendrons dans le dernier chapitre sur les questions de langage que pose ce texte.Tout d’abord, de quelle manière interpréter ces déclarations par rapport à la tradition bouddhique ? Est-ce une rupture de Nichiren avec le bouddhisme de Shakyamuni ou, au contraire, l’affirmation que son enseignement en est le prolongement, l’aboutissement, pour l’époque de la Fin de la Loi, notre époque ? C’est, depuis longtemps, un sujet à controverse entre les moines des écoles Tendai et Nichiren. Nous verrons plus loin que la révélation publique de sa doctrine et de
Nam myoho renge kyo en 1253 n’est en rien une invention de sa part. Elle est le fruit de ses années de recherches au Seicho-ji, où il était entré comme novice, et surtout au mont Hieï près de Kyoto où se trouvaient de nombreux temples, dont les deux plus anciens de l’école Tendai, qui constituaient la plus importante source de documents chinois et japonais du pays.

Signification de Nam myoho renge kyo

Nous en avons vu un premier sens général, voici quelques explications mot à mot, idéogramme par idéogramme – ceux-ci ayant souvent des sens multiples et complexes –, extraites de la Transmission des enseignements oraux (Ongi kuden), la série des cours sur le Sûtra du Lotus que Nichiren a donnée au temple du Mont Minobu entre 1275 et 1277, retranscrite par son disciple Nikko* :
« L’enregistrement des enseignements oraux dit : Namu [ou nam] est un mot sanskrit. Ici, il signifie consacrer sa vie à la Personne et à la Loi. Pour le sens de la Personne, consacrer sa vie au Bouddha Shakyamuni ; pour le sens de la Loi, consacrer sa vie au Sûtra du Lotus. « Consacrer » définit le dévouement au principe de la vérité éternelle et immuable de l’enseignement théorique et « vie » indique que la vie, dédiée à ce principe, se base sur la sagesse de la vérité de l’enseignement essentiel qui fonctionne en accord avec les circonstances changeantes. En substance, on consacre sa vie à Nam myoho renge kyo.
Un commentaire [de Dengyo] dit : « Celui qui s’accorde avec des circonstances changeantes, celui qui reste immuable, ceux-là sont tranquilles et brillants en un seul instant de la vie. » (11)
Encore une fois, « consacrer » fait référence à l’élément de la forme matérielle tel qu’il se rapporte à nous, tandis que « vie » se réfère à l’élément de l’esprit tel qu’il se rapporte à nous. Mais l’enseignement ultime nous dit que la forme et l’esprit ne sont pas deux choses différentes. Ainsi que l’explique un commentaire [Les Annotations sur le Sens profond du Sutra du Lotus Vol. I] : « Parce que [Le Sûtra du Lotus] nous conduit à la vérité ultime, il est appelé le véhicule du Bouddha. »
On doit également noter que le nam[u] de Nam myoho renge kyo est un mot sanskrit, tandis que myoho, renge et kyo sont des mots chinois. Sanskrit et chinois se joignent en un seul instant pour former Nam myoho renge kyo. Le titre en sanskrit est Saddharma pundarika sûtram. Ce qui est traduit par Myoho renge kyo. Sad (le changement phonétique de sat) signifie myo ou merveilleux. Dharma signifie Ho, Loi ou tous les phénomènes. Pundarika signifie renge ou fleur de lotus. Sûtram signifie kyo ou sûtra. Les neuf caractères [qui représentent le titre sanskrit] sont les corps de Bouddha des neuf honorés (12), ce qui exprime l’idée que les neuf états de vie sont inséparables de l’état de bouddha.
Myo a le sens de nature du Dharma ou illumination, tandis que ho représente l’obscurité ou l’ignorance. Ensemble myoho exprime l’idée que l’ignorance et la nature du Dharma sont une seule entité. Renge représente les deux éléments de la cause et de l’effet, qui sont aussi une entité unique.
Kyo signifie les mots et les voix de tous les êtres vivants. Un commentaire [sur le Sens profond du Sûtra du Lotus Vol. I] dit : « La voix transporte l’œuvre du Bouddha, cela se nomme kyo, ou sûtra ». Kyo peut également être défini comme ce qui est constant et immuable dans le trois existences du passé, présent et futur. Le domaine du Dharma est myoho, la loi merveilleuse, le domaine du Dharma est renge, la fleur de lotus, le domaine du Dharma est kyo, le sûtra.
Renge, la fleur de lotus, est les corps de Bouddha des neuf honorés assis sur le lotus à huit pétales. Pensez à toutes ces choses avec précaution. »

   • Nous avons maintenant en deuxième analyse :

Nam se consacrer physiquement et spirituellement
à travers la personne et la Loi
à
Myoho le Dharma merveilleux (ou mystique)
qui représente l’identité de l’état de bouddha et des neuf autres états de vie, les principes de l’ignorance équivaut à la nature du Dharma (jap. mumyo soku hossho) et de la non-dualité de l’impur et du pur (13), la fusion de la réalité objective et la sagesse subjective (jap. kyochi myogo) (14)
de
Renge la loi de causalité
à travers l’inclusion mutuelle des dix états et la non-dualité et la simultanéité de la cause et de l’effet
par
Kyo les voix
qui transmettent l’oeuvre du Bouddha contenue dans le Sûtra

D’autres écrits de Nichiren livrent des commentaires détaillés sur Namu et Myoho renge kyo (15). Faute de place et de temps, nous nous en tiendrons là ; à partir de Nam myoho renge kyo nous pourrions exposer l’entièreté de la philosophie bouddhique ! De même nous n’en approfondirons pas le sens étymologique. Pour les lecteurs que ce sujet intéresse, voici un lien sur un article très instructif, en français  :

ETYMOLOGIE DE NAM MYOHO RENGE KYO.

Questions de fond

Littéralement, Myoho renge kyo est le titre du Sûtra du Lotus (16). Selon Nichiren, le titre d’un texte contient et exprime l’intégralité de l’œuvre (Sur les dix modalités, WND – 179) : « … il est enseigné qu’une seule récitation de Nam myoho renge kyo équivaut à une récitation de l’ensemble du Sûtra du Lotus de la manière prescrite par les sûtras et avec la juste compréhension de son sens, que dix récitations sont équivalentes à dix récitations du Sûtra, une centaine est équivalente à une centaine de celles du Sûtra, la récitation de mille équivaut à mille récitations du Sûtra, toutes réalisées selon les prescriptions des sûtras. Et celui qui a une telle foi peut être considéré comme une personne qui effectue la pratique religieuse telle que le Sûtra la prescrit. Nam myoho renge kyo. »
Avec la juste compréhension de son sens, précise Nichiren. Comme  le Sûtra du Lotus est l’essence de tous les enseignements du bouddhisme, qu’il désigne le Dharma lui-même, réciter Nam myoho renge kyo équivaut à pénétrer et réaliser le Dharma. Dans d’autres lettres, il explique que la récitation de Nam myoho renge kyo a pour effet de révéler ou d’éveiller notre état de bouddha (Comment ceux qui aspirent initialement à la Voie peuvent atteindre la bouddhéité – EdN 110) : « Quand nous révérons le Myoho renge kyo inhérent à notre vie, en tant qu’objet de vénération, la nature de bouddha inhérente à notre vie est appelée à surgir et elle est rendue manifeste par la récitation de Nam myoho renge kyo… Quand nous récitons la Loi merveilleuse à voix haute, notre nature de bouddha, ainsi appelée à surgir, se manifeste immanquablement. »
Nichiren a-t-il trouvé des arguments logiques, qu’il a pu révéler ou pas, pour justifier la pratique de la récitation de Nam myoho renge kyo ? Comme nous l’indiquons plus haut, après de longues études du Sûtra, nul doute qu’il a acquis de celui-ci une connaissance sans pareille dans tout le Japon. Il n’a donc pas pu lui échapper le fait que la pratique principale du Sûtra du Lotus n’est autre que le Sûtra du Lotus lui-même. Sous quelle forme, selon lui ? Il le précise dans Le daimoku du Sûtra du Lotus – EdN 14 : « Accepter, garder, lire, réciter, se réjouir et protéger dans leur totalité les huit volumes et les vingt-huit chapitres [ du Sûtra du Lotus] correspond à ce que l’on appelle la pratique complète. Accepter, garder et protéger le chapitre “Moyens opportuns” et le chapitre “Durée de la vie” est ce que l’on appelle la pratique abrégée. Ne réciter qu’une strophe en quatre vers ou le daimoku, et protéger ceux qui font de même, est ce que l’on appelle la pratique essentielle. Ainsi, parmi ces trois sortes de pratiques, complète, abrégée et essentielle, le daimoku est présenté comme la pratique essentielle. »
Pour aller plus loin sur le caractère inclusif du Sûtra (qui se réfère à lui-même), nous pouvons comprendre à sa lecture qu’il est tout à la fois
la pratique et la Voie (Dharma). Tel est le sens de la parabole de la maison en feu (chap. III du Sûtra du Lotus) notamment. Dans celle-ci, pour convaincre ses enfants de fuir l’incendie, le médecin leur promet trois chariots tirés par un mouton, un cervidé et un bœuf (les trois véhicules de l’étude, la pratique pour soi et la voie du bodhisattva), mais lorsqu’ils sortent, ils découvrent un merveilleux chariot auquel est attelé un bœuf blanc, symbolisant le Sûtra lui-même, qui est ainsi désigné comme la pratique essentielle en remplacement des trois autres. Les trois véhicules ne sont plus que des moyens (hoben) pour comprendre et accéder au véhicule unique, le seul à permettre d’atteindre l’Éveil.
Cette doctrine du véhicule unique a pour corollaire la bouddhéité pour tous, ce qui n’était pas le cas des trois véhicules ; aucun de ceux-ci ne menaient aux étapes ultimes de la pratique, tandis que le Sûtra est accessible à tous les êtres humains sans exception. Du point de vue des dix états, on peut considérer que le véhicule unique représente l’état de bouddha, en parallèle avec les trois véhicules qui représentent les états d’études, d’éveil-pour-soi et de bodhisattva. Dans ce cas, la bouddhéité n’est plus seulement le but de la pratique du bouddhisme, elle devient cette pratique elle-même ; l’Éveil ne s’atteint pas, il se réalise dans notre vie quotidienne (17).

Questions de forme

Sur les aspects formels du daimoku, la prononciation ou la vitesse, Nichiren ne donne aucune indication. Nous pouvons le constater au travers d’enregistrements accessibles sur internet, dans la plupart des écoles Nichiren, dont la Nichiren Shu, on prononce NAMU, avec un « U » à peine perceptible. Dans la Soka Gakkai et la Nichiren Shoshu on prononce NAM. À noter que, dans la version du Gongyo qui était commune à celles-ci jusque dans les années 1990 et que la seconde a conservé, le « hikki daimoku », un NAMU prolongé, était utilisé après chaque prière silencieuse.
Rien ne permet de dire lequel des deux partis est dans la tradition correcte ni s’il y en a bien un qui se trompe, pour une bonne raison : il est impossible de savoir comment Nichiren récitait le daimoku. La langue parlée au Japon a évolué depuis son époque, des différences locales ont pu se créer et s’accentuer avec le temps. D’autre part, cette langue possède aujourd’hui une particularité qu’elle n’avait pas forcément jadis : lorsqu’un mot d’au moins deux syllabes se termine par une syllabe en « u », celle-ci est muette, comme le « e » final en français. À l’intérieur du mot, par contre, elle se prononce (voir exemples dans le texte phonétique du kyobon). Par conséquent, Nam myoho renge kyo représente deux mots et Namu myoho renge kyo un seul. En français, langue phonétique, il faut bien choisir entre les deux pour l’écrire, d’où une certaine confusion entre namu et nam.
D’autre part, quand Nichiren écrit que Zhiyi récitait Nam myoho renge kyo, il utilise des idéogrammes (chinois ou japonais, c’étaient les mêmes caractères que voici : 南無妙法蓮華経) sans aucune indication phonétique, par conséquent, il ne nie ni n’affirme que le maître chinois récitait un mantra se rapprochant phonétiquement de Nammu Miaofalianhuajing plutôt que Nam myoho renge kyo. Shakyamuni, lui, ne connaissait pas le japonais qui devait être bien différent de celui du XIIIe siècle ! (18).
Nous avons dépassé le domaine de la prononciation, pour aborder celui de la langue. À ce sujet, Nichiren n’ayant pas déclaré que l’on pouvait obtenir les mêmes bénéfices à réciter Nam myoho renge kyo que sa traduction dans une autre langue, nous pouvons admettre que ce n’est pas le cas. Pourquoi ? La question de l’adaptation de l’enseignement au temps est primordiale en bouddhisme. La langue que parlait le Bouddha a disparu depuis longtemps et celui-ci, tout comme Zhiyi, avait des pratiques adaptées à son époque et non à celle de la Fin de la Loi (jap. mappo) qui est la nôtre. S’il existe d’autres raisons, nous n’en avons aucune trace écrite.
Pour revenir au présent, nous constatons des différences de prononciation du daimoku d’une langue à l’autre, d’une personne à l’autre. En ce qui concerne la vitesse de récitation, il en est de même, individuellement ou selon les écoles du bouddhisme Nichiren, les membres de la Soka Gakkai semblant les plus pressés !… Est-ce le nombre de daimoku qui compte au détriment d’une articulation correcte ? Est-ce au contraire un phrasé intelligible et une concentration sur la prononciation de chaque mantra ? À vouloir aller trop vite, on finit par dire quelque chose qui ne ressemble plus à rien, du genre « namyorengyo ». Existe-t-il une limite au-delà de laquelle ce qu’on récite est si déformé qu’il n’a plus aucun effet ? C’est là une affaire personnelle ou qui réclame les conseils des aînés dans la pratique. Faute d’une documentation fiable sur le sujet, difficile d’y répondre ici.
Ces divergences nous prouvent tout de même une chose : Nam myoho renge kyo n’est pas une formule magique à reproduire fidèlement, son pouvoir est aussi mystérieux que la vie, puisque c’est la vie elle-même. Le plus important, n’est-ce pas ce que Nichiren répète tout au long de ses écrits : « Vous devez croire en ce Gohonzon de tout votre cœur », autrement dit la confiance, qui devient ensuite la conviction.

Notes :

1 – Mantra est un terme sanskrit dérivé du verbe man (penser). La pratique du mantra consiste en la répétition d’une formule concentrée, comme Nam myoho renge kyo, Aom Ah Houm ou encore le fameux Om hindouiste, puisqu’elle n’est pas propre au seul bouddhisme, mais également utilisée par d’autres religions d’origine indienne. À noter que le dharani, dont nous trouvons quelques exemples dans le Sûtra du Lotus, est un forme longue du mantra. Cette pratique est basée sur le pouvoir supposé du son sur son environnement et sur le fait que la parole fait partie des trois sortes d’actions (pensée, parole, acte). Ce qui explique que la plupart des mantras restent dans la langue dans laquelle ils ont été créés, même lorsqu’ils comportent deux éléments d’origine différente comme Nam myoho renge kyo, et que d’autres n’ont aucune significations ou on les prétend écrits dans une langue non-humaine. Dans le chapitre XXVI du Sûtra nous trouvons une série de ces mantras et dharanis purement phonétiques.
2 – Expression d’origine pali (
namo), puis sanskrite (namas). Elle a donné, en Inde et au Népal, « namasté » qui signifie salutation et désigne également la posture mains jointes des bouddhistes pendant la récitation des sûtras et mantras. En chinois, elle se prononce nammu, en japonais namu et en vietnamien nam-mo. Avec, à l’origine, le sens de dévotion à, hommage à, salutation à, adoration pour, faire don à etc., elle a pris en Chine et au Japon celui de « consacrer sa vie à ». Elle est à la base de mantras utilisés par plusieurs écoles bouddhiques non issues du courant Nichiren ; par exemple : Namu Amida butsu ou Nam-mô A-di-dà Phât.
3 – Du chinois
Miaofalianhuajing, qui est, phonétiquement, le titre du Sûtra traduit en chinois par Kumarajiva (406).
Il est important de savoir que l’écriture idéographique appelée kanji, utilisée parallèlement avec les deux alphabets syllabaires dit « kanas » au japon, est d’origine chinoise. Importée à partir du Ve siècle, elle a peu évolué graphiquement jusqu’à l’époque de Nichiren, si bien que celui-ci pouvait lire le chinois sans difficulté. Une partie de ces idéogrammes a conservé une prononciation proche du mot chinois (par exemple dans le titre du Sûtra du Lotus
Myo pour Miao et Ren pour Lien), une autre partie a pris celle du terme japonais préexistant.
4 – Hokke sempo, traité en réalité de Zhiyi.
5 – Qu’on peut traduire par : « Je me
consacre résolument au Véhicule unique,
Myoho renge kyo à la grande sagesse à la perception impartiale. Je m‘incline devant Myoho renge kyo. Je consacre ma vie à Myoho renge kyo. » Noublions pas que nous transcrivons ici selon la prononciation japonaise des textes calligraphiés par des chinois.
6 –
Allusion au Shuzen-ji ketsu ou Kuden homon (Décisions doctrinales du temple Xiuchan), recueil des nombreuses transmissions des enseignements Bouddhiques que Dengyo Daichi (767-822) aurait reçues durant son séjour en Chine, principalement au temple du Mont Tiantai. Cet ouvrage contient, entre autres, des détails sur une pratique des mantras et la récitation de daimoku d’une origine extérieure au bouddhisme de Nichiren. Cependant, il est sujet à une controverse entre les érudits des écoles Tendai et Nichiren, dont l’enjeu est de savoir jusqu’à quel point le fondateur des secondes a été influencé par les première tout en proclamant rompre avec elle. En outre, sa datation – et donc son auteur – est incertaine.

Dans ce texte,
daimoku est exposé et présenté comme une pratique des derniers instants de vie et également comme une variante des méditations traditionnelles du Tiantai.
À noter ce passage qui rapporte ces paroles du maître Daosui, patriarche de l’école Tiantai et successeur de Zhanran : « Vous pouvez faire des images représentant les dix mondes-états et les enchâsser en dix endroits. En face de chaque image, vous devez vous prosterner, réciter Namu myoho renge kyo et méditer avec votre esprit. Lorsque vous contemplez la représentation de l’enfer, réalisez que les flammes féroces sont justement vacuité/existence temporaire/Voie médiane et faites-en de même pour les autres représentations. Quand vous regardez le Bouddha contemplez son essence en tant que triple vérité. Vous devez effectuer cette pratique une fois le matin et une fois le soir. Le Grand-maître [Zhiyi] estimait dans son cœur que ce Dharma était essentiel pour les personnes de faibles capacités, à l’époque de la fin de la Loi. Si l’on souhaite échapper au cycle des vies et morts et atteindre la bouddhéité, on doit employer cette pratique. »
La référence aux dix images renvoie clairement au Gohonzon, sur lequel sont inscrits les noms représentant les dix états de vie comme des manifestations du véritable aspect de la réalité qui, elle, est figurée par Nam myoho renge kyo inscrit verticalement au centre. Il y est bien mentionné, ainsi que le préconisait Nichiren, la récitation de daimoku pour l’époque de la fin de la Loi
7 – Époque de la Fin de la Loi (skt
saddharma vipralopa, jap. mappo). Époque décrite dans le Sûtra de la Grande Assemblée à laquelle le Dharma exposé par Shakyamuni, devenu formel et sujet à des interprétations fausses, perdra son pouvoir de mener l’homme à l’Éveil. Il laissera place au Sûtra du Lotus transmis au bodhisattva Jogyo dirigeant des Bodhisattvas surgis de Terre. De nombreux textes y  font référence, dans le bouddhisme indien, comme en Chine et au Japon. Bien qu’il y ait doute sur la datation de cette période, Dengyo Daichi écrit en 818 : « …les jours du Dharma formel sont presque finis ».
8 – Daimoku signifie « titre » en Japonais et o daimoku « le titre ». Le daimoku du sûtra signifie donc « le titre » du sûtra. Par extension il désigne précisément celui du Sûtra du Lotus. Il serait plus correct de dire en français « réciter le daimoku ou o daimoku » que « daimoku » tout court…
9 – Le quintuple mystère (jap. goju gen). Méthode utilisée par Zhiyi pour analyser un sûtra :
– explication de son nom ou titre ;
– éclaircissement des principes qu’il contient ;
– définition des intentions qui l’animent ;
– discussion des bienfaits et pouvoirs qu’il propose ;
– critique de ses aspect doctrinaires.
C’est cette méthode qui lui a permis de comprendre la supériorité du
Sûtra du Lotus sur les autres enseignements du Boudhha. 
10 – Traduction en français de la Soka Gakkai Internationale pour l’ACEP, à partir de sa version en anglais des Écrits de Nichiren. La phrase anglaise est : « …begane to intone Myoho-renge-kyo, the daimoku of the sutra ». Il existe une autre version française tirée des Lettres et traités de Nichiren Daishonin et éditée par l’ACEP que voici : « il fit entendre pour la première fois le Titre du Sûtra, Myoho Renge Kyo ». Les nuances entre ces deux interprétations sont infimes (voir note 18).
11 – Tranquille et brillant se rapporte à l’une des dix-huit perfections, que Nichiren définit ainsi (S
ur les dix-huit perfections – WND 331) : « La dix-septième est appelé la perfection de la tranquillité et de la brillance, car, dans le texte [de la Grande concentration et intuition], il est dit : « La nature essentielle de tous les phénomènes est tranquille, elle est donc appelée concentration. Mais tout en restant tranquille, elle est constamment dans un état de brillance, elle est donc appelée intuition. »
12 Neuf Honorés sur les huit pétales du lotus (jap. hachiyo-kuson). Représentations symboliques que l’on trouve sur les mandalas du bouddhisme ésotérique Shingon. Le bouddha Vairocana y est représenté au centre dun lotus, tandis que quatre bouddhas et quatre bodhisattvas sont assis sur les pétales qui l’entourent. Ces huit Honorés ésotériques symbolisent les vertus du bouddha Vairocana.
13 – Nichiren dans L’entité de la Loi merveilleuse – EdN 47 : « Le principe merveilleux, qui est la nature fondamentale de la Loi [et de tous les phénomènes], possède deux aspects, l’un souillé et l’autre pur. Si l’aspect souillé prédomine, on l’appelle illusion, mais si l’aspect pur prédomine, on l’appelle illumination. L’illumination correspond à l’état de bouddhéité, l’illusion à celui des êtres ordinaires, dans les neuf états. »
14 – Voir l’article sur Le chapelet bouddhique.
15
– Voici quelques uns des textes de Nichiren qui traitent plus particulièrement du sujet : EdN 1, 14, 29 et 47, WND 177 et 381.
16 – Parmi les quatre traductions du
Sûtra du Lotus en chinois, d’après des textes en sanskrit ou en prakrit qui ont été perdus, Nichiren a retenu celle qu’a réalisée Kumarajiva (vers 406 de notre ère), à la plus ancienne (vers 286) de Dharmaraksha et la plus récente de Jnanagupta et Dharmagupta (vers 601) – le Satsu’un Fundari kyo est une version dont le texte et le nom du traducteur ont été perdus. Naturellement, il les connaissait toutes et a fait parfois référence aux trois autres dans ces écrits. Outre que celle de Kumarajiva comporte 28 chapitres contre 27 pour les autres, son titre est différent. Saddharma pundarika Sûtra est traduit par Myoho renge kyo (le Sûtra du Lotus blanc de la loi sublime devient en chinois le Sûtra de la fleur de Lotus de la loi merveilleuse) tandis que les autres traducteurs connus ont choisi Sho Hokkekyo pour l’un Tembon Hokkekyo pour l’autre. il s’agit là pour toutes les versions du nom en japonais
17 –
Voilà ce qu’en disent S. F. Teiser et J. I. Stone dans leur livre Reading of the Lotus Sutra : « 
les érudits qui abordent le Sutra du Lotus comme un texte littéraire voient l’absence de contenu doctrinal explicite dans le véhicule unique et son caractère autoréférentiel comme une technique rhétorique caractéristique qui le différencie et lui donne sens. Vu sous cet angle, le Sûtra du Lotus est un message où, compte tenu de la vacuité des phénomènes, on ne peut pas dissocier la fin des moyens et où la bouddhéité est inséparable des pratiques pour y parvenir. » (traduction de I. Kolitcheff pour le site nichiren-etudes.net)
18 – Dans le cas du Bouddha, il est bien plus difficile de
comprendre comment il a pu réciter le titre d’un sûtra qui n’existait pas encore sous une forme littéraire. Le
Sûtra du Lotus a été transcrit plusieurs siècles après sa mort dans une version qui a été perdue. Les spécialistes s’accordent sur le fait qu’il ne contenait à l’origine que huit chapitres, du second au neuvième précisément et que les autres ont été rajoutés au fil du temps par des disciples admiratifs qui souhaitaient donner de la profondeur à son œuvre. Comme nous l’avons souligné déjà dans ce blog, la philosophie bouddhique est une philosophie collective et évolutive parce qu’elle est vivante. Non pas dans sa substance et dans ses buts, mais dans son exposition par rapport à l’époque et à la société. Elle est essentiellement un enseignement, pas un dogme. Pour autant, ce qu’affirme Nichiren est-il faux ou use-t-il d’un moyen opportun (hoben) pour nous permettre d’appréhender une vérité ?
Revenons, à la double signification de
Myoho renge kyo, à la fois titre d’un sûtra et seconde partie d’un mantra, tous deux rendus phonétiquement par des caractères romains dans les langues occidentales. Nous avons les deux versions françaises assez proches disant que le Bouddha « a commencé à réciter Myoho renge kyo, le daimoku du sutra » et « il fit entendre pour la première fois le Titre du Sûtra, Myoho Renge Kyo » (voir note 10). Nous pouvons nous demander pourquoi les traducteurs n’ont pas plutôt écrit : « a commencé à réciter le titre du Sûtra de la fleur de lotus de la loi merveilleuse » ou mieux encore, puisque le Sûtra en tant que texte n’existait pas encore à l’époque de Shakyamuni : « a commencé à réciter le titre de l’enseignement de la fleur de lotus de la loi merveilleuse ». Ainsi nous ne nous poserions pas la question de savoir si le Bouddha parlait déjà le japonais…
* Pour les personnages cités voir ici

 

Le monde des trois plans

Issu de la cosmologie indienne, le système des trois plans (1) décrit six classes d’êtres, entraînés dans le cycle des existences successives à travers naissances et morts, regroupés sur trois plans ou en trois mondes qui ont, pour certains, une localisation tandis que d’autres semblent hors de toute dimension réelle. Ces trois plans sont le plan du désir, le plan de la forme, le plan du sans-forme.

Le plan du désir (skt kamadhatu) comprend les êtres qui peuplent les enfers, les esprits affamés (preta), les animaux, les asuras, les êtres humains et ceux qui vivent dans les six premiers cieux (la partie inférieure du royaume des êtres célestes) tels les Quatre Grands Rois du ciel, que nous trouvons inscrits sur le Gohonzon, ou encore Yama. Dans le plus élevé de ces cieux vit Mara (ou Roi-Démon du Sixième Ciel) dont on dit qu’il cherche à détourner les humains du Dharma en les maintenant dans 1eur asservissement au plaisir, à l’envie – la soif (skt trsna) – à toutes les formes d’appropriation et à 1’espoir de réalisation de vœux éphémères.
– Le plan de la forme (skt
rupadhatu) (2) peut être divisé en 16, 17 ou 18 cieux selon les textes. Il est habité par des divinités (3) exemptes de désirs, d’appétits. Celles-ci possèdent une forme physique et sont encore soumises à certaines restrictions matérielles, toutefois, elles ne connaissent pas la douleur physique ou mentale.
– Le plan du sans-forme (skt
arupadhatu) désigne des êtres – immatériels, donc – qui évoluent dans quatre mondes qui n’ont pas une dimension réelle, mais plutôt spirituelle : celui où tout est sans substance (vacuité), celui où il n’y a que la conscience, celui où rien n’existe et celui où il n’y a ni pensée ni absence de pensée. Ces êtres n’éprouvent ni plaisir ni douleur physique ou mentale

Nous le constatons, les trois plans correspondent partiellement aux six voies ou destinées de la cosmologie indienne, elles-mêmes reprises par Zyiyi pour les six premiers des dix états de vie, ce qui correspond aux six classes d’êtres mentionnés plus haut. Cependant, nous pouvons considérer le monde des trois plans selon deux points de vue différents. Le premier, celui de l’hindouisme, est une description symbolique de l’univers cosmique, le second, le point de vue bouddhique, décrit des états de vie ainsi que des degrés de sagesse et d’éveil.
Dans le premier cas, nous retrouvons un empilement de monde avec, à la base, 18 enfers, au sommet, une vingtaine de cieux peuplés de divinités et, entre les deux, animaux, esprits affamés, asura et humains.
Dans le second, le plan du désir est considéré comme une illustration des six premiers états de vie. Les deux autres plans (forme et non-forme) correspondent à des graduations des états de bonheur temporaire, d’étude et d’éveil personnel (
4). Si les bouddhas y sont absents, les arhats (5) peuvent y résider. Certaines écoles bouddhiques associent les plans de la forme et du sans-forme à des étapes de la méditation. Zhiyi déclare dans la Grande concentration et intuition : « Puis on s’exerce à la concentration méditative. On calme les formations mentales dues aux désirs qui provoquent la distraction et on atteint le chemin de la méditation sur le plan de la forme et du sans-forme… On entre donc dans les quatre méditations de base dans le plan de la forme pure et, au-delà, dans le plan du sans-forme. »

Dans la doctrine de Nichiren, les méthodes de méditation de l’école Tiantai, de même que les pratiques des autres courants bouddhiques, sont incluses dans la récitation de Nam myoho renge kyo. Il n’y a plus de graduations dans les niveaux de compréhension, de maîtrise de soi, de sagacité ou de pureté. Seule compte la pureté et la force de la croyance dans le Sûtra du Lotus, en Nam myoho renge kyo. Dès lors, le monde des trois plans n’est plus l’illustration d’une Voie menant à l’éveil.
Ainsi Nichiren écrit-il dans
Sur l’atteinte de la bouddhéité en cette vie – EdN 1 :« Il est dit dans le Sūtra de Vimalakirti que, lorsque l’on recherche dans l’esprit des êtres vivants la délivrance obtenue par les bouddhas, on découvre que la vie de ces êtres est en elle-même l’illumination et que le cycle des naissances et des morts est le nirvana. Il y est dit aussi que, si l’esprit des êtres vivants est impur, leur terre aussi est impure, mais que, si leur esprit est pur, leur terre l’est également. Il n’y a pas de terre pure ou impure en soi. La différence réside seulement dans le bien ou le mal à l’intérieur de notre esprit. »
Dans
Conversation entre un sage et un ignorant – EdN 13, il évoque ainsi le monde des trois plans : « C’est vraiment triste ! Vraiment douloureux ! Depuis le passé sans commencement, nous nous enivrons avec le vin de l’ignorance, renaissant encore et encore dans les six voies de l’existence, soumis aux quatre modes de naissance. Tantôt nous suffoquons au milieu des flammes de l’enfer brûlant ou de l’enfer de la grande chaleur (6) ; tantôt nous gelons dans l’enfer froid du lotus cramoisi ou dans l’enfer froid du grand lotus cramoisi (7). Tantôt nous devons endurer la faim et la soif qui tourmentent ceux qui sont dans le monde des esprits affamés et qui, durant cinq cents vies, n’entendent jamais ni le mot « nourriture » ni le mot « boisson ». Tantôt nous éprouvons la souffrance d’être blessés et tués dans le monde des animaux, où les petits sont dévorés par les gros, et les courts engloutis par les longs. Tantôt nous sommes confrontés aux disputes et querelles dans le monde des asura ; tantôt nous naissons en tant qu’êtres humains et endurons les huit souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, de la mort, la douleur d’être séparés des êtres chers, de rencontrer ceux que nous détestons, de ne pas obtenir ce que nous désirons, ainsi que la douleur provenant des cinq agrégats du corps et de l’esprit. Ou alors nous naissons dans le monde des cieux et sommes confrontés aux cinq signes de dégradation (8).
Nous tournons et retournons ainsi comme une roue de charrette dans le monde des trois plans. »

Ici, les trois plans ne désignent plus que le samsara, notre monde, qui entraîne tous les êtres à travers le cycle des naissances et des morts. La référence à une roue de charrette est une illustration très claire à la souffrance (skt dukkha) qui caractérise ce cycle. En effet, dans dukkha le préfixe duḥ indique ce qui est mauvais ou incorrect et la racine kha désigne un trou, plus particulièrement celui où se place l’axe d’une roue. Duḥkha désigne donc une roue qui tourne mal, qui est décentrée.
Pour Nichiren, il n’existe pas d’au-delà ni d’autres plans hors de notre monde. Aussi, ses enseignements s’opposent-ils aux courants bouddhiques qui ont repris la notion d’âme transmigrant d’un corps à un autre, à ceux prônant l’existence d’autres Terres comme celle du Bouddha Amida ou même à un nirvana situé au-delà de notre réalité. Ainsi a-t-il inscrit sur le Gohonzon « 
shoji soku nehan » pour affirmer l’identité du nirvana et du cycle du samsara.

Notes

1 – En français monde des trois plans, trois sphères ou encore trois mondes (jap. sankai, skt tridhatu, triloka ou encore trailokya). Il est difficile de donner une traduction précise au terme sanskrit dhatu, pour tridhatu, utilisé dans de nombreux concepts bouddhiques ou hindouistes dans des sens divers. Il semble toutefois décrire un ensemble fini lui-même englobé dans un autre ensemble. Le monde des trois plans a été assimilé à la fois par le bouddhisme, le jaïnisme et le sikhisme.
2 –
Rupa, la forme, est un terme que nous retrouvons pour désigner l’agrégat de la forme (voir les cinq agrégats) ou encore dans le quatrième maillon de l’origine interdépendante. Il s’agit du même concept.
3 – Le terme divinité correspond ici à celui de deva.
4 – En ce qui concerne les bodhisattvas, il est dit qu’avant leur retour parmi les humains, ils renaissent dans le quatrième ciel du plan du désir (skt Tushita). Il est également expliqué par ailleurs que, parmi les êtres qui vont accéder au plan du sans-forme, certains choisissent de revenir chez les humains pour les guider sur la voie de l’éveil. Nous voyons que, dans tous les cas, la place que le bouddhisme attribue aux bodhisattvas se trouve dans notre monde de saha.
5 – Arhat ou arhant. Ce terme sanskrit, signifiant méritant, désigne une personne qui a atteint le plus haut des quatre stades accessibles aux auditeurs (skt
shravaka). Le bouddhisme chinois l’interprète de différentes façons : celui qui n’a plus rien à apprendre, ce qui signifie que l’arhat est arrivé au terme de son apprentissage et de sa pratique, le destructeur des bandits, pour montrer que l’arhat a repoussé les « bandits » que sont les illusions de la pensée et du désir, ou encore celui qui ne renaîtra pas, parce qu’il s’est libéré de la transmigration dans les six voies. Nous pouvons y ajouter « digne d’offrandes », une expression qui figure parmi les dix titres honorifiques d’un Bouddha. L’arhat peut être synonyme de Bouddha dans la tradition hinayana. Dans les textes du Mahayana, plus tardifs, il ne décrit plus qu’une étape intermédiaire sur la voie de l’Éveil, liée à la condition monastique. C’est le bodhisattva plongé dans les réalité du monde laïque qui représente désormais l’idéal du pratiquant.
6 – Les 6e et 7e plus terribles des enfers brûlants (skt
Tapana et Pratapana).
7 – Les deux plus froids des enfers glacés (skt
Padma et Mahapadma).
8 – Cinq marques de désintégration qui concernent uniquement les êtres célestes. Elles apparaissent lorsque l’un d’entre eux est proche de la mort. Elles sont diversement décrites selon les textes. Dans l’une des versions du Sûtra du Nirvana, ce sont : ses vêtements deviennent sales, les fleurs sur sa tête se fanent, son corps sent mauvais et devient sale, il transpire sous les aisselles, où qu’il se trouve, il est malheureux.

La fleur de lotus, symbole de la loi de cause et effet. DR

Karma et lois de causalité

Définition

Chaque acte (ou cause) que nous accomplissons, indépendamment de ses conséquences directes, entraîne immédiatement la création, dans les profondeurs de notre conscience (skt vijnana), d’un effet qui se manifestera plus tard dans notre vie sous la forme d’une rétribution (1). Ce sont à la fois ce mécanisme de causalité et la somme des effets emmagasinés en nous au cours de nos existences antérieures et présentes que le bouddhisme désigne par le terme karma (2). Dans ses deux sens, celui-ci est lié à une conception éternelle de la vie, à travers le cycle des morts et des naissances, et apporte une réponse aux questions que nous nous posons sur le destin et les inégalités humaines.
À un certain type de causes correspond un type d’effets et donc de rétributions. Il existe trois types de causes, dites positives, négatives ou neutres (3), produisant respectivement trois sortes de rétributions : agréables ou satisfaisantes, désagréables ou douloureuses, indifférentes. Ces causes ont des graduations dans leurs conséquences. Les plus légères entraînent des rétributions légères et dans un futur proche, les plus profondes prolongent leurs effets par des rétributions fortes dans les vies suivantes (4).
S’il est affirmé qu’à chaque cause corresponde un rétribution et si certains textes présentent des sortes de « listes-types », il serait vain de chercher à savoir ce que « nous avons bien pu faire dans nos vies antérieures pour mériter ce qui nous arrive dans la présente », comme on dit communément ! Les effets bons, mauvais ou neutres que nous avons accumulés sont si nombreux qu’ils ne peuvent que produire des rétributions inextricablement imbriquées. D’autre part, connaître son karma est moins important que de pouvoir le transformer positivement. Il serait même dangereux selon un texte de l’Anguttara Nikaya (5).
Le karma, dans son sens global, touche au domaine de la conscience. Selon les principales écoles du Mahayana, il est « localisé » dans la huitième conscience, la conscience-réceptacle. Cependant, il entraîne des rétributions dans tous les aspects de la vie : matériel, physique, mental, sentimental, social, environnemental, etc. Nous parlons d’ailleurs de bon et mauvais karma, avec souvent le tort, comme nous le verrons plus loin, de tout lui attribuer des circonstances et accidents de notre vie, maladies, coups de chance, rencontres, drames, etc.

Étymologie

Karma ou karman en sanskrit (kamma en pali et go en japonais) est un mot de même origine que le verbe latin creare (créer). Il possède de nombreuses acceptions. Dans le domaine profane, il désigne l’acte, l’action, l’exécution, l’œuvre, le métier, le devoir de sa caste, le destin, etc., et, dans un sens philosophique ou religieux, l’action rituelle, la rétribution des actes antérieurs, l’accumulation des effets bénéfiques et négatifs au fond de la conscience de l’être.

Origine

Le mot karma serait apparu avec les premières Upanishad (6) pour désigner une pratique, une action rituelle ayant pour but d’obtenir une rétribution bénéfique auprès des dieux ou par l’effet des lois cosmiques. Son sens a évolué à travers la tradition brahmanique, jusqu’à prendre, à l’époque du Bouddha, celui que nous connaissons aujourd’hui.
Au fil des siècles, des millénaires, la plupart des religions indiennes l’ont pris pour cible principale, en tant que responsable du malheur et de la souffrance, proposant, soit de créer du « bon karma », soit d’éliminer le « mauvais karma », soit d’acquérir la force de le supporter ou de s’abstenir de créer le bon comme le mauvais en attendant qu’il s’épuise… Cela a été le cas de l’hindouisme, du jaïnisme puis, tardivement, du sikhisme et de quelques sociétés ésotériques occidentales. Toute l’Inde n’a jamais cru unanimement au karma (7). Le Bouddha, lui, a fait ce choix tout en refusant la notion d’âme (skt atman) qui lui était attachée et lui a attribué de nouveaux sens tels que celui de l’acte délibéré. « Moines ! Le karma c’est l’intention (8). En formulant une intention nous créons le karma en actes, en paroles et en pensée », dit-il dans l’Anguttara Nikaya (9).
Ainsi, ce n’est pas l’action elle-même qui se prolonge par une création karmique, c’est l’intention qui la motive. De ce point de vue, les actes non-intentionnels ou accidentels n’entrent pas dans la constitution des causes et leurs effets (10). Nous voyons, par ailleurs, que la Bouddha a défini trois catégories d’actes : l’action, la parole et la pensée (en japonais san go, soit, littéralement, trois karmas). Penser, c’est donc influencer le cours de notre vie au même titre que parler ou agir avec une intention.

Mécanisme ou filtre ?

Le karma est présenté comme un mécanisme à travers les dix modalités de la vie et les douze nidanas. Ou parfois tel un courant vital qui s’alimente des causes et effets passés. Nichiren écrit dans Sur le principe des 3 000 mondes en un seul moment de la vie, WND – 180 : « Les actes ou le karma créés dans le passé sont appelés action. Il existe deux sortes de karmas. Le premier est « le karma conduisant à la renaissance », celui qui détermine dans quelles conditions d’existence nous allons renaître. Le second est « le karma complémentaire », qui représente celui qui n’est pas inclus dans la première catégorie… » Nous comprenons que ce karma de naissance est primordial, puisqu’il va diriger toute notre vie et que certaines de ses conséquences pèseront sur nous jusqu’à notre mort.
Parallèlement à ces deux types de karmas, Nichiren explique dans Sur la prolongation de la durée de la vie, EdN – 129 : « Le karma peut aussi être divisé en deux catégories : le karma fixe (ou immuable) et le karma non-fixe. Un repentir sincère peut éliminer même le karma fixe, à plus forte raison le karma non-fixe. » Le fixe représente les causes « lourdes », le non-fixe des causes moins importantes.
Ces notions pourraient accréditer une « thèse mécanique » de la cause et de l’effet. Cependant, pour les écoles mahayana Cittamatra, Tiantai ou Nichiren, nos actes sont enregistrés dans les profondeurs de notre huitième conscience, d’où ils influencent tout notre être, dans son physique, ses perceptions, ses intentions, ses jugements, son mental, son entourage et son environnement, autrement dit les trois domaines de l’existence. De ce point de vue, le karma est semblable à un filtre – le filtre de l’illusion sur l’aspect réel de la vie –, teinté par les effets latents déposés par nos actions passées. Placé au niveau de la huitième conscience, il prive la neuvième, la conscience fondamentale (chez Tiantai et Nichiren), d’une perception claire d’elle-même et de son environnement, faussant ses relations avec ceux-ci, réfrénant son énergie vitale et l’entraînant dans le courant des naissances et des morts sans possibilité de choix. Mais sans doute le karma participe-t-il à la fois de l’énergie et de la mécanique ?…

Collectif ou personnel ?

Un acte commis par une personne n’entraîne jamais un effet interne chez une autre (11). Il est impossible à une collectivité de créer une cause unique et globale. Chacun de ses membres, si ceux-ci s’engagent dans une action commune, en produit une qui lui est propre et sera prolongée plus tard par une rétribution personnelle.
Qu’en est-il de ce qu’on pourrait interpréter comme une rétribution commune, dans le cas d’une situation grave ou heureuse vécue par un groupe de personnes, un pays, une famille, telle une guerre, une catastrophe, une prospérité soudaine ?
Nous l’avons vu dans L’origine interdépendante, la condition est un facteur capital de la loi de causalité. Elle peut intervenir – selon d’autres lois que le karma, nous le verrons plus loin –, dans les situations dramatiques collectives qui apparaissent alors comme un mûrissement simultané de rétributions personnelles provoqué par une condition particulière. C’est cette condition qui relie les personnes concernées, pas un karma partagé. Une condition à laquelle ils ne réagiront d’ailleurs pas tous de la même manière. Les guerres font à la fois des victimes, des héros, des lâches, des profiteurs, la faillite d’une entreprise peut entraîner ses employés au suicide, à la misère, comme les motiver pour un nouveau départ, etc.
Quand un couple conçoit un enfant, intentionnellement ou non, il crée une condition pour qu’apparaisse un être dont les tendances de vie ou les « tendances karmiques » seront en adéquation avec lui. Il serait absurde de penser, a contrario, que le karma d’une personne appelée à renaître puisse obliger un couple particulier à le concevoir ! Nous pouvons imaginer que si le couple en question renonçait à son projet matrimonial, la condition de la future naissance se déplacerait sur une autre famille équivalente à tous points de vue.
Qu’en est-il, dans ce cas précis, des « liens karmiques », dont fait état le bouddhisme, qui établissent des relations privilégiées entre certains êtres à travers le cycle des naissances et des morts ? À ce sujet, Nichiren écrit à dame Ueno dans L’enfer est la Terre de la lumière paisible – EdN 52 : « Les hommes avec qui vous avez été liée par le mariage tout au long de vos vies antérieures doivent dépasser en nombre les grains de sable de l’océan ». Autrement dit, ils sont innombrables et donc peu significatifs. En revanche, Nichiren laisse entendre plus loin qu’il existe des liens infiniment plus puissants que d’autres : « Mais, cette fois, c’est avec votre vrai mari que vous vous êtes engagée. C’est en effet grâce à ses encouragements que vous êtes devenue une pratiquante du Sūtra du Lotus. »

L’une des cinq contraintes

Si la seule loi de causalité karmique régissait tous les phénomènes de l’univers, la vie ne serait que pure déterminisme ou elle se réduirait à un enchaînement de causes et effets à partir d’une cause première remontant à la nuit des temps, ce qui reviendrait au même.
Nous l’avons dit plus haut, notre naissance conditionne notre vie, ce qui est l’effet principal du karma. Cependant, chacun réagit à sa manière face à sa condition. Naître et grandir dans le dénuement n’est pas y rester jusqu’à la fin de ses jours, d’innombrables personnes peuvent s’en échapper et mener une vie épanouie, tandis que d’autres, quoique bien nées, ont une existence difficile. Nous avons donc tous une possibilité d’intervention personnelle favorable ou défavorable sur les circonstances et les enchaînements qui constituent notre existence, et c’est cette part de nous-mêmes que le bouddhisme nous propose de développer. C’est dans ce but que Nichiren a exposé le principe d’un instant-pensée (jap. ichinen), concept selon lequel, notre pensée instantanée peut avoir prise sur les trois mille circonstances de notre présent (12) pour nous permettre de changer notre état de vie.
Transformer positivement notre karma, signifie-t-il pour autant que nous pouvons agir sur tout ce qui constitue notre condition humaine, comme notre apparence, notre nature, nos dispositions, notre entourage, notre pays, etc., ces éléments qui semblent souvent du domaine du hasard ? La théorie des cinq contraintes (13) nous livre un point de vue intéressant sur ce sujet. Nous rappelons ici ces contraintes :
– La loi de la physique ou du non-vivant (tout ce qui relève des propriétés de la matière, de l’infiniment petit à l’infiniment grand) ;
– La loi de la biologie ou du vivant (qui comprend, entre autres, la reproduction, la génétique, la chimie organique, le comportement) ;
– La loi de la conscience (concerne toutes les activités mentales, mémoire, désir, sentiment, pensée, intelligence, etc.) ;
– La loi de l’action ou l’intention (karma) que nous avons vu plus haut ;
– La loi de la nature parfaite (Dharma).
Chacune de ces lois possède sa propre causalité, ce qui est simple à comprendre pour les deux premières, c’est même le principal objet d’étude de sciences comme la physique ou la biologie. La loi de la conscience inclut, mais dépasse, le champ de la psychologie ; sa causalité vient du fait que chaque pensée cause et conditionne la pensée suivante en passant par le filtre de la huitième conscience. Nous avons vu longuement la loi du karma qui est le sujet de cet article. Avant de parler de la loi du Dharma, nous pouvons remarquer que, parmi les quatre premières lois, il n’existe pas de hiérarchie. Aucune d’entre elles, pas même la quatrième, ne régit ou conditionne les autres. Ainsi, pour en revenir aux catastrophes naturelles, les manifestations extrêmes de la géologie, séismes, raz-de-marée, sont bien du domaine de la loi de la physique et non pas du karma. De même, les maladies peuvent dépendre totalement ou conjointement des quatre première lois (14).
Certains se montrent inquiets à l’idée qu’il puisse exister dans la vie une part d’impondérables, d’autres refusent une notion de karma associée au destin ou au péché, qui déciderait du cours de notre existence. C’est leur attachement à leur ego qui les fait réagir ainsi. Le bouddhisme enseigne l’éternité de la vie à travers naissances et morts, non une existence unique et finie. De ce fait, il considère que la durée d’une vie est moins importante que l’usage qui en est fait. En quelque sorte, la qualité de nos jours est plus importante que leur quantité. Mais c’est là une affaire de conviction personnelle, de foi…
Dernière loi naturelle, celle du Dharma. Elle est diversement commentée et pas toujours avec clarté. Mais le Dharma est ce que le Bouddha a accompli et compris et qu’une personne ordinaire ne peut saisir clairement. La tradition bouddhique se réfère à la « Loi de la nature parfaite » pour désigner les événements dits « surnaturels » survenus dans la vie de Gautama. Le plus connu étant qu’à sa conception et à sa naissance, dix mille mondes furent secoués par des tremblements de terre. Derrière cette allégorie, nous pouvons découvrir une description imagée du pouvoir du Bouddha et par conséquent, celui de l’état de bouddha. Dans ce sens, la loi du Dharma rejoint le principe d’ichinen. Elle représente la Voie qui nous permet de dépasser les limites que nous fixe notre karma, voire celles des autres lois.
Conséquence de ces cinq lois, il existe une causalité simple, telle que une graine dans des conditions favorables d’humidité et de lumière produit une plante, une étincelle produit une flamme, ou encore l’infinité des phénomènes physiques et biologiques, une causalité karmique et une causalité du Dharma qui transcende toutes les autres.

Karma et injustice sociale

La notion hindouiste du karma implique l’impossibilité d’agir activement sur celui-ci. Schématiquement, elle réclame de supporter stoïquement pendant de nombreuses existences les rétributions négatives jusqu’à disparition totale des mauvais effets. Cette « purification passive » a été en partie responsable en Inde de l’évolution d’une société de classes, plutôt perméable à l’époque du Bouddha, vers une société de castes de plus en plus hermétique jusqu’au siècle dernier. Pour les hindouistes, le ségrégationnisme d’un tel système doit être accepté comme conséquence logique des rétributions karmiques. Nous naissons brahmane, noble, serviteur, etc. parce que nous l’avons mérité par nos actes dans nos vies antérieures. Vouloir échapper à sa condition revient à vouloir échapper à son karma, ce qui est impossible. Pour leur part, les bouddhistes considèrent que c’est le comportement de la personne qui compte, pas son origine sociale ou ethnique, ni son sexe. Plus encore, s’ils prônent l’égalité de tous les êtres humains, c’est parce que tous possèdent le même potentiel, celui de L’Éveil parfait et insurpassable. Shakyamuni a d’abord déclaré que les femmes, les auditeurs, les bouddhas-pour-soi et les mauvaises personnes ne pouvaient pas prétendre à devenir bouddhas. Cependant, avec le sûtra qu’il a annoncé comme l’aboutissement de son enseignement, le Sûtra du Lotus, il a permis à la fille du roi dragon (Jap. Ryunyo, skt Nagakanya) âgée de huit ans, de réaliser l’Éveil sans changer d’apparence (15).
Il n’en reste pas moins que certaines catégories de personnes paraissent, dans les faits, soumises à un mauvais karma. Ne confondons pas la cause et l’effet, ou plutôt le karma et la condition. À un moment de l’histoire, un peuple, un sexe, une communauté, cristallisent le malheur et l’injustice contre eux. À d’autres moments, les mêmes catégories se sont retrouvées en haut de l’échelle sociale ou elles s’y retrouveront. Ces conditions découlent des lois naturelles que nous avons vues plus haut (l’instinct de domination, par exemple, dépend en grande partie des lois naturelles de la biologie et la conscience). Pour autant, nous n’avons pas à les accepter passivement, ce serait accréditer une notion d’inégalité contraire à la philosophie bouddhique. Ne considérons pas non plus comme absolue l’appartenance de chacun de nous à un genre, une ethnie, un sexe. Sans nous en rendre compte, nous poserions la première barrière entre nous et les autres. Nous sommes d’abord des êtres humains. Et même, en tout premier, des êtres vivants. Le Bouddha n’a jamais prétendu qu’à travers le cycle des vies et des morts nous avons toujours été femme, ou homme, ou européen, ou homo sapiens ! À une époque très ancienne il n’y avait sur notre planète ni humain ni hominidé. Plus loin dans le passé, les êtres vivants n’étaient pas sexués. Et encore bien plus loin, la vie n’était pas encore apparue…

Notes :
1 – Pour les sens respectifs de cause, effet latent et effet manifeste ou rétribution, voir les Dix modalités de la vie.
2 – Il a également un autre sens moins usité quoique plus proche de son sens littérale d’acte. Selon Vasubandhu, dans
Cinq traités sur l’esprit seulement, un karma est une intention particulière et il existe trois sortes d’intentions : préparatoire, décisionnelle et celle qui met en mouvement. On parle alors d’intention karmique.
3 – Une traduction plus littérale du sanskrit donne : bon, juste, approprié, prospère, pour positif, et non-bon, non-juste, non-approprié, non-prospère, pour négatif. Il y a donc moins contraire ou opposition de qualités, que présence et absence.
4 – Recueil de sûtras du Hinayana qui contient en particulier l’
Acintita sutta (Sûtra du non-conjecturable) qui rapporte ces paroles du Bouddha :
Il y a quatre non-conjecturables sur lesquels il ne faut pas conjecturer, car cela porterait à la folie et à la vexation quiconque conjecturerait à leur propos. Quels sont ces quatre ?
La bouddhéité des bouddhas (l’étendue de leurs pouvoirs) est un non-conjecturable sur lequel il ne faut pas conjecturer car cela porterait à la folie et à la vexation quiconque conjecturerait à son propos.
L’étendue de la dhyana (absorption méditative propre au bouddha) est un non-conjecturable sur lequel il ne faut pas conjecturer car cela porterait à la folie et à la vexation quiconque conjecturerait à son propos.
Les résultats (mécanismes) du karma sont un non-conjecturable sur lequel il ne faut pas conjecturer car cela porterait à la folie et à la vexation quiconque conjecturerait à leur propos.
Le cosmos (nature, origine et autres) est un non-conjecturable sur lequel il ne faut pas conjecturer car cela porterait à la folie et à la vexation quiconque conjecturerait à son propos.
5 – Autres variables dans la relation de causalité, les temps de latence entre les causes produites, qu’elles soient positives ou négatives, et les manifestations de leurs effets sous forme de rétributions. Les enseignements les classent en trois catégories, par ordre d’importance ou de gravité : rétributions apparaissant au cours de l’existence pendant laquelle les causes ont été créées (jap.
jungengo). Rétributions se manifestant dans la vie suivante (jap. junjigo). Rétributions au-delà de la vie suivante, troisième, quatrième, dixième, millième, etc. (jap. jungogo).
6
Les Upanishad sont des enseignements philosophiques apparus entre 800 et 500 avant notre ère et dont la composition s’est poursuivie jusqu’au Moyen-Âge. Ils forment la base théoriques de l’hindouisme.
7 – Six penseurs influents (skt
shramana), professant des doctrines qui rompaient avec la tradition brahmanique, apparurent vers la même époque que le Bouddha en Inde. Ils furent appelés les six maîtres non bouddhistes. Ils avaient des vues fatalistes, hédonistes, nihilistes ou déterministes, mais seul, parmi eux, le fondateur du jaïnisme, Nigantha Nataputta fit le même choix que Shakyamuni pour le karma, mais avec de nettes différences de conception.
8
Intention ou encore volition (skt cetana). Ce concept apparaît dans plusieurs listes de facteurs mentaux du Theravada et du Mahayana pour décrire notre relation avec le ou les objets qui nous entourent. Voici ce qu’en dit Vasubandhu dans Cinq traités sur l’esprit seulement : « C’est une intention spécifique imprégnant la conscience de base universelle (la huitième conscience) qui produira par la suite un effet, et non les actes du corps et de la paroles qui seraient porteurs des caractéristiques énoncées. »
9
L’Anguttara Nikaya est un recueil de discours concis du Bouddha faisant partie des enseignements du Théravada, également accepté par le Mahayana.
10 – Quoique, dans une sorte de querelle d’experts, les écoles du Mahayana indien ne s’accordent pas toutes sur les efficiences respectives de l’intention, l’accomplissement, l’aboutissement et l’existence de l’objet de l’acte.
11 – Le préjudice ou le profit que nous pouvons apporter à un tiers peut être considéré comme une rétribution qu’il reçoit. Celle-ci sera alors la conséquence d’une cause qu’il a créée jadis sans forcément de rapport avec nous. En ce qui nous concerne, ce même dommage est pour nous cause d’une rétribution future, là aussi, sans nécessité d’une relation avec la victime.
12 – Voir les Trois mille mondes en un instant de vie.
13 – En pali
panca niyama. Voir article Les cinq niyama.
14 – Selon les six causes de maladies établies par Zhiyi dans la
Grande concentration et intuition et exposées par Nichiren dans Sur la guérison des maladies karmiques EdN – 76.
15En ce qui concerne les autres catégories « incorrigibles », il prédit dans le même sûtra que Devadatta, qui a commis les plus grandes fautes, ainsi que des grands disciples représentant les auditeurs et les bouddhas-pour-soi, tel Shariputra, atteindront l’illumination dans le futur.

L’origine interdépendante

ou production conditionnée

(skt pratityasamutpada, jap. engi ou innen) (1)

Cette théorie pose pour principe que tout, dans l’univers, vient à l’existence en réponse à des causes et conditions et que les dharmas n’existent ou ne se produisent qu’en raison de leur relation avec d’autres dharmas. D’où l’expression de production conditionnée (toute production est conditionnée par la loi de cause et effet, à des actes antérieurs, au karma, à ses relations avec son environnement, etc.) ou d’origine interdépendante (les origines de tous les dharmas dépendent de dharmas). Ainsi, rien ne peut exister dans l’isolement et l’indépendance et rien ne peut naître du néant.

Mais voyons ce que recouvre le concept bouddhique de dharma que nous traduisons le plus souvent en français par « phénomène ». Ce mot sanskrit, selon le contexte, possède des sens divers. Il désigne toute manifestation, vivante ou non, physique, sentimentale, sensitive, intellectuelle, mentale, individuelle ou collective, etc. Tout ce qui exprime et maintien une identité propre. Ce peut donc être un être humain, une civilisation, une planète, une vérité, une doctrine, un acte, une loi et même l’univers lui-même. Dans tous ces cas on l’écrit dharma (ou dharmas au pluriel), tandis que, lorsqu’il est question de l’ensemble des lois qui régissent l’univers, de la Loi bouddhique (Ho en japonais) ou de la doctrine bouddhique qui mène à l’Éveil à cette Loi, on l’écrit par convention Dharma avec une majuscule et toujours au singulier. On peut dire que le Dharma est ce qui contient et régit l’intégralité des dharmas, comme les dharmas sont ce qui constitue le Dharma. Le Dharma représente la vérité absolue qui est constituée par la somme des vérités restreintes que sont les dharmas.

Les phénomènes ou dharmas, définis comme ce qui maintient une identité, sont les produits de causes qu’on peut qualifier d’internes (ou ils en sont la continuité) et de conditions en relation avec l’extérieur. Ils ont les caractéristiques suivantes :

– ils ne naissent pas spontanément du néant ;

– ils sont appelés à disparaître (y compris notre univers) ;

– ils dépendent d’un environnement pour apparaître et subsister qu’il soit physique, chimique, psychologique, astronomique, sentimental ou autre.

Par exemple, l’amour nécessite un objet pour naître et des échanges pour durer, un être sensible provient forcément d’un ou deux autres êtres sensibles et a besoin de nourriture, d’atmosphère, de lumière, de chaleur, d’une énergie vitale pour croître et subsister (terre, air, eau, feu, espace, forme de conscience).

Puisqu’on ne peut les isoler totalement de leur milieu, les phénomènes sont dépourvus d’une nature propre, ils ont donc pour caractéristique la vacuité (skt shunyata). Étant appelés à disparaître ils ont également celle de l’impermanence (skt anitya).

En ce qui concerne les êtres, vacuité, impermanence et disparition peuvent paraître inconciliables avec les concepts de la renaissance et du karma. Cependant, si Maitreya explique à Shariputra dans le court Sûtra de la pousse de riz, au sujet de la mort et la renaissance, que l’origine interdépendante « …n’est pas éternelle ; elle n’est pas un néant ; elle n’est pas une transmigration ; d’une petite cause, elle peut manifester un grand effet », il ajoute que sa continuité opère de la même série. Les agrégats du moment de la mort et ceux de la naissance suivante ne sont pas les mêmes, il y a pourtant continuité. Ce n’est qu’avec la cessation des premiers que peuvent apparaître les seconds. Autrement, il faudrait admettre que la conscience de l’être à naître a surgi du néant.

Les phénomènes conditionnés

Le bouddhisme présente des « phénomènes conditionnés ou composés » et d’autres définis comme « inconditionnés » (2). Les premiers possèdent les caractéristiques suivantes : naissance ou apparition, durée (les deux étant liées à des conditions comme nous l’avons vu), impermanence, destruction ou disparition. Ces caractéristiques sont communes à tout ce que contient l’univers de sensitif ou non, de vivant ou non. Dans le cas des êtres animés ou vivants, les cinq agrégats qui les composent, à l’exception d’une partie de la conscience (3), sont conditionnés par une coproduction interne en douze maillons. Cette chaîne (ou cet enchaînement) de douze nidana (skt dvadasa nidana, jap. juni innen) explique comment l’ignorance et l’attachement sont à l’origine du cycle de naissance et de la mort (skt samsara) et de la souffrance (4) inhérente à l’existence, comment ils sont à la condition même de l’apparition d’un être sensible.

La chaîne des douze nidanas

Selon le contexte dans lequel il est exposé, le terme sanskrit nidana signifie cause, motivation ou occasion. Il est apparu dans le Rig-Veda (5) pour décrire une cause première ou liée à un enchaînement et a été repris par Shakyamuni, comme beaucoup d’autres concepts de la tradition hindouiste archaïque, dans le principe de la chaîne causale des douze maillons. On retrouve celle-ci dans de nombreux sûtras (6) et, plus tard, des traités de Nagarjuna et Vasubandhu. Nichiren l’a exposée dans plusieurs écrits dont Les douze liens causaux (7) et Sur le principe des trois mille mondes en un seul instant de vie – WND 178 (8). Voici la description qu’il en fait dans le second :

« Question : Que sont les douze maillons de la chaîne de causalité qui s’appliquent au processus de la transmigration ?

Réponse : Le premier maillon est l’ignorance. Le Kusha-ron (9) dit : « L’état résultant de l’illusion passée est l’ignorance ». L’ignorance représente les désirs terrestres de l’amour et des pulsions que l’on a éprouvés dans le passé. Tels la haine pour son père et l’amour pour sa mère qu’un fils peut concevoir, ou la haine pour sa mère et l’amour pour son père qu’une fille peut concevoir, comme décrit dans le neuvième volume du Kusha-ron .

Le second maillon est action. Le Kusha-ron dit : « Les différents actes accomplis dans le passé sont appelés actions ». Ainsi, les actes ou le karma créés dans le passé sont appelés action. Il existe deux sortes de karmas. Le premier est « le karma conduisant à la renaissance », celui qui détermine dans quelles conditions d’existence nous allons renaître. Le second est « le karma complémentaire », qui représente celui qui n’est pas inclus dans la première catégorie. C’est le karma passé qui détermine des choses comme se casser une jambe ou se couper un doigt.

Le troisième maillon est la conscience. Le Kusha-ron dit : « La conscience est celui des cinq agrégats qui est crucial dans la formation de la vie ». Les cinq agrégats sont déjà présents lorsque l’enfant est dans le corps de la mère. Ce sont la forme, la perception, la conception, la volition et la conscience. Ils sont également connus comme les cinq éléments.

Le quatrième maillon est le nom et la forme. Le Kusha-ron dit : « Ce qui précède le champ des six sens est le nom et la forme ».

Le cinquième maillon est le champ des six sens. Le Kusha-ron dit : « Puis, les yeux et les autres organes sont produits, mais, précédant les trois éléments de la perception, le champ des six sens apparait ». Ces six domaines des sens sont les activités ou la production des six organes sensoriels, yeux, oreilles, nez, langue, corps et esprit.

Le sixième maillon est le contact. Le Kusha-ron dit : « Dans le processus de la perception, l’étape avant toute prise de conscience du fait que la perception est agréable, désagréable ou neutre, est connue sous le nom de contact ». C’est l’instant où l’on ne comprend pas encore que le feu est chaud, que l’eau est froide, ou qu’un couteau est un objet qui peut couper.

Le septième maillon est la sensation, ou la perception. Le Kusha-ron dit : « L’étape avant que tout désir immodéré existe est appelée sensation. » A ce stade, on comprend que quelque chose est chaud ou froid, mais on n’a pas encore connu [par exemple] de désir sexuel.

Le huitième maillon est le désir. Le Kusha-ron stipule que : « L’impulsion vers les biens matériels ou la satisfaction sexuelle est appelée désir ». Ceci se réfère [par exemple] au moment où l’on a envie d’une femme, où l’on éprouve un désir sexuel.

Le neuvième maillon est l’attachement. Le Kusha-ron dit : « Parce que l’on espère acquérir différents objets, on court ici et là à leur recherche. Cest ce qu’on appelle l’attachement. » Ce qui signifie que, dans la vie présente, on poursuit ses affaires mondaines et on est avide de saisir et acquérir ce qui appartient aux autres.

Le dixième maillon est existence. Le Kusha-ron stipule que : « Existence signifie que l’on accomplit les actions karmiques qui détermineront le type de rétribution ou d’état d’existence que l’on aura à sa prochaine naissance ». Existence ici se réfère à la réalisation des actions karmiques qui conduisent à recevoir une fois de plus la vie pour une existence future.

Le onzième maillon est naissance. Le Kusha-ron dit : « Naissance se réfère à la réception de la vie pour son existence prochaine ». Il s’agit de l’instant où l’on reçoit la vie pour une existence future en entrant dans l’utérus de sa mère.

Le douzième maillon est vieillissement et mort. Le Kusha-ron dit : « Avant même qu’on atteigne le stade de la sensation dans son existence future, on est déjà sujet au vieillissement et à la mort ». Être soumis à la naissance, au vieillissement et à la mort signifie que l’on souffre des angoisses et de la détresse du vieillissement et de la mort.

Question : Comment les douze maillons de la chaîne de causalité s’appliquent-ils aux trois royaumes du passé, du présent et du futur, ainsi qu’aux catégories des causes et des effets ?

Réponse : l’ignorance et les actions constituent deux causes dans l’existence passée d’un être. Conscience, nom et forme, six organes des sens, contact et sensation représentent cinq effets qui apparaissent dans son existence présente. Désir, attachement et existence représentent trois causes figurant dans son existence présente. Naissance, puis vieillissement et mort représentent deux effets qui apparaîtront dans sa future existence… »

Ce texte assez long peut se résumer par l’enchaînement suivant : dans nos existences passées et présente, notre ignorance fondamentale de la nature réelle de la vie, ou du Dharma, nous a fait commettre des actes (10) bons, neutres ou mauvais. Ces actes se sont accumulés en effets dans notre huitième conscience. Ils ont ainsi créé notre karma, qui a provoqué et conditionné notre naissance sous notre identité actuelle (qui comprend nos qualités ou tares génétiques, notre lieu de naissance, notre famille, notre sexe, nos capacités physiques et mentales, et les deux aspects acquis et innés de notre personnalité).

En ce qui concerne notre vie actuelle, les huitième et neuvième consciences (11) se sont assemblées avec tous les éléments constitutifs du nom et de la forme (12) formant l’embryon dont nous sommes issus. Les cinq agrégats se sont organisés en organes des sens et le mental, permettant la fonction de la perception et la relation avec l’objet de la perception. Organes, fonctions et objets perçus ont constitué le champ des six sens (13) par lequel est apparue la faculté de contact  avec l’extérieur. De ce contact, est née la sensation ou perception de ce qui est plaisant, déplaisant et neutre. Cette sensation a engendré le désir (14) ou rejet pour ce qui est perçu. Désir qui se traduit par l’attachement (15), l’appropriation ou encore la volonté de satisfaire ce désir (ou à l’inverse rejet en répulsion). La répétition, tout au long de notre existence, des petits et grands attachements créera au plus profond de nous les causes d’une puissante aspiration à l’existence. C’est cette aspiration qui nous conduira, au-delà de la mort, à appeler de nos vœux une nouvelle naissance (16), dans une vie marquée par les souffrances du chagrin, de la douleur, de l’angoisse, du désespoir, du vieillissement et de la mort.

Il existe une autre façon de voir la chaîne, en la prenant en sens inverse : souffrance et mort dépendent de la naissance, la naissance dépend du désir d’exister antérieur, le désir d’exister dépend de l’attachement, l’attachement dépend du désir, etc.

Sur la forme, bien qu’elle soit parfois représentée par une roue à douze rayons, la chaîne des nidana ne constitue pas réellement une boucle qui se répéterait à l’infini. Les deux maillons du passé (ignorance et action) proviennent d’une infinité d’existences antérieures et de causes innombrables. Les huit nidana suivants décrivent, au cours d’une même vie, cinq effets et trois causes, ces dernières produisant leurs rétributions dans la prochaine vie. La naissance est représentée deux fois : celle de la vie présente, par les deuxième et troisième maillons, et la prochaine, avec le onzième.

Sur le fond, cette chaîne est l’illustration de la loi de causalité qui sous-tend tous les phénomènes de l’univers. Elle nous fait réaliser de quelle manière le karma conditionne notre vie actuelle et comment dans cette même vie nous pouvons influencer notre futur : en vainquant l’ignorance, nous agissons en cascade sur tous les maillons. Si nous ne pouvons accéder aux causes de cette ignorance, qui appartiennent au passé, nous pouvons nous attaquer à ses effets par les causes que nous créons au présent et changer nos désirs, nos attachements (voir bonno soku bodai) pour transformer notre futur.

Certaines écoles bouddhistes proposent une interprétation des douze nidana, non pas sur la notion des existences passées, présente et prochaines, mais sur celle de l’instant. Le cycle se reproduit donc à chaque instant, pareillement au mécanisme de cause et effet (cause interne, relation, effet interne) inclus dans Les dix modalités. D’autres avancent que tout se passe au niveau de la conscience. Les deux sujets étant trop vastes, nous ne les développerons pas ici.

Comme la plupart des concepts bouddhiques, celui des douze nidanas est un point de vue particulier d’une vérité universelle (Dharma) qui dépasse l’intelligence humaine. En tant que point de vue, il n’en a pas moins sa part de vérité et d’intérêt pour les personnes qui étudient la philosophie bouddhique. Il est l’un de ce que le Bouddha appelait les « moyens opportuns » (jap. hoben) qu’il avait destinés aux disciples auditeurs et bouddhas-pour-soi, avant qu’il n’expose le Sûtra du Lotus, véhicule universel pour tous les êtres quels qu’ils soient. Ainsi, dans le Sûtra aux sens infinis, considéré comme un préambule au Sûtra du Lotus, déclara-t-il : « Dans la période du milieu [de mon enseignement], j’exposai en divers endroits les douze liens causaux, si profonds, à l’intention de ceux qui recherchaient l’état d’Éveillé-pour-soi, et cependant, d’innombrables êtres déployèrent la pensée d’Éveil ou demeurèrent à l’état d’auditeur. ». Plus loin, il ajoute : « Fils de bien, voilà donc le domaine fort profond et inconcevable des Éveillés : il n’est pas connaissable par les deux véhicules. »

L’origine interdépendante selon le mahayana

Dans le bouddhisme théravada, les douze nidana représentent l’application, à travers les cinq agrégats qui nous constituent, du principe d’origine interdépendante. Le mahayana indien, lui, assimile ce même principe à la notion de vacuité (sunyata). Comme nous l’avons vu plus haut, ce qui n’existe qu’en dépendance de causes et conditions ne peut avoir de substance propre, absence de substance qui est une certaine définition de la vacuité.  Il donne ainsi à ce principe un éclairage plus large qu’une causalité centrée sur la personne. Pour le comprendre, il faut revenir sur le concept de causes et conditions.

Si, à la cause et à la condition, nous ajoutons le fruit (résultat ou effet latent), nous retrouvons la causalité telle qu’elle est décrite par les dix modalités de la vie : cause interne, relation, effet latent (en japonais nyoze in, nyoze en, nyoze ka) (17). Ce sont les mêmes termes et les mêmes concepts ; la relation (en) est la fois circonstance particulière et condition indispensable pour déclencher une cause qui produit aussitôt son effet latent.

Pour l’école Vaibhasika, il existe six sortes de causes, cinq conditions et quatre types de résultats, selon le Cittamatra, six causes, trois conditions et quatre résultats. La première école ainsi que le Vajrayana enseignent qu’il existe des causes souillées et des causes pures (18). Les descriptions des différentes écoles sont variables et nombreuses, impossible de les détailler ici. Arrêtons-nous juste sur le fait que, dans le processus de causes et conditions, il existe une causalité simple et une cause karmique en rapport avec la conscience.

Exemple de rapport de cause à effet simple : un grain de blé sous certaines conditions de climat, terre, humidité, lumière, atmosphère, etc. donnera une tige de blé (et pas une autre plante que du blé) (19). En ce qui concerne la causalité karmique, chacun peut comprendre avec le recul combien ses propres tendances, apparemment naturelles, lui ont fait reproduire certains types de situations, certains choix, qui ont influencé le cours de sa vie. C’est là l’une des expressions du karma, à travers la huitième conscience.

Pour aller plus loin, les lois de la génétique s’appliquent naturellement à tout être qui naît, il est de la même espèce que ses géniteurs, leur ressemble par de nombreux aspects, possède un mélange de leurs gênes, partage leur « destin » pendant un temps, etc. Cependant, ce n’est pas lui, dans son existence passée, qui a obligé ses futurs parents à concevoir un enfant. S’il apparaît précisément dans cette famille en raison de son karma, celle-ci n’a pas été « désignée d’office par une autorité supérieure ou même une loi de la nature ». Les capacités physiques qu’il tient d’elle, son milieu social, son pays correspondent à son karma, mais il aurait pu trouver des conditions similaires ailleurs. Il y a donc eu intervention de causes karmiques et non-karmiques, ainsi, bien-sûr, que des conditions karmiques et non-karmiques de naissance. Ce qui nous indique que le karma ne dirige pas tout l’univers, tel un implacable fatum. Il est un intervenant parmi d’autres dans le flux constant des vies à travers les causes et conditions, l’impermanence, la vacuité et leurs interrelations. Ainsi, les causes-conditions-résultats obéissent-elles aux cinq lois naturelles (pali panca niyama) décrites par plusieurs commentaires du Canon pali qui résument les facteurs à l’œuvre dans ce processus universel :

La loi naturelle de la matière non-vivante (physique/chimie)

La loi de la matière vivante (biologie)

La loi de la conscience ou de l’esprit (psychologie)

La loi de l’action ou l’intention (karma)

– La loi de la nature parfaite (Dharma)

Les trois premières lois ne sont pas purement karmiques. Elles font intervenir, par exemple, les impondérables du climat, des catastrophes naturelles, de la physiologie humaine ou non-humaine, des relations sociales, etc. Nous pourrions penser que la portée du bouddhisme, s’il ne s’attaque qu’au karma, serait limitée. Ce serait oublier que sa pratique et son étude n’ont pas pour seul but de changer ce karma. Concomitamment, elles permettent d’acquérir force vitale, sagesse intuitive et sens des circonstances favorables qui peuvent se montrer opérantes parmi les cinq lois naturelles. Surtout, elles nous permettent d’agir sur le dernier niyama, la loi de la nature parfaite qui peut dépasser toutes les autres (voir article).

La comparaison des gerbes de roseaux

La notion d’une « conditionnalité hors karma » se rapproche d’une explication de l’origine interdépendante présentée par ailleurs comme une loi d’interrelation entre les êtres qui régit les échanges entre l’humanité et son environnement, entre l’individu et la société, entre parents et enfants, etc. Le problème de cette version est qu’elle s’appuie sur une erreur d’interprétation ou une méconnaissance des arguments que développent Shariputra dans le Sûtra des gerbes de roseaux (Nalakalapiyo sutta) et le bodhisattva Maitreya dans le Sûtra de la pousse de riz (Salistamba sûtra). Le premier sûtra utilise l’image de gerbes de roseaux qui tiennent debout en se reposant les unes sur les autres pour définir la relation qui unit chaque nidana avec le suivant ou le précédent (20). Le second déclare : « Ceci étant, cela se produit ; de la production de ceci nait cela. En d’autres termes, l’ignorance conditionne les formations karmiques ; les formations karmiques conditionnent la conscience, etc. » (21). Ces deux exemples ne reprennent que les douze nidanas et non une autre théorie.

Si nous voulons tout de même aller dans le sens d’une interrelation universelle telle qu’elle vient d’être définie, nous pouvons évoquer certains enseignements des écoles japonaise Kegon et chinoise Huayan fondée par Fazang, toutes deux centrée sur le Sûtra de la Guirlande fleurie. Dans celui-ci, cette interrelation est présentée sous la forme du « filet d’Indra ». Un filet imaginaire qui s’étend dans les trois dimensions et dont chaque nœud est fait d’un diamant dont les faces réfléchissent les diamants voisins et cela, jusqu’à l’infini. Dans ce procédé qu’on appelle une mise en abîme, aucun diamant n’offre jamais son image au spectateur, il ne montre que le reflet des autres diamants qui eux-mêmes montrent les reflets de leurs voisins, jusqu’à l’infini. Ce qui est une description pour le moins « abyssale » de la vacuité et revient à affirmer que rien n’existe ou encore que tout n’est le reflet de reflets non-existants.

Analyse logique de cette allégorie : les diamants ne se reflètent les uns les autres que tant que personne ne vient les regarder, car dans ce cas, ce sera le reflet de la personne qui apparaîtra partout. Conclusion : la vacuité telle que décrite ici ne peut être perçue.

Dans le bouddhisme de Tiantai, basée sur le Sûtra du Lotus, l’interrelation ou l’interdépendance entre les êtres repose moins sur le concept de l’origine interdépendante, que sur le mécanisme des trois mille mondes en un instant de vie, ou encore la non-dualité de soi et de son environnement. Nous influençons et sommes influencés, nous sommes soumis aux cinq lois naturelles, mais in fine personne d’autre que nous-même n’est responsable de notre karma, des causes que nous avons créées dans le passé et que nous poserons dans l’avenir. « L’environnement est comme l’ombre et la vie comme le corps » dit Nichiren – EdN 79. L’ombre du corps peut être déformée par la surface sur laquelle elle est projetée, elle n’en reproduit pas moins les contours de celui-ci et suit les gestes qu’il fait…

Notes :

1 – Le mot sanskrit pratityasamutpada est formé de pratitya qui signifie dépendance, confirmation, et samutpada origine, production, résultant, effet (la liste des sens de l’un et de l’autre n’est pas exhaustive). En Occident, il a été traduit diversement : origine dépendante, interdépendance, genèse conditionnée, etc., en japonais par engi, avec en pour condition et gi pour origine. L’autre terme japonais innen signifie cause (in) et condition (en), il désigne le mot sanskrit nidana, bien qu’il soit l’équivalent du sanskrit hetupratitya, littéralement condition causale.

2 – Les phénomènes incomposés : ce qui échappe à l’origine dépendante ou aux liens de causalité, qui n’est soumis à une aucune cause ou condition. Le phénomène incomposé désigne souvent le nirvana, l’illumination ou le Dharma. Tardivement, ce terme est venu à signifier un état de vie sans restriction ou, plus largement, la vie d’un bouddhiste.

3 – les huitième et neuvième échappent à la définition des phénomènes composés, (voir article sur les trois domaines de l’existence).

4 – Souffrance (skt dukkha, jap. ku) possède également le sens d’insatisfaction. Du fait de l’impermanence de tout phénomène (skt anicca), rien de ce que nous offre la vie ne peut nous satisfaire pleinement et définitivement.

5 – Rig-Veda : l’un des quatre grands textes sacrés de l’hindouisme pré-bouddhique connus sous le nom de Veda.

6 – En jap. Juni innen sho. Ce texte de Nichiren est considéré comme apocryphe par la Soka Gakkai.

7 – Notamment le Sûtra de la pousse de riz et le Nidana Vagga, un recueil de textes en pali, langue parlée autrefois en Inde, plus populaire que le sanskrit. Les premiers sûtras bouddhiques ont été rédigés en pali qui est encore en usage dans les liturgies du bouddhisme Theravada, tandis que les textes du Mahayana indien sont en sanskrit. Il est probable que le Bouddha parlait une forme archaïque du pali.

8 – Si le premier est admis par la Nichiren Shoshu, il n’est pas reconnu par la Soka Gakkai et un certain nombre d’experts, qui ont remis en question son authenticité.

9 – Kusha-ron est le nom en japonais de l’Abidharmakosa de Vasubandhu.

10 – Les actes, en sanskrit samskara, correspondent à l’agrégat de la volition. Il s’agit du même mot pour les deux concepts.

11 – La huitième conscience fait partie du cinquième agrégat de la conscience (voir la roue en illustration).

12 – Le nom et la forme (skt nama et rupa) sont un autre nom pour les cinq agrégats.

13 – Voir le champ des six sens ou les dix-huit dhatus, note 6 ibid.

14 – Le désir est la traduction du sanskrit trsna qui signifie plus précisément la soif .

15 – L’attachement est en fait un quadruple attachement : aux plaisirs, aux vues fausses, aux pratiques rituelles erronées et à la croyance en un soi absolu.

16 – Il est intéressant de noter que le mot sanskrit jati, traduit ici par naissance, est utilisé à la fois pour naissance, espèce et même sous-caste (peut-être pour bien marquer l’aspect karmique de la naissance dans l’Inde traditionnelle). Dans le bouddhisme, il désigne la venue au monde depuis la conception jusqu’à l’accouchement.

17 – Cause (skt hetu, jap. in), condition (skt pratyaya, jap. en), effet (skt phala, jap. ka). Comme nous avons pu le montrer dans d’autres articles de ce blog, de nombreux concepts bouddhiques se trouvent dans plusieurs listes ou participent à divers mécanismes.

18 – Trois écoles bouddhiques : le vaibhasika népalais, le vajrayana tibétain et le cittamara mahayana appelé aussi rien-que-conscience.

19 – Allons plus loin dans cet exemple. Il existe un rapport de causalité simple entre une plante qui produit une graine, puis cette graine qui donne une nouvelle plante n’étant pas la continuation « karmique » de la première plante. Un rapport de causalité karmique, ce sera la vie, l’énergie ou neuvième conscience de cette plante qui mourra puis reviendra à la vie sous la forme d’un autre être sensible ou non.

20 – Shariputra répondant au vénérable Katthita à propos des douze nidana : « Très bien, mon ami, je vais vous donner une analogie, car il est des cas où c’est par l’analogie que les personnes intelligentes peuvent comprendre le sens de ce qui est dit. Ceci est pareil à deux gerbes de roseaux qui doivent rester appuyées l’une contre l’autre [pour ne pas tomber]. De la même manière, de nom-et-forme, comme condition requise, vient la conscience, de la conscience, comme condition requise, vient nom-et-forme. De nom-et-forme, comme condition requise, vient le champ des six sens. À partir des six organes des sens, comme condition requise, vient le contact. Du contact, comme condition requise, vient la sensation. De la sensation, comme condition requise, vient la soif. De la soif, comme condition requise, vient l’attachement. De l’attachement, comme condition requise, vient de plus en plus de devenir [ou désir d’existence]. De devenir, comme condition requise, vient la naissance. Dès la naissance, comme condition requise, entrent en jeu le vieillissement et la mort, la tristesse, les lamentations, la douleur, la détresse et le désespoir. Telle est l’origine de toute cette masse de souffrance et de stress.

Si l’on devait détacher l’une de ces gerbes de roseaux, l’autre tomberait. Si l’on devait détacher l’autre, la première tomberait. De la même manière, avec la cessation de nom-et-forme vient la cessation de la conscience, etc. »

21 La phrase de Maitreya, parfois traduite par « Parce que ceci existe, cela existe », signifie avec plus d’exactitude « Ceci étant déjà, cela vient à se produire ». Elle concerne la loi de causalité à l’intérieur du cycle des douze nidana et fait référence à la doctrine de la vacuité. Elle signifie que la substance de « cela » n’est pas la transformation de la substance de « ceci » dans sa continuité temporelle. « Cela » n’est plus « ceci », mais il en est la dépendance – ou la conséquence. Voir, sur le sujet de la vacuité, Les questions de Milinda ou le Traité du milieu de Nagarjuna.

Les quatre nobles vérités

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Statue de Shakyamuni délivrant son premier sermon au parc des gazelles à Sarnath, Varanasi. Le Bouddha est assis dans la position du Lotus (Padmasana), sa main droite tourne le Dharmachakra, la roue du Dharma. Il est entouré de ses cinq premiers disciples. Statue exposée au musée du Prince de Galles à Mumbai. Photo AKS.9955 CC BY-SA 4.0

La tradition bouddhique rapporte qu’à 29 ans, le futur Bouddha Gautama, prince du clan des Shakya couvé et protégé depuis sa naissance par ses parents, décida un jour de sortir hors de l’enceinte du palais où il vivait. Sa promenade dans les rues de la ville l’amena à des rencontres qui le troublèrent : celles d’un vieillard, un malade, un cadavre que l’on emportait au bûcher et enfin un ermite. Cette découverte d’aspects affligeants de la condition humaine et l’espoir d’un moyen d’y échapper lui fit prendre conscience qu’il avait vécu jusque-là dans l’illusion. Tel semble être le point de départ historique du bouddhisme : la constatation, par son fondateur, des souffrances inhérentes à la vie et sa décision d’y trouver un remède à l’exemple de l’ermite qu’il avait aperçu. Ce fut, d’ailleurs, lorsqu’il atteignit l’Éveil six ans plus tard au parc des gazelles de Sârnâth, le sujet de son premier sermon (1), les quatre nobles vérités, qu’il reprit par la suite dans d’autres sûtras. Ces quatre vérités (skt catvari aryasatyani) sont les suivantes :
– La vérité de la souffrance (skt duhkhasatya)
La vérité sur l’origine de la souffrance (skt duhkhasamudayasatya)
La vérité de la cessation de la souffrance (skt nirodhasatya)
La vérité de la voie qui mène à la cessation de la souffrance (skt margasatya).

La souffrance

Voici ce que déclare le Bouddha dans son premier sermon : « Ceci, ô moines, est la noble vérité sur la souffrance : la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont souffrance, être uni à ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime ou qui plaît est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, les cinq agrégats de l’attachement sont souffrance. »
Il décrit ici les huit souffrances (jap. hakku), que l’on classe généralement en deux catégories. Les quatre premières, naissance (2), vieillesse, maladie et mort représentent les quatre souffrances fondamentales, celles qu’éprouvent tous les être vivants, humains ou non-humains. Elles n’épargnent personne, pas même ceux qui vivent dans la sécurité et le confort de pays à l’écart de la guerre et de la misère, qui jouissent du pouvoir, la fortune, l’admiration ou la célébrité. Elles sont la condition même de l’existence.
Être uni à ce (ou ceux) que l’on n’aime pas, être privé de ce (ou ceux) que l’on aime, ne pas obtenir ce que l’on désire, les cinq agrégats de l’attachement (3) représentent les quatre souffrances complémentaires. Elles concernent plus spécifiquement l’être humain dans son rapport émotionnel avec son environnement sociale.
Le mot sanskrit Duhkha, que l’on traduit communément en français par souffrance, possède – c’est souvent le cas pour les termes sanskrits – de multiples sens : souffrance, insatisfaction, imperfection, désagréable, ne tournant pas rond comme une roue désaxée, etc. On peut également dire qu’il couvre tous ces sens à la fois.

L’origine de la souffrance

Après ces constatations, Shakyamuni décrit les causes et raisons de la souffrance : « …la noble vérité sur l’origine de la souffrance est la soif qui produit la renaissance, qui est liée à une avidité passionnée et trouve un nouveau plaisir ici ou là. C’est-à-dire la soif des plaisirs des sens, celle de l’existence et du devenir et celle de la non-existence. » ibid.
La soif (skt trsna), un terme que l’on retrouve dans les huit nidana, va au-delà du désir ou de l’envie, puisqu’elle a également le sens de besoin. C’est cette soif qui entraîne notre attachement à la vie et provoque ainsi l’existence future et la naissance pour aboutir à la souffrance du vieillissement et de la mort. Elle concerne le plaisir matériel, sensuel ou physique, mais également la foi en une âme éternelle ou, au contraire, le refus de l’éternité de la vie.
La souffrance est liée à l’impermanence (4). Les objets (ou les sujets) de notre désir et notre plaisir, nos sentiments, nos émotions changent avec le temps et selon les circonstances. Ils s’amenuisent, s’échappent peu à peu ou encore disparaissent brutalement. Pour remédier à cela, nous pouvons changer d’objet, de partenaire, d’environnement, mais le processus d’usure et d’effacement recommence, encore et encore, nous empêchant de parvenir à un bonheur véritable.
Nous le constatons, le bouddhisme ne considère pas la souffrance comme une chose extérieure à l’être humain, qui lui serait arbitrairement imposée par une autorité supérieure ou la malveillance de son entourage, mais bien comme le résultat de ses actions, de sa façon de penser et d’appréhender ce qui l’entoure.

La cessation de la souffrance

« …la noble vérité sur la cessation de la souffrance, c’est la cessation complète de cette soif, l’abandonner, y renoncer, s’en libérer et s’en détacher » ibid.
Certaines écoles bouddhiques interprètent cette noble vérité au premier degré. Il s’agit de ne plus souffrir en éliminant tout désir, même et surtout le désir de renaître, puisque c’est la soif  et l’attachement qui sont à l’origine de la souffrance. D’autres écoles, dont celles issues des enseignements de Nichiren, semblent remonter plus loin que l’attachement dans la chaîne des douze nidanas. L’attachement étant la conséquence de l’ignorance fondamentale, c’est en vainquant celle-ci que nous pourrons parvenir à l’Éveil. Mesurer son attachement, transformer son échelle des valeurs, changer sa foi en sagesse (jap. isshin daie) et faire sa révolution humaine selon la Soka Gakkai. Quoi qu’il en soit, le but ultime, dans le premier cas est l’extinction dans le nirvana, dans le second, c’est l’atteinte de la bouddhéité sans changer d’apparence (jap. sokushin jobutsu) dans ce monde et non un au-delà. Mais ne serait-ce pas une même réalité considérée depuis deux points de vue différents ?

La voie vers la cessation de la souffrance

Voici la méthode que préconise le Bouddha pour se libérer de la souffrance : « C’est la noble voie octuple (5) : la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le moyen d’existence juste, l’effort juste, l’attention juste, le recueillement juste » ibid.
Dans l’optique des enseignements du Théravada et d’une grande partie des écoles Mahayana, les deux premières voies représentent la pratique de la sagesse intuitive (skt prajana) par l’étude et l’enseignement du bouddhisme (entre autres), les trois suivantes sont celle de la vertu (skt sila) par l’observation des préceptes (ne pas tuer, ni voler, etc.) et de règles de vie strictes, les trois dernières celle du recueillement méditatif (skt samadhi).

Les quatre vérités à la lumière du Sûtra du Lotus

On peut considérer les quatre nobles vérités comme un concept fondamental de la philosophique bouddhique ; au sens propre comme au figuré, puisque qu’elles en constituent à la fois la base, la source, l’inspiration et l’origine. En particulier les deux premières qui se présentent comme des constats. Les autres pourraient paraître en opposition avec la pensée du Bouddha dans ses enseignements ultérieurs s’il n’avait expliqué dans le Sûtra aux sens infinis, introductif au Sûtra du Lotus :
« 
Hommes de bien, au début, j’ai prêché les quatre nobles vérités à l’intention de ceux qui voulaient devenir auditeurs (6), et cependant, huit millions d’êtres célestes sont descendus pour écouter la Loi et ont conçu le désir de l‘illumination. Dans la période intermédiaire, j’ai exposé en divers endroits l’enseignement profond de la chaîne des douze de la causalité pour le bien de ceux qui voulaient devenir bouddhas-pour-soi (7), et un nombre incommensurable d’êtres vivants a conçu le désir de l’ illumination…
Hommes de bien, vous devez comprendre qu’en ce sens, bien que mes prédications soient les mêmes, elles diffèrent dans leur signification. Parce que leur signification est différente, la compréhension des êtres vivants est différente. Et parce que leur compréhension est différente, les attributs qu’ils obtiennent, les fruits qu’ils obtiennent, les voies qu’ils obtiennent le sont également. »
Dans ce passage, le Bouddha affirme avoir tenu compte, jusque-là, des capacités de ceux qui l’écoutaient. Ainsi a-t-il donné aux auditeurs, bouddhas-pour-soi et bodhisattvas des enseignements et des pratiques adaptés à leur compréhension. Par la suite, dans la parabole de la maison en feu (8), il demande à ses disciples d’abandonner les trois véhicules pour le véhicule unique du Sûtra du Lotus. Pour autant, réfute-t-il tout ce qu’il a pu exposer auparavant, comme des enseignements provisoires désormais caducs ? Au contraire, il laisse entendre que, grâce à ceux-ci, des millions d’êtres ont conçu le désir d’illumination.
Dans la parabole de la maison en feu, le remplacement des trois véhicules par celui du Sûtra du Lotus a-t-il un sens inclusif ou exclusif ? Autrement dit, sont-ils englobés ou rejetés dans le véhicule unique ? Et dans ce dernier cas, faudrait-il que ses adeptes, y compris ceux qui suivent l’enseignement de Nichiren, abandonnent l’étude de la philosophie bouddhique à l’exception du seul Sûtra du Lotus ?
Zhanran expose à ce sujet, parmi les dix non-dualités, celle des enseignements théoriques et essentiels ou provisoires et définitifs, parce qu’ils sont tous nés de l’esprit du Bouddha ; non-dualité signifiant deux en apparence, mais pas deux dans la réalité absolue. Le Sûtra du Lotus insiste sur ce fait : si le Bouddha utilise des moyens opportuns dans son enseignement, il ne ment jamais. Comme par exemple dans le XVIe chapitre : « Il est semblable à un médecin expérimenté, qui emploierait un moyen opportun pour guérir ses enfants à l’esprit égaré. Il se fait passer pour mort, bien qu’il soit vivant, sans que quiconque puisse affirmer qu’il ait menti. » Par ailleurs, le Sûtra contient de nombreuses références à des concepts classés dans les enseignements provisoires. Il faudrait donc lui-même le rejeter également !
Pour Nichiren, les quatre vérités, la voie qui mène à la cessation de la souffrance, ainsi que tous les enseignements du Dharma sont inclus dans la récitation de Nam myoho renge kyo qui est la pratique essentielle des derniers jours de la Loi de Shakyamuni. Dans un sens plus large, nous pouvons ajouter à cette pratique l’étude et l’enseignement du bouddhisme, puisqu’il déclare à ce sujet EdN – 40 : « Exercez-vous dans les deux voies de la pratique et de l’étude. Sans pratique ni étude, il ne peut y avoir de Loi bouddhique » Quelle étude ? Lui-même ne nous a-t-il pas laissé des indices en citant des Sûtras et des concepts classés parmi les enseignements provisoires.

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Les cinq premiers disciples du Bouddha exprimant leurs respects à la Roue du Dhamma. Fragment d’un bas-relief moderne du parc des gazelles de Sârnâth. Photo CC BY-SA 4.0

Notes :

1 – Le Sûtra de la mise en mouvement de la roue du Dharma (skt Dhammacakkappavattana sutta) qui fut plus tard inclus dans le recueil en pali Samyutta nikaya.
2 – La naissance (skt jati) est décrite en tant que souffrance, parce que c’est elle qui nous donne accès à un monde de souffrance autant qu’elle est une brutale souffrance pour le bébé qui vient de quitter le ventre confortable de sa mère. En elle sont déjà contenus tous les malheurs de l’existence. Nous retrouvons le même mot sanskrit, jati, pour désigner la naissance dans les douze nidana.
3 – Le concept des cinq agrégats, avec son caractère provisoire, impermanent, va à l’encontre de la croyance en un soi absolu, une âme. Les agrégats d’attachement ou d’appropriation représentent notre attachement à ce qui est périssable chez nous-mêmes et chez les autres. Ils sont en cela une source de déceptions, de frustrations, de désespoir et de souffrances.
4 – Voir la vérité de l’existence temporaire.
5 – Ou encore, le noble octuple sentier (skt ashtangamarga, jap. hassho-do)
6 – Auditeurs (skt
shravaka), disciples qui recherchent l’Éveil de l’arhat au moyen du renoncement, de la discipline et la méditation. Symbolise également le septième des dix états de la vie. Le terme sanskrit arhat définit l’atteinte d’un état d’éveil incomplet, avec d’importantes nuances selon les écoles bouddhiques.
7 –
Bouddha-pour-soi (skt Pratyekabuddha), pratiquant qui a atteint le stade d’arhat par ses seuls efforts, sans l’enseignement d’un bouddha. Symbolise le huitième des dix états de la vie.
8 – Chapitre III du
Sûtra du Lotus, Analogies et paraboles.

Bouddhisme et mythologie

De nombreux êtres mythiques peuplent les textes bouddhiques chinois, tibétains ou japonais, de Brahma ou Shakra, jusqu’à d’obscures divinités tutélaires. Sans doute, à une époque lointaine croyait-on vraiment à leur existence, tout en comprenant intuitivement qu’ils étaient une façon de conceptualiser un principe universel ou particulier qu’on ne pouvait saisir par l’intellect. Comment comprendre la foudre quand on ignore l’existence de l’électricité ? Mais ne pas la comprendre ne signifie pas lui nier tout existence. Il est donc plus pratique de lui attribuer une personnalité, de lui coller une étiquette divine, ne serait-ce que pour la nommer et ainsi en tenir compte. Dans ce système, la divinité joue dans l’univers le rôle de l’inconnue pour les mathématiques.
Les adeptes du bouddhisme, suivant en cela l’esprit de leur fondateur, ont toujours cherché à préserver leur foi, leur pratique et l’esprit le plus essentiel de leur philosophie tout en s’adaptant à leur époque et leur pays. C’est ainsi que des divinités indiennes, japonaises ou autres ont pu être assimilées sans heurts par cette religion athée, prenant ainsi un sens tout nouveau, en accord avec le Dharma. Voici donc quelques unes de ces divinités.

Les huit Rois des nagas

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Sculpture de Naga à sept têtes devant la salle d’audience royale Phnom Penh, Cambodge. © Stephan Schulz

(Jap. Hachi Dai Ryo-o, skt Astanagaraja). S’ils sont parfois traduits en français par le mot dragon, ces êtres mythiques propres à l’Inde sont décrits comme des serpents géants dotés de plusieurs têtes anthropomorphes ; leur nom sanskrit, naga, signifie d’ailleurs serpent. En passant en Chine, puis en Corée et au Japon, avec les textes bouddhiques, ils ont été assimilés aux dragons légendaires de ces pays et ont pris leurs noms locaux (par exemple ryu en japonais). Ils vivent au fond de la mer et sous terre et commandent au climat, aux saisons et à la fertilité de tous les êtres vivants. On peut dire qu’ils incarnent les cycles écologiques. Avec de nombreux adeptes, ils étaient présent à la cérémonie du Sûtra du Lotus où ils ont juré de protéger le Bouddha et tous ses disciples. Ils sont décrits ainsi par Zhiyi dans ses commentaires du Sûtra du Lotus.
Nanda (Allégresse) et son frère Upananda (Félicité) font pleuvoir et nourrissent la terre, ils représentent également les deux premiers stades du bodhisattva. Sagara (Océan) gouverne les eaux de l’océan et l’atmosphère. Pour Zhiyi l’océan est la perfection de la sagesse et la grandeur de la vacuité (sunyata). C’est la fille de 8 ans (jap. Ryunyo) de Sagara qui atteint l’illumination dans le chapitre XII du Sûtra du Lotus. Vasuk (Multiples-Têtes) gouverne les multiples eaux de la terre : rivières, lac, étangs ; il personnifie la samadhi (concentration et méditation) à la fois sur ce qui s’inscrit dans le temps et ce qui n’a pas de limites. Taksaka (Plusieurs-Langues) gouverne les eaux souterraines qui peuvent apparaître comme distinctes en surface mais se rejoignent sous terre ; c’est le pouvoir des mots, qui peuvent paraître différents alors qu’ils désignent des choses liées, c’est également le pouvoir de l’éloquence. Anavatapta (Sans-Chaleur) règne sur le lac glacé Manasarovar dans l’Himalaya ; il était le seul capable de calmer la brûlure causée pas les dragons inférieurs. Manasvin (Grande-Vie ou Grand-Pouvoir) représente la possibilité de contenir l’eau pour en tirer de grands bénéfices ; il représente, pour Zhiyi, la capacité de faire jaillir la bouddhéité par l’observation de la voie du milieu. Utpalaka (Étang-Obscur) vit dans l’étang où pousse le lotus. La fleur représente la cause de la bouddhéité et l’étang souillé qui représente la vie.

Les divinités jumelles Même-Nom et Même-Naissance

Nichiren cite ces deux divinités bouddhiques, en japonais Domyo et Dosho, dans plusieurs textes (EdN 34, 54 et 93, WND 272 et 342). Voici ce qu’il en dit dans sa lettre, L’unité entre mari et femme :
« Le corps d’un être humain comporte une épaule gauche et une épaule droite sur lesquelles reposent deux divinités appelées Même-Nom et Même-Naissance. Ce sont les deux divinités auxquelles Brahma, Shakra et les dieux du soleil et de la lune ont assigné le rôle de protéger chaque personne. Depuis le moment où nous entrons dans la matrice de notre mère jusqu’à la fin de notre vie, elles nous accompagnent, comme notre ombre ou nos yeux. Que nous commettions un acte mauvais ou réalisions une bonne action, elles rapportent tout aux divinités célestes sans omettre le plus infime détail, fût-il aussi minuscule qu’une goutte de rosée ou qu’une particule de poussière. Cela est relaté dans le Sûtra de la Guirlande de fleurs et cité par le Grand Maître Tiantai dans le huitième volume de la Grande Concentration et Intuition. »
Zhanran, dans son commentaire du Sûtra de la Guirlande de fleurs, dit à ce sujet que Dosho naît en même temps que la personne qu’elle accompagne et que Domyo porte le même nom ; d’où la signification de leur nom (1). Dosho (divinité féminine) est assise sur l’épaule droite pour rapporter les mauvaises actions et Domyo (divinité masculine) sur la gauche pour signaler les bonnes au roi Yama (2).
Ces divinités pourront paraître familières aux Occidentaux et aux Proches-Orientaux, elles rappellent ces personnages mythiques des religions de la Bible : un couple ange/démon l’un faisant la morale à son protégé, l’autre cherchant à le tenter, ou encore les deux anges (arabe Hafiz) chargés de recueillir les confessions des morts.
Le bouddhisme lui-même a emprunté de nombreux éléments à l’hindouisme. Il est possible que les trois couples trouvent leur origine dans les religions anciennes de l’Inde, de même que les Kushojin (ou Gushoshin) citées dans le Sutra du Maître de la médecine. Ces divinités jumelles constituent un dossier complet sur chaque être humain depuis sa naissance jusqu’à sa mort. L’une se charge du bon comportement, l’autre des mauvaises actions et vont les présenter, selon les sources, soit à Shinku, le premier des dix juges en enfer, soit à Enma (2), le cinquième juge. On trouve encore, dans des contes traditionnels japonais, mention de Shimei et Shisei qui se tiennent sur nos épaules à partir du moment où nous sommes nés jusqu’au moment où nous mourrons et tiennent un compte minutieux de nos actions.
À l’instar des divinités présentées dans les enseignements bouddhiques, Même-Nom et Même-Naissance ne sont pas des entités d’essence divine, mais des fonctions de l’univers, des aspects particuliers du Dharma, elles représentent le mécanisme de la loi de cause et effet, l’une des caractéristiques de la vie, tandis que les autres couples nous assujettissent à une « autorité supérieure », nous soumettent à un jugement externe et sont l’expression du dualisme bien/mal, vice/vertu. D’ailleurs, Zhiyi, le Grand Maître Tiantai, dépasse cette dualité quand il déclare : « Les divinités Même-Nom et Même-Naissance protègent les personnes. Si la foi de celles-ci est forte, alors la protection est grande ». Bon ou mauvais karma, bonnes ou mauvaises causes peuvent donc également être sources de protection et par conséquent de développement personnel, tout est une question de conviction, d’état d’esprit.

Notes :

1 – Pourrait-il s’agir d’une allusion au nom et à la forme (skt namarupa), termes qui désignent les cinq éléments ? Dans ce cas, Même-Nom représenterait les quatre agrégats du groupe de l’esprit (skt nama) perception, conception, volition, conscience et Même-Naissance celui de la forme (skt rupa). Nous pouvons également remarquer que Même-Nom est masculin et Même-Naissance est féminin ce qui nous ramène à cet adage : l’homme donne le nom, la femme donne la vie…
2 – Yama
(jap. Enma) divinité de la mythologie indienne reprise par le bouddhisme est décrit sous divers aspects : Seigneur de la mort, qui préside au jugement des morts, Dharmaraja, le juge roi du Dharma, il est également le maître du monde des esprits affamés. Fils de Vivasvan (ou Vivasvat), le dieu de la lumière ou du soleil levant, qui est la mesure du temps, Yama représente le temps et la mort. Lui et sa sœur jumelle Yami auraient été les premiers êtres à mourir, devenant ainsi les maîtres des séjours infernaux.

Gongyo et la récitation des sûtras

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Sûtra du Lotus de l’époque Heian (Jap. XVe) sur rouleau. Ici, le IIe Chapitre « Moyens opportuns ». Musée national de Tokyo.

Le bouddhisme se pratique de multiples manières : récitation de sûtras, mantras ou dharanis (1), méditation, exercices physiques, chants, cérémonies d’offrandes ou d’adoration, prière, ainsi que l’usage de moulins, drapeaux et arbres à prières tibétains, etc. Cette diversité est due à l’influence des coutumes et cultes indigènes des pays dans lesquels il est né ou s’est implanté, aux apports de ses grands réformateurs, mais surtout au fait que son fondateur lui-même n’a pas souhaité enfermer son enseignement dans un rituel formaliste (2). Certaines de ces pratiques sont exceptionnelles, codifiées, liturgiques et pittoresques, voire touristiques, d’autres, courantes, régulières, font partie du quotidien d’un bouddhiste. On peut classer dans ces dernières la puja d’Inde ou du Népal, bien que ce terme soit aussi d’usage pour d’autres religions, et le gongyo (3) japonais.

Toutes les écoles du bouddhisme de Nichiren ont pour point commun un gongyo composé de la récitation de Nam myoho renge kyo et des passages des chapitres Moyens opportuns et Durée de la vie du Sûtra du Lotus. Cependant, elles se distinguent les unes des autres par des adjonctions à cette base (4). Ce choix commun du daimoku et des deux chapitres s’est fondé sur les recommandations de Nichiren dans ses écrits (5). Il les désigne comme la pratique appropriée à la période des derniers jours du Dharma (6), par exemple dans la Réponse au moine séculier Soya – EdN 58 : « J’ai recopié pour vous la partie en prose du chapitre Moyens opportuns. Vous devriez la réciter avec la partie en vers du chapitre Durée de la vie que je vous ai fait parvenir précédemment. » ou encore la Récitation des chapitres Moyens opportuns et Durée de la vie de l’Ainsi-Venu – EdN 9 : « Comme je l’ai déjà dit, bien qu’aucun des vingt-huit chapitres du Sûtra du Lotus ne soit à négliger, les chapitres Moyens opportuns et Durée de la vie sont particulièrement marquants. Les autres sont tous, en un sens, les branches et les feuilles de ces deux chapitres-là. Par conséquent, pour votre pratique régulière, je vous recommande de lire les parties en prose de Moyens opportuns et Durée de la vie. De plus, vous auriez intérêt à en copier deux exemplaires distincts. Les vingt-six chapitres restants sont comme l’ombre qui suit le corps ou comme la valeur intrinsèque d’un joyau. Si vous récitez ces deux chapitres, les autres seront tout naturellement inclus même si vous ne les récitez pas… Quant aux autres, vous pouvez de temps en temps vous tourner vers eux lorsque vous avez un moment de libre… »
Nous avons donc une explication sur l’importance capitale des deux chapitres : ils résument à eux seuls le Sûtra tout entier, qui lui-même contient tout l’enseignement du Bouddha. Nichiren y ajoute un autre aspect dans L’objet de vénération pour observer l’esprit – EdN 39 : « Il est dit dans le chapitre Moyens opportuns du premier volume du Sûtra du Lotus : « [Les bouddhas (…)] souhaitent ouvrir la porte de la sagesse du Bouddha à tous les êtres vivants ». Il est question, ici, de l’état de bouddha à l’intérieur des neuf états. On lit dans le chapitre Durée de la vie : « Ainsi, depuis que j’ai atteint la bouddhéité, un laps de temps extrêmement long s’est écoulé. La durée de ma vie est d’un nombre incommensurable d’asamkhya de kalpa, et, pendant tout ce temps, je suis resté ici sans jamais entrer dans l’extinction. Hommes de bien, dès l’origine, j’ai pratiqué la voie des bodhisattvas et la longévité que j’ai alors acquise n’est pas encore arrivée à son terme, mais durera deux fois le nombre d’années déjà écoulées. » Ce passage du Sûtra évoque les neuf états inclus dans la bouddhéité. » (7)

Il n’existe donc aucune différence fondamentale entre le Bouddha et l’homme ordinaire dans ces deux parties du Sûtra, ce qui n’est pas le cas dans le reste des enseignements de Shakyamuni.

L’histoire de gongyo de l’école du Taiseki-ji

Selon certaines sources, à l’époque de Nichiren, la lecture du chapitre Moyens opportuns ne s’arrêtait pas sur la triple récitation des dix modalités (comme de nos jours pour la Soka Gakkai et la Nichiren Shoshu), il incluait la section versifiée plus longue qui suivait. Nous avons une indication autre, qui concerne toutefois un disciple de Nichiren et non lui-même, dans Les quatorze oppositions à la Loi – EdN 92 : « Dans votre lettre, vous écrivez : « Depuis que j’ai adopté la foi dans ce sûtra, sans la moindre négligence, je n’ai cessé de réciter les dix facteurs de la vie et la partie en vers du chapitre Durée de la vie« . La fréquence de gongyo n’était pas non plus précisée. Nichiren parle de récitation du daimoku matin et soir, ou encore matin, après-midi et soir. Dans La transmission des enseignements oraux (explication sur le chapitre X Le Maître de la loi), il cite ce commentaire : « Matin après matin, nous nous levons avec le Bouddha, soir après soir, nous nous couchons avec le Bouddha. Moment après moment, nous atteignons la voie, à chaque instant nous révélons notre véritable identité ». Mais nous n’avons rien de plus précis. Et nous ne savons pas combien de fois il faisait lui-même gongyo par jour ni à quels moments.
Nous trouvons dans le document de transmission de Nikko à Nichimoku, son successeur (8), un document datant d’après sa mort et dont l’authenticité n’est pas unanimement reconnue : « Nichimoku aura la responsabilité d’administrer et de maintenir le Taiseki-ji (9) et les sites sur son terrain, tels que le Hondo (temple principal) et la tombe de notre maître, et il devra exécuter gongyo à ces endroits-là dans l’attente de kosen rufu. »
Pour avoir plus de détails, il faut attendre le XVe siècle, l’époque du 9e patriarche, Nichiu. Les archives des moines indiquent que la pratique consistait alors à accomplir gongyo en se déplaçant d’un bâtiment à un autre sur le terrain du Taiseki-ji pour différents hommages : à Nichiren, Nikko et Nichimoku, aux divinités bouddhiques, au Gohonzon, aux défunts, etc. Dans un recueil des paroles et des actes de Nichiu, on trouve une référence à un gongyo trois fois par jour. Dans le même texte, on peut voir le contenu de ce qui est considéré comme le gongyo du matin, peut-être le Ushitora gongyo, cérémonie consacrée à la paix mondiale, effectuée, entre 2 et 4 heures du matin. Selon le 66e patriarche de la Nichiren Shoshu, Nittatsu, mort en 1979, la pratique consistant à faire le tour des temples du Taiseki-ji pour accomplir gongyo s’est interrompue au XVIIe siècle et a été remplacée par cinq récitations du Sûtra du Lotus dans le Hall de Réception (Kyakuden).
Mais, cette règle était encore destinée aux moines dans l’enceinte du Taiseki-ji. Nous n’avons enfin une indication sur la pratique des laïcs qu’au XVIIIe siècle, avec Nichikan, 26e patriarche, quoiqu’elle ne concerne que des groupes proches du temple : la récitation des deux chapitres du Sûtra cinq fois la matin et trois fois le soir. Mais c’est cette formule qui,  après la Seconde Guerre mondiale, sera étendue à tous les membres de la Nichiren Shoshu et la Soka Gakkai, suite à une décision prise conjointement par le grand patriarche de la première et le deuxième président de la seconde, Josei Toda, et ce, jusqu’à la séparation des deux organisations (10).

Sur la forme

Venons-en maintenant à la forme particulière du gongyo « Sûtra + daimoku ». Pour les disciples de Nichiren, ce sont les deux parties du Sûtra du Lotus et, conjointement, celle d’un mantra – en l’occurrence son titre précédé d’une formule respectueuse, sujet que nous avons abordé dans l’article sur Nam myoho renge kyo de ce blog. Ces deux types de pratiques ne sont pas propres au bouddhisme de Nichiren ; elles existaient du temps de Shakyamuni et, avant lui, dans des traditions védiques ou yogiques qui se perdent dans la nuit des temps (11). En ce qui concerne la première, l’apprentissage par cœur et la récitation étaient, pour les adeptes d’une religion, d’une science ou d’une philosophie nées dans une culture méconnaissant l’usage de l’écriture, la seule méthode qui permettait à ceux-ci de retenir, comprendre et transmettre aux générations suivantes un enseignement, une découverte ou une expérience. Toutefois, elles se sont maintenues malgré la transcription des sûtras, règles et commentaires, jusqu’à nos jours. L’aspect utilitaire de l’apprentissage et la récitation n’est donc pas un argument important.
Mais quels bienfaits pouvons-nous obtenir à réciter tout ou partie d’un sûtra, en dehors du fait que, finissant par le connaître par cœur, nous avons tout le loisir d’y réfléchir, de chercher à le comprendre en profondeur, à nous en imprégner ? Pour le seul Sûtra du Lotus, nous en trouvons une réponse dans son chapitre XVII, Distinctions et bienfaits : réciter le Sûtra équivaut à faire revivre le Bouddha à travers ses sermons, à faire partie nous-mêmes, par delà le temps et l’espace aux assemblées qui sont venues l’écouter (12). Ce qui nous ramène au Gohonzon, la représentation graphique de la cérémonie du Sûtra du Lotus.
Une autre question peut nous venir à l’esprit : la parole du Bouddha peut-elle être juste et nous décrire des prodiges, des scènes surnaturelles et nombre d’anachronismes, le tout avec de multiples répétitions et des louanges qui n’en finissent pas (13) ? Oui, parce que Shakyamuni n’a pas cherché à créer un système de pensée, une science objective, mais une méthode d’éveil à la réalité ultime du monde. Il a donc laissé à la postérité une méthode que ses « successeurs » au fil des siècles se sont efforcés de propager en l’adaptant.

L’importance de la foi

Il ne suffit pourtant pas de lire à voix haute le Sûtra du Lotus (ni réciter le daimoku) pour pratiquer le bouddhisme. Nichiren écrit dans Le daimoku du Sûtra du Lotus – EdN 14 : « Accepter, garder, lire, réciter, se réjouir et protéger dans leur totalité les huit volumes et les vingt-huit chapitres correspond à ce que l’on appelle la pratique complète. Accepter, garder et protéger les chapitres Moyens opportuns et Durée de la vie est ce que l’on appelle la pratique abrégée. Et ne réciter qu’une strophe en quatre vers ou le daimoku (14), en protégeant ceux qui font de même, est ce que l’on appelle la pratique essentielle. »
Gongyo représente donc l’association de la pratique abrégée et de la pratique essentielle du bouddhisme de Nichiren. Dans cette logique, nous pourrions ajouter que lire l’intégralité du Sûtra du Lotus à voix haute ne constituerait pas seulement un acte d’étude, mais la pratique complète telle que l’a exposée Nichiren…
Accepter, garder, lire, réciter, se réjouir et protéger est une liste de pratiques qui en rappelle d’autres (15). En particulier celle qui est exposée dans le Sûtra du Lotus, chapitre XI, pour souligner la difficulté de propager et pratiquer ce Sûtra à l’époque des derniers jours du Dharma, les six actes difficiles et neuf actes faciles (jap. rokunan kui). Les six premiers sont :
– propager largement le Sûtra du Lotus
– le copier ou le faire copier
– le réciter ne serait-ce qu’un court instant
– l’enseigner ne serait-ce qu’à une seule personne
– l’écouter, l’accepter et s’enquérir de sa signification
– garder la foi en le Sûtra.
Tandis que parmi les actes faciles nous trouvons des «exploits impossibles» comme : poser la Terre sur son ongle et monter avec jusqu’au ciel de Brahma, prendre le mont Sumeru et le lancer à travers une multitude de terres de Bouddha, enseigner d’innombrables sûtras autres que le Sûtra du Lotus, etc.
Les actions difficiles font référence à la propagation du Sûtra, sa pérennisation par la copie, sa récitation, son acceptation et son écoute, mais également son étude en même temps que son enseignement, ainsi que la préservation de sa foi en lui. Nous le constatons, le Bouddha lui-même insiste sur le fait qu’étude et croyance sont indispensables à la pratique, elles font partie intégrante de la pratique. Par conséquent, faire gongyo sans savoir ce que l’on récite, sans « s’enquérir de sa signification » n’est pas la pratique complète. Ne pas chercher à en acquérir une compréhension profonde non plus, si nous nous référons à cette citation de Nichiren dans Sur les quatre étapes de la foi et les cinq étapes de la pratique – EdN 94 : « Zhanran écrivit qu’éprouver, ne serait-ce qu’un instant, la foi et la compréhension est le début de la pratique de l’enseignement essentiel ».

Notes :

1 – Le dharani, d’origine indienne, semble être à l’origine un procédé mnémotechnique pour retenir l’essentiel d’un enseignement, ce qui était capital pour la perpétuation des doctrines religieuses dans une culture orale. Elle a pris par la suite une orientation magique, surnaturelle, tout comme, dans certains cas, le mantra. De fait, la différence entre les deux formules est minime et arbitraire : on peut estimer que le mantra se distingue par sa concision et que le dharani est plutôt associée à un certain cérémonial.
2 – Les règles que le Bouddha a pu fixer de son vivant à ses disciples concernaient moins la pratique proprement dite, que la vie sociale à l’intérieur de la sangha où en relation avec l’extérieur. Il incluait même l’attachement aux rites et rituels aux dix entraves (skt samyojana) qui retiennent les êtres vivants dans le cycle du samsara. Par la suite, un formalisme s’est sans doute révélé nécessaire ou s’est imposé de lui-même pour pérenniser l’esprit du bouddhisme à travers les époques et les pays.
3 – Gongyo est un nom d’origine chinoise emprunté au taoïsme qui a pour sens « pratique assidue ». C’est un terme japonais commun qui n’est spécifique à aucune école bouddhique.
4 – Jusqu’à leur scission à la fin du siècle dernier, la Nichiren Shoshu et la Soka Gakkai avaient un même gongyo qui comprenait plusieurs lectures de IIe et XVIe chapitres du Sûtra du Lotus suivies de prières silencieuses – cinq le matin et trois le soir – et la récitation du daimoku. La seconde a opéré une simplification drastique en adoptant un gongyo identique pour le matin et le soir, composé d’une unique lecture du IIe chapitre et de la seule partie en prose du XVIe, de la récitation du daimoku et conclu par trois prières silencieuses. La Nichiren Shu et les autres écoles proposent différents types de gongyo, pouvant inclure la lecture et la récitation d’autres chapitres du Sûtra du Lotus, l’intégralité du XVI, des extraits des Écrits de Nichiren et elles peuvent les accompagner de pratiques telles la méditation, la calligraphie du daimoku, une étude approfondie de la doctrine, etc. Certaines, parmi les plus récentes, prônent la récitation de passages d’autres sûtras du Mahayana, ! À cela, il faut ajouter une liturgie plus spécifiquement monastique qui se pratique généralement dans les temples, tel que présentation des reliques, mariages, cérémonies pour les défunts, commémorations, etc.
Ces différences sont dues en grande partie au fait que Nichiren, tout comme Shakyamuni, n’a pas fixé de règles détaillées dans ce domaine et que ses successeurs dans les différentes écoles qui se sont créées après sa mort ont divergé à la fois sur quelques points de doctrine et les modalités de la pratique.  Cette pluralité, dans les deux cas, est révélatrice de l’esprit et du but du bouddhisme. L’Éveil ne s’impose pas de l’extérieur, il se suscite par les formes ou les moyens (hoben) appropriés.
5 –  Le terme de recommandation est bien celui qui convient pour les lettres qu’il adresse à ses disciples, alors que, par ailleurs, il se montre intransigeant envers tous les adversaires du Sûtra du Lotus, moines ou gouvernants.
6 – Jap. mappo, skt saddharma vipralopa. Dans un certain nombre de sûtras, dont le Sûtra du Lotus et surtout le Sûtra de la Grande Assemblée, Shakyamuni explique que son enseignement connaîtra cinq périodes de cinq cents ans (l’ère de l’Éveil, l’ère de la méditation, l’ère de la lecture, la récitation et l’écoute, l’ère de la construction des temples et l’ère des conflits) au cours desquelles il se répandra, prospérera, se formalisera, puis perdra son pouvoir de mener les êtres humains à l’Éveil. La cinquième la période, celle des derniers jours du Dharma (mappo), sera aussi celle de l’établissement des enseignements basés sur le Sûtra du Lotus définitif (Myoho renge kyo).
Nichiren dit à ce sujet dans Encouragements à un malade – EdN 10 « Notre époque coïncide avec le début de l’époque de la fin du Dharma. Ceux qui avaient la capacité d’atteindre l’illumination, soit par les sûtras du Hinayana, soit par les sûtras provisoires du Mahayana, ont tous disparu. Demeurent uniquement ceux dont la capacité ne s’accorde qu’avec le sûtra véritable du Mahayana. »
Zhiyi déclare dans les Mots et les expressions du Sutra du Lotus : « Dans la dernière période de cinq cents ans, la voie mystique se propagera et bénéficiera à l’humanité loin dans l’avenir ».
7 – Nichiren revient sur le sujet dans L’importance des chapitres Moyens opportuns et Durée de la vie – WND 291 : « Le chapitre Moyens opportuns constitue le cœur de l’enseignement théorique. Dans ce chapitre, le Bouddha expose la doctrine des dix modalités de la vie et le véritable aspect de tous les phénomènes. Il montre clairement comment les êtres vivants dans les dix états peuvent atteindre bouddhéité… dans le chapitre Durée de la vie, Shakyamuni, le seigneur des enseignements, révèle la doctrine de trois mille mondes en un seul instant de la vie qu’il est parvenu à comprendre et qui est semblable à l’illumination intérieure de tous les bouddhas des trois existences.
Cette doctrine représente donc non seulement l’illumination personnelle atteint par un seul Bouddha, Shakyamuni, mais encore l’éveil de tous les autres bouddhas. Nous les êtres, qui depuis des temps immémoriaux avons pataugé dans les vagues du cycle des six voies de la naissance et la mort, rencontrons aujourd’hui le Sûtra du Lotus enseigné par le Bouddha Shakyamuni, maître de la doctrine, parce que dans une existence passée, nous avons écouté l’enseignement des trois mille mondes en un seul instant de vie que l’ on trouve dans ce chapitre Durée de la vie, la doctrine du Bouddha réalisée quand celui-ci a atteint l’ illumination originelle dans le passé infiniment lointain. »
8 – Nikko est le successeur de Nichiren dans la lignée de l’école Nichiren devenue en 1912 la Nichiren Shoshu.
9 – Le monastère principal de l’école Nichiren dont sont issues la Nichiren Shoshu et la Soka Gakkai, établi en 1290 par Nikko sur les pentes du mont Fuji.
10 – Pour plus de détails historiques voir l’article sur le site nichiren-etudes.net ou encore pour les anglophones sokaspirit.org.
En ce qui concerne les autres écoles Nichiren, notamment les cinq qui forment la Nichiren Shu, les documents sur leur gongyo sont trop rares et trop peu accessibles pour en extraire un historique cohérent.
11 – Le mot sanskrit sûtra (ou sutta en pali) qui signifie « fil » (fil de la pensée) désigne aussi bien un texte, un livre, qu’un enseignement oral, bouddhique ou non, religion ou profane. Pour le Sûtra du Lotus, il peut s’appliquer à son enseignement, le livre lui-même ou encore la cérémonie qui y est décrite.
12 – Shakyamuni déclare dans ce chapitre : « Ajita, si hommes et femmes de bien, en m’entendant décrire la grande étendue de la durée de vie, y accordent foi du fond du cœur et comprennent, il leur sera alors donné de voir le Bouddha résider constamment sur le mont Gridhrakuta, prêchant le Dharma entouré des grands bodhisattvas et d’une multitude d’auditeurs. » En m’entendant, peut être interprétée ainsi : réciter les paroles du Bouddha revient à le faire parler lui-même et donc à l’écouter, d’où l’importance d’une lecture à voix haute et non intérieure.
13 – La mémoire humaine ayant ses limites, même celle des grands disciples du Bouddha, il lui fallait le recours à de méthodes mnémotechniques telles les répétitions, la mise en vers ou l’établissement de listes (quatre vérités, octuple sentier, six paramitas, etc.) pour retenir des enseignements aussi conséquents que les sûtras. Pourtant, de l’avis des spécialistes du bouddhisme et compte tenu de l’existence de plusieurs versions d’un même sûtra – ce qui est le cas pour le Sûtra du Lotus –, dans des langues parfois différentes, les enseignements qui ont traversé le temps jusqu’à nous ont subi de profondes transformations. Pourquoi ces apparentes altérations ? Pendant plusieurs siècles, ces enseignements se sont transmis oralement selon des filières géographiques différentes. Ils ont été traduits de la langue de Shakyamuni en pali, en sanskrit, en thibétain, en chinois. Les variations étaient inévitables, d’autant que, par admiration ou un souci pédagogique, les moines des différentes écoles différentes qui les prêchaient et les recopiaient ont pu faire preuve d’exagérations dans les mises en scènes, de syncrétisme, d’extrapolation, d’assimilation de traditions locales ou d’adaptation aux progrès techniques de l’humanité. Ce qui a donné lieu, dans ce dernier cas, à des anachronismes. Shakyamuni n’a pas pu recommander de lire des sûtras qui n’étaient pas encore rédigés ! Mais à partir du moment où ce fut le cas, cela tombait sous le sens pour les copistes ou traducteurs de le rajouter.
14 – Il faut garder à l’esprit que le daimoku est d’abord le titre du Sûtra du Lotus.
15 – Pour les citer :
• Les six pratiques mentionnées dans le Traité de la grande perfection de sagesse : accepter, garder, lire, réciter, enseigner et transcrire.
• Les dix pratiques : transcrire, faire des offrandes, répandre et transmettre, écouter, lire, garder à l’esprit, enseigner
• Les cinq pratiques merveilleuses : adhérer au Sûtra du Lotus, le lire, le réciter, l’enseigner et le transcrire
• Autres cinq pratiques merveilleuses : se réjouir d’entendre ce Sûtra, le lire et le réciter, le propager, y croire et pratiquer les six paramitas, atteindre la perfection des six paramitas.

 

Les offrandes au Gohonzon

L’origine de la pratique religieuse de l’offrande se perd dans la nuit des temps. Dans les cultes préhistoriques les plus anciens, l’animisme, le totémisme et le chamanisme, elle avait pour but d’attirer la bienveillance, l’intervention ou le secours des forces de la nature, des animaux totémiques, des esprits, des divinités, en échange d’un don ou du sacrifice d’un bien, d’un objet, de nourriture, de vies animales, voire humaines, etc. Nous pouvons supposer que les humains et peut-être les pré-humains, qui utilisaient déjà entre eux l’échange, ont conçu l’idée qu’ils pouvaient en faire de même avec les choses, êtres, phénomènes ou entités sur lesquels ils n’avaient pas de prise, dont ils ne comprenaient pas la nature.
Cette pratique s’est poursuivie dans la plupart des religions sous des formes diverses, le sacrifice ou l’offrande pouvant être purement symbolique comme l’Eucharistie catholique, figuré quand l’on consommait ce qu’on avait offert (libations des gréco-romaines, sacrifices d’animaux chez les musulmans) ou authentique comme les holocaustes des hébreux dont les victimes étaient brûlées. Dans l’Inde ancienne, largement répandues chez les brahmanistes (1), elles ont été reprises par l’hindouisme et en partie par le bouddhisme qui a totalement banni et condamné le rite sacrificiel (yanna en pâli). Le Dharma, la doctrine bouddhique, propose le développement ou l’Éveil personnel, et non le recours à des entités extérieures. La loi de causalité, à la base du concept du karma, n’admet pas la notion de « la fin justifie les moyens ». Le sacrifice, par la souffrance qu’il provoque, est en soi une mauvaise cause. Quel qu’en soit le but, il engendre toujours un effet négatif.
Les offrandes avaient elles-mêmes un sens très particulier dans le bouddhisme de l’antiquité qui privilégiait l’état monastique. Les adeptes laïcs ne souhaitant pas, pour toutes sortes de raisons, quitter le monde séculier et se faire moines, pensaient pouvoir accumuler de bonnes causes, pour alléger leur karma, en faisant des dons au Bouddha et à la communauté des moines (skt sangha). Les membres de celle-ci, comme tous les ascètes (skt sramana), ne possédaient rien. Ils mendiaient leur nourriture dans les villes et les villages et vivaient dans des parcs ou des domaines offerts par les riches propriétaires. Le don bouddhique était donc adressé principalement à des personnes ou groupes de personnes vivants, du moins jusqu’à l’extinction du Bouddha.
En quoi donner de la nourriture, des domaines, des vêtements, plus tard de l’argent, est-il méritoire ? Consacrer son temps, donc une part sa vie, à travailler pour les obtenir, équivaut à offrir ce temps et une part de cette vie, davantage qu’un bien matériel. Dans le cas du bouddhisme ancien, le bénéfice recherché par cette pratique est d’ordre de l’immatériel : c’est l’allègement du karma par la création de causes positives.
Le Kutadanta sutta, un texte du Hinayana, décrit comment le Bouddha dissuade le brahmane Kutadanta de procéder à l’holocauste de 700 taureaux et autant de bœufs, génisses, boucs et béliers et de le remplacer par des dons matériels aux ascètes, à la sangha, le don de soi en prenant refuge dans le Bouddha (décider de pratiquer le bouddhisme), pour finir par l’engagement et le perfectionnement dans la Voie (2). C’est là le second sens de l’offrande dans le bouddhisme. L’offrande que l’on fait de sa personne, de sa vie, ou tout simplement d’une partie de son temps en les consacrant à la pratique et à l’étude.
Jusqu’au IIe siècle avant notre ère, l’art bouddhique a connu une période dite aniconique (sans icônes ni représentations de personnages sacrés), pendant laquelle il ne s’est manifesté qu’à travers des écritures et des symboles pour évoquer la figure du Bouddha, tels le Lotus, la Roue du Dharma, l’Arbre de l’Éveil, etc. Nous pouvons penser que ces représentations indirectes ou abstraites ne favorisaient pas la pratique du don ou de l’offrande en dehors de ceux qui étaient destinés aux moines et aux sanghas. Par la suite, au nord de l’Inde, sous l’influence grecque, puis en au Tibet, et dans tout le sud-est asiatique sont apparues des statues de Gautama et ses avatars, d’autres bouddhas, tels Amida ou Vairocana, des bodhisattvas et même des divinités (3). La fonction première de ces représentations était de servir d’intermédiaire, d’intercesseur, entre les fidèles et l’entité qu’elles étaient sensées incarner en recevant les dons.
Souvenons nous des trois ères du Dharma (voir article) exposées dans les sûtras. Malgré des décalages de dates, l’histoire confirme que le bouddhisme a connu une période de Dharma correct, suivie d’une période de faux Dharma divisée en âge de la lecture, la récitation et l’écoute, puis en âge de la construction des temples et des stupas. Autrement dit, une période de pratique personnelle et vivante et une autre de pratique formelle, sociale, faite de dons.
Les écoles bouddhiques japonaises importées de Chine ou créées par des moines locaux ont suivi cette même voie jusqu’à Nichiren. Mais celui-ci, s’il n’a pas formellement interdit à ses membres de faire exécuter des statues de bouddhas ou de bodhisattvas ne les a pas encouragés. De même qu’il n’a jamais imposé de règles de pratique précises.
Les offrandes posées devant le Gohonzon sont généralement de l’eau, du riz, des fruits, des bougies, du feuillage vert et de l’encens. Elles ne sont pas une exigence de Nichiren, mais nous viennent de la traditions bouddhique avec le sens de l’échange, propre à la plupart des religions. À cette différence qu’elles ne sont pas proposées à un dieu, un bouddha ou des moines, mais à un mandala qui représente notre état de bouddha. D’une certaine manière, ce sont nos neuf premiers états qui les adressent au dixième (voir article sur les dix états de vie). On peut également les considérer comme un témoignage de respect envers un maître ou encore se dire qu’entourer d’attentions l’autel où est enchâssé l’objet de culte, de même que se comporter dignement pendant la pratique, fournit une aide à la concentration et à l’expression de la conviction. Mettre de l’ordre autour de soi, c’est aussi mettre de l’ordre en soi.

Trois pour trois trésors ou trois vérités ?

Présenter au Gohonzon de l’eau et de la nourriture, riz ou fruits, ne semblent pas avoir d’autre sens que celui de l’offrande libatoire, celle qui sera consommée par la suite. Un peu avant les repas, les Japonais disposent dans une coupelle du riz cuit qu’ils remettent dans le plat familial au moment de passer à table. Cette coutume concerne plutôt les peuples asiatiques qui ont fait de cette céréale la base de leur alimentation. L’équivalence serait le pain pour la France et des légumes ailleurs, mais cette pratique ne semble pas s’être répandue.  L’eau fraîche apportée le matin est généralement bue après le gongyo. Les fruits, eux, peuvent rester plusieurs jours, le temps de mûrir éventuellement. L’essentiel étant qu’ils restent mangeables, par respect pour le Gohonzon… et la santé  de la famille.
Les bougies, le feuillage vert et l’encens sont en revanche chargés de symboles. Ensemble, ils représentent les trois vérités. La bougie pour la vacuité, le feuillage pour l’existence temporaire et l’encens pour la Voie du milieu. La flamme des bougies est un phénomène sans substance, le feu n’est pas la mèche qui le nourrit et une fois éteint il n’existe plus. Le feuillage vert, parce qu’il fane, indique l’éphémérité de la vie, l’existence temporaire. L’encens qui brûle est la synthèse du feu et de la matière, sans être ni l’un ni l’autre.
Avoir un feuillage cueilli et renouvelé fréquemment n’est pas toujours commode, surtout que, traditionnellement, les japonais utilisent du shikimi (badiane japonaise) difficile à trouver dans de nombreux pays à cause de sa toxicité ou même dans les villes japonaises. Certaines personnes les remplacent par d’autres variétés de feuillage, des plantes en pots ou artificielles. La vie moderne ne permet pas toujours d’utiliser des bougies en toute sécurité et tout le monde ne supporte pas l’odeur de l’encens. C’est à chacun de voir, si l’artificiel ou un produit de substitution vaut mieux que rien.
encensDans une présentation symétrique, il est d’usage de placer l’encens au milieu, le feuillage à l’extérieur et les bougies entre les deux ; asymétriquement, l’encens reste au milieu, le feuillage est à gauche et la bougie unique à droite.
La plupart des pratiquants placent devant le Gohonzon deux kamon, emblèmes claniques japonais traditionnels. Ceux de la Soka Gakkai, représentant la fleur de Lotus à huit pétales, ou encore une paire de cygnes, oiseau qui était à l’origine l’emblème de la famille de Nikko Shonin, successeur de Nichiren. Celui qui a le bec ouvert représente Nichiren et l’autre Nikko. Le premier enseigne le Dharma, le second l’écoute, ce qui symbolise la relation de maître à disciple.
Dernier élément rituel, le gong, qui est une offrande de musique au Gohonzon. Pourquoi le frappe-t-on, trois fois et pas deux ou quatre ? Ce chiffre trois a la même symbolique que les « trois daimoku ». Nous adressons les daimoku ou les sons du gong aux trois trésors de la Loi, du Bouddha et de la sangha.
Dans le rituel, rien ne paraît important séparément. On peut se passer d’encens, de bougie, mettre des fleurs à la place de plantes vertes, manier le gong de manière fantaisiste et pourquoi pas faire gongyo en pyjama ou laisser la télévision allumée pour les enfants… Cependant, pour une question de sens commun, plus que de rigueur religieuse, il est souhaitable de se donner un cadre et de s’y fixer, sinon, d’exception en exception, ce que l’on fait finit pas ne plus avoir de sens, ni d’effet. Pour cela, il n’est pas inutile de connaître la véritable signification de ce qui pourrait paraître une simple mise en scène…
Notes :
1 – Ces pratiques brahmanistes sont d’ailleurs à l’origine du mot « karma » (voir article).
2 – D’autres sources citent un passage presque identique de l’Aggi sutta dans lequel le Bouddha convainc le Brahmane Uggatasarira de renoncer à sacrifier des centaines d’animaux et de devenir son disciple.
3 – N’oublions pas que, dans le bouddhisme ancien, les divinités ou
devas ne possèdent pas les pouvoirs qui leur sont attribués par les autres religions. Elles représentent une catégorie d’êtres immatériels qui vivent sur des plans plus élevés que le monde des humains, mais sont incapables d’atteindre l’état de bouddha. Elles ont, par ailleurs, juré de protéger les adeptes du Sûtra du Lotus.

Les dix modalités de la vie

Voici le troisième élément de la théorie des trois mille mondes. Appelé junyozé en japonais, il a été traduit en français par l’expression dix modalités d’expression de la vie (1). Ju signifie dix et nyozé est la traduction du mot sanskrit tathata qui a pour sens : ce qui est ainsi ou « ainsité » ou encore la vérité définie comme ultime (ultime, parce qu’elle est au-delà de toute définition et de toute analyse possible). Le Sûtra du Lotus, dans le IIe chapitre, le présente ainsi : « La véritable entité de tous les phénomènes ne peut être comprise et partagée que par des bouddhas. Cette réalité consiste en l’apparence, la nature, l’entièreté, etc. » (2)
Rappelons brièvement ici ce que sont ces dix modalités : apparence, nature, entièreté, pouvoir, influence, cause inhérente, condition, effet latent, effet manifeste et, enfin, leur cohérence du début à la fin (3). Nous le constatons, toutes les modalités ne sont pas du même ordre, les trois premières désignent un aspect de la vie, les six suivantes décrivent le mécanisme de causalité et la dernière fait une synthèse des neuf autres.

Apparence, nature et entièreté

Nichiren donne de celles-ci la définition suivante (Sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie, Ichinen sanzen riji – WND 178 :
« I – L’apparence est le corps. Le Sens profond du Sûtra du Lotus vol. II dit : l’apparence est l’aspect des choses qui peut être discerné par l’observation de l’extérieur. Dans le Commentaire sur le Sens profond du Sûtra du Lotus, le vol. VI dit : L’apparence n’existe que dans ce qui est matériel.
II – La nature est l’esprit. Le Sens profond vol. II dit : La nature est ce qui réside dans une chose et ne changera pas par elle-même. Le commentaire du Sens profond vol. VI dit : La nature n’existe que dans ce qui est spirituel.
III – L’entièreté est le corps et l’esprit ensemble. Le Sens profond vol. II dit : La principale substance d’une chose est appelée entièreté.(4) »
Apparence, nature et entité ne doivent pas être considérées, au sein des trois mille mondes, comme le sujet, puisque celui-ci est représenté par les trois domaines de l’existence (5). Reprenons la définition de junyozé : « dix modalités d’expression de la vie ». Sur cette base, on peut dire, à propos des cinq agrégats qui composent les êtres vivants, qu’ils se manifestent selon les propriétés de l’apparence, la nature, l’entièreté (et naturellement des sept autres). Nous avons donc tous une apparence physique, appelée à évoluer naturellement avec le temps, du nouveau-né au vieillard en passant par l’adulte et, en même temps, quelque chose fait que nous restons nous-mêmes : une personnalité, un tempérament, une mémoire qui nous sont propres, c’est là notre nature. Apparence et nature étant indissociables, elles forment notre entièreté. Mais celle-ci n’est pas simplement la somme des deux premières. Toutes trois représentent le triple point de vue de la vacuité, l’existence temporaire et la voie du milieu (voir les trois vérités). En conséquence, l’entièreté représente les qualités des deux sans être essentiellement l’une et l’autre. Ce que Nichiren explique dans Sur les dix modalités, Junyozé ji – WND 179 : « En premier lieu, en ce qui concerne l’apparence, il s’agit de l’apparence qui se manifeste par la forme et le contour de notre corps. Ce qui correspond au corps manifesté de l’Ainsi-venu ainsi qu’à l’émancipation et à la vérité de l’existence temporaire.
Ensuite, en ce qui concerne la nature, il s’agit de la nature de notre esprit. Ce qui correspond au corps de récompense de l’Ainsi-venu, ainsi qu’à la sagesse et à la vérité de la non-substantialité.
La troisième modalité est l’entièreté, laquelle représente les entités de nos propres vies. Ce qui correspond au corps du Dharma de l’Ainsi-venu, ainsi qu’à la vérité de la Voie du Milieu, à la nature essentielle des phénomènes et la tranquille extinction. »
Apparence, nature et entièreté ne se limitent pas à la personne. À travers les trois mille mondes, elles s’appliquent à tous les phénomènes de l’univers et, donc, à l’environnement. « …Les dix modalités d’expression de la vie existent dans un pays. Vie et environnement sont indissociables. C’est ce principe de l’inséparabilité de la vie et de son environnement qui est à l’origine de l’idée qu’une révolution humaine implique simultanément une révolution du pays et de la société. » Daisaku Ikeda (La sagesse du Sûtra du Lotus). En conséquence, le sujet des trois mille mondes est bien les cinq agrégats.  Ce que précise définitivement Zhiyi dans la Grande concentration et intuition : « En outre, les dix [manifestations différentes] des cinq agrégats comprennent chacun dix constituants dharmiques [phénoménaux]. La marque, la nature, la substance, le pouvoir, l’activité, la cause palpable, les influences auxiliaires, l’effet, la récompense et le début jusqu’à la fin ultime… »

La relation de cause à effet

Un processus va faire que la vie, s’exprimant à travers ses trois premières modalités, va évoluer pour passer d’un état à un autre. C’est ce processus qui est décrit à travers les six modalités suivantes.
Le pouvoir est le potentiel dont nous disposons, qui nous vient de notre apparence, notre nature et notre entièreté, mais qui n’est pas forcément exploité à son maximum ou dans un sens positif à chacune de nos actions. Il s’exerce à travers l’influence qui s’exprime par la pensée, la parole ou l’action sur un objet, par exemple, l’environnement, un être vivant, un groupe d’êtres ou encore soi-même. La qualité de cette influence, le processus de cause/effet qu’elle va entraîner, dépend de l’état de vie dans lequel nous nous trouvons. L’état d’enfer, par exemple, est un « état d’enfermement » où nous subissons plus que nous agissons, notre influence y est donc faible, au contraire de l’état de bouddha qui est un « état de liberté » dans lequel, notre impact positif sur notre environnement est le plus puissant.
Remarquons que nyozé sa a le sens de « ainsi est l’influence ». Il ne désigne pas l’action proprement dite, mais plutôt le champ de notre pouvoir sur l’extérieur, ce qui inclut nos intentions, nos sentiments, nos pensées. L’action seule (ou l’acte) n’est donc pas présente dans les dix modalités de la vie. D’ailleurs, dans le bouddhisme mahayana, ce n’est pas elle qui crée le karma, c’est l’intention (5). Ainsi, nuire ou aider quelqu’un fortuitement, sans intention, n’engendre pas d’effet positif ou négatif, tandis qu’une intention suivie d’une action qui sera interrompue par le fait du hasard aura, elle, une conséquence dans le domaine du karma.

Nous ne trouverons pas plus l’action dans la cause interne, sinon avec une notion d’action karmique sur soi-même. Voici ce que Nichiren explique dans la suite de son texte (Sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie) :
« VI – La cause interne se rapporte à l’esprit. La Grande concentration et intuition dit : la cause interne est ce qui suscite un effet. Ce qui est également connu comme l’action karmique.

VII – La relation. La Grande concentration et intuition : la relation, ou la condition, aide l’action karmique à produire son effet.
VIII – L’effet latent. La Grande concentration et intuition dit : l’effet latent se réfère à la réalisation [potentiel].
IX – L’effet manifeste. La Grande concentration et intuition dit : L’effet manifeste est ce qui résulte d’une cause. »
La cause interne se rapporte à l’esprit, elle n’est pas manifeste, sa seule conséquence est karmique, elle crée en nous un effet latent qui s’inscrira dans notre huitième conscience, la conscience réceptacle (voir les trois domaines d’existence). Cependant, pour que le processus, influence/cause interne/effet latent se produise, il faut un catalyseur, un déclencheur, et c’est là la fonction de la condition ou relation, que nous retrouverons également liée à la cause dans le principe de l’origine interdépendante.

Le bouddhisme ne considère jamais l’être comme un sujet isolé, il le place dans une relation constante avec son environnement, tel est le sens de la non-dualité de la vie et de son environnement (jap. esho funi). Dans cette optique, on pourrait penser qu’il n’y a jamais action (dans le sens d’acte isolé, spontané, non-motivé), mais qu’en fait, il y a toujours réaction à quelque chose, à quelqu’un, à une situation, voire une part de nous-mêmes. Et cette chose, c’est la relation.
L’effet latent va donc s’inscrire dans la huitième conscience d’où il influencera en positif ou en négatif nos tendances de vie, nos jugements, notre façon de penser, nos sept premières consciences et les quatre premiers agrégats, pour se manifester plus tard sous la forme d’une rétribution ou effet manifeste.

Le karma

L’accumulation, au cours des existences successives, des effets latents bons ou mauvais produit le karma qui se manifeste par des effets manifestes en soi ou dans notre environnement. Mais peut-on dire à chaque cause, son effet ? Le karma semble obéir à des lois beaucoup plus complexes. Nichiren écrit (op.cit.) : « Il existe deux sortes de karma. Le premier est « le karma conduisant à la renaissance », qui détermine le domaine de l’existence dans lequel nous allons renaître. Le second est un « karma complémentaire », qui représente tout le karma non inclus dans la première catégorie. » Dans Sur le prolongement de la durée de vie – EdN 129, il explique : « Le karma peut être aussi divisé en deux catégories : le karma fixe et le non-fixe. Un repentir sincère peut éliminer même le karma fixe, à plus forte raison le karma non-fixe. »
Le karma fixe peut aussi être compris comme un karma dont les effets sont destinés à apparaître à un moment donné. Dans ce cas, le karma fixe créé au cours d’une vie particulière peut être de trois sortes : le karma dont les effets sont destinés à apparaître au cours de la même vie, celui dont les effets apparaîtront au cours de la vie prochaine, celui dont les effets se produiront plus tard. En règle générale, plus les karma sont mauvais, plus ils se manifestent tardivement. Le karma modifiable ou karma non fixe, dont les effets ne sont pas absolument réversibles ou qui n’est pas destiné à apparaître à un moment précis, est considéré comme plus léger que le karma immuable.
Le karma est un sujet bien trop vaste pour être appréhendé par un esprit humain et encore moins traité ici en quelques lignes. Nous devons juste comprendre que, plus qu’une série d’accidents, de malheurs ou de coups de chances, et en dehors du karma qui nous fait naître tel que nous sommes et dans un environnement humain et non-humain particulier ce qui conditionnera toute notre existence, notre karma est d’abord notre tendance de vie.
Sur la dernière des dix modalités de vie, la cohérence du début à la fin, Nichiren écrit dans Sur les dix modalités – WND 179 : « Les trois premières modalités et les sept autres représentent le principe contenu dans nos propres vies et sont une chose merveilleuse au-delà de la compréhension. C’est pourquoi il est dit dans le Sûtra qu’elles sont marquées par une parfaite cohérence du début à la fin. C’est ce que l’on entend par les mots « la cohérence du début à la fin ». Les trois premières modalités sont le « commencement » et les sept autres la « fin ». Elles forment les dix modalités qui constituent les trois vérités contenues dans notre propre vie.
Ces trois vérités peuvent aussi être appelées l’Ainsi-venu des trois corps. En dehors de nos esprits et de nos corps, il n’existe pas la moindre trace de tout ce qui concerne le bon ou le mauvais. Par conséquent, nous savons que nous sommes nous-mêmes en fait Ainsi-venus de l’éveil originel, possesseurs des trois organismes au sein d’un seul.
Supposer que ce qui a été décrit ici est quelque chose qui puisse être détaché de soi-même, c’est être ce qu’on appelle un être vivant ordinaire, un être dans un état d’aveuglement, un simple mortel. Comprendre que cela s’applique à soi c’est être ce qu’on appelle un Ainsi-venu, un être dans un état d’éveil, un sage, une personne de sagesse.
Une fois que l’on sait cela, qu’on peut le visualiser clairement, alors sa vie, telle qu’elle est réellement, se manifeste dans l’existence présente comme celle de l’Ainsi-venu de l’éveil originel, et l’on obtient ce que l’on appelle la réalisation de la bouddhéité sous sa forme présente. »
Pour finir, il reste une question à laquelle personne, à l’heure actuelle, ne peut répondre avec certitude : quelle est l’origine des dix modalités de vie ? Ce n’est pas Zhiyi, puisqu’on trouve celles-ci dans la traduction chinoise du Sûtra du Lotus qu’il a utilisée, réalisée par Kumarajiva un siècle et demi plus tôt. Est-ce Shakyamuni lui-même ? Il n’est fait mention des dix modalités dans aucune des versions du Sûtra connues en langue gandhari ou sanskrite, telle celle utilisée par Eugène Burnouf pour sa traduction française, et nous ignorons tout de la version qui a servi à Kumarajiva pour la transcription en chinois du Sûtra de la loi merveilleuse de la fleur du lotus, Myoho renge kyo (6). La réponse la plus plausible serait un ajout de Kumarajiva lui-même, qui n’a pas toujours été scrupuleusement fidèle au texte original, mais ceci reste une hypothèse. Pour autant, cela « disqualifie-t-il » la version adoptée par les écoles Tiantai et Nichiren ? Selon l’opinion la plus couramment admise parmi les spécialistes de l’histoire du bouddhisme, le Sûtra du Lotus ne comportait à l’origine que huit chapitres, de II à IX. Le reste aurait été ajouté au fil du temps. Il serait donc l’œuvre collective de disciples qui se sont donné à eux-même la mission de faire comprendre le message universel du Bouddha à travers le temps.

Notes :

1 -« Modalité » a, dans notre langue, le sens philosophique de « propriété que possède la substance d’avoir des modes » (Grand Robert de la langue française). Rapportée aux trois mille mondes, elle désigne donc les dix modes que possède la substance de la vie pour s’exprimer, substance qui serait logiquement les cinq agrégats puisque ceux-ci sont, en quelque sorte, le véritable sujet… quoique sans substance ! (voir article sur les trois domaines de l’existence).
2 – Selon la traduction de la version en anglais de Burton Watson. Jean-Noël Robert, lui, traduit directement du chinois ainsi : « …Seul un Éveillé peut avec un autre Éveillé scruter jusqu’au bout l’aspect réel des entités, ce qui veut dire pour les entités : ainsi est leur aspect, ainsi est leur nature, etc. »
On constate que Burton Watson a supprimé l’expression « ainsi est », autrement dit nyozé ou tathata, principe pourtant important de la philosophie bouddhique, ce qui, par voie de conséquence, rend difficile la compréhension de ce texte de Nichiren : « Quand on récite les mots
cette réalité se compose de zesonyo (cette apparence est donc), le mot « donc » représente le principe de la vacuité. Par conséquent, la non-substantialité de l’apparence, de la nature, de l’entièreté, du pouvoir, etc., acquises dans sa vie par le karma des existences passées, et les quatre-vingt-huit types d’illusions de la pensée et des quatre-vingt-une sortes d’illusions du désir qui leur sont attachées, sont l’Ainsi-venu du corps de récompense.(Ainsi-venu, jap. Nyorai, skt Tathagatha, autre nom ou titre du Bouddha).
Quand on récite les mots
cette réalité se compose de nyozeso (ainsi l’apparence ou l’apparence comme ceci), c’est le principe de l’existence temporaire. Par conséquent, l’aspect, la nature, l’entité, le pouvoir, etc., acquis dans sa vie par le karma des existences passées, avec les illusions aussi nombreuses que les particules de poussière et de sable qui leur sont inhérentes, sont les Ainsi-venus du corps manifesté.
Et quand on récite les mots
cette réalité se compose de sonyoze (apparence est donc), c’est le principe de la Voie du Milieu. En conséquence, l’apparence, la nature, et ainsi de suite acquis dans vie par le karma, comme toutes les illusions sur la véritable nature de la vie qui leur sont inhérentes, sont balayées. Elles s’ouvrent comme l’Ainsi-venu du corps du Dharma. » WND 180 – La doctrine d’ichinen sanzen
3 – La voici plus détaillée avec son équivalence en sanskrit  :
• apparence (jap.
so, skt nimitta caractéristique, signe ou marque) • nature (jap. cho, skt svabhava nature, essence, nature propre ou existence inhérente) • entièreté (jap. taï corps, globalité) • pouvoir (jap. riki, skt bala force, pouvoir, vigueur) • influence (jap. sa, skt mana, volonté d’action, opinion, but incluant le mental avec ses pensées et émotions) • cause inhérente (jap. in, skt hetu, cause) • relation (jap. en, skt pratyaya, condition, cause concomitante, circonstances) • effet latent (jap. ka, skt phala, fruit, résultat karmique) • effet manifeste ou rétribution (jap. ho, skt sambhoga, jouissance, délectation) • cohérence du début à la fin (jap. honn makku kyoto).
Taï est le plus souvent traduit en français par entité. Dans notre langue, ce terme a pour sens l’essence ou la nature. Nous voyons donc que ce sens entre en conflit avec les définitions de cho qui a lui aussi le sens de nature. Voilà pourquoi nous préférons ici le sens d’entièreté ou intégralité. Taï englobant à la fois so et cho.
4 – Le
Sens profond du Sûtra du Lotus est un texte de Guanding, successeur de Zhiyi 3e grand maître de l’école Tiantai, rédigé d’après des notes de celui-ci. Le Commentaire sur le Sens profond du Sûtra du Lotus en est le commentaire par Zhanran.
5 – L’influence est à rapprocher du quatrième des cinq agrégats, la volition. Cette dernière est une constituante de notre esprit, l’intention ou volonté d’action devant un objet ou une situation, en même temps qu’elle est l’expression de notre karma. On peut dire que c’est la volition qui dirige le mécanisme de l’influence dans un sens « karmique »
6 – Dans ce cas, il aurait associé l’apparence, la nature et l’entièreté, implicites à plusieurs principes bouddhiques (vérité relative et vérité absolue, vacuité, etc.) préfigurant ainsi la triple vérité définie plus tard par Zhiyi, à une version modifiée de la chaîne des douze nidanas pour les sept modalités suivantes.

Les dix états de vie

Voici un concept familier à ceux qui s’intéressent au bouddhisme de Nichiren ou de l’école Tiantai. Il est largement traité dans les sites indiqués dans les sources de ce blog, aussi nous n’en verrons qu’une brève description, pour nous intéresser à ses origines et à ce qu’il implique concrètement.

La théorie des dix états de vie est l’une des trois parties du système des trois mille mondes. Le terme japonais qui désigne ces états, jikkai, signifie dix éléments, domaines ou dimensions. On le constate, le mot kai possède des sens très différents, tout comme le mot sanskrit dhatu, dont il est la traduction (1). Les Anglo-Saxons utilisent utilisent le mot « world » (monde) et les Français « état de vie ».

Ces dix états sont donc les suivants :
– l’enfer (jap. jikoku-kai) état de souffrance, de désespoir ;
– l’avidité (jap. gaki-kai) état dominé par le désir et l’insatisfaction ;
– l’animalité (jap. chikusho-kai) état soumis aux comportements instinctifs ou aux besoins immédiats ;
– la colère (jap. shura-kai) la colère, la jalousie ou le besoin de domination ;
– l’humanité (jap. nin-kai) l’état naturel de l’homme, caractérisé par la capacité de raisonner ;
– le bonheur temporaire (jap. ten-kai) la joie, le bonheur temporaire ;
– l’état d’étude (jap. shomon-kai) l’aspiration à l’éveil par l’écoute et la recherche des enseignements ;
– l’éveil personnel (jap. engaku-kai) capacité à percevoir par soi-même l’aspect réel de la vie ;
– l’état de bodhisattva (jap. bosatsu-kai) le désir d’œuvrer au bonheur d’autrui en dépassant ses égoïsmes ;
– l’état de bouddha (jap. bukkai) état de plénitude, de parfaite liberté et de sagesse, dans lequel tout (y compris les inévitables épreuves de la vie) peut être vécu comme une possibilité de joie et d’accomplissement.

Les origines du concept

Les dix états n’apparaissent pas sous la forme d’une liste telle que nous la connaissons aujourd’hui avant que Zhiyi ne les expose dans la Grande concentration et intuition (2). Cependant, on les trouvent déjà inclus dans une énumération du chapitre XIX du Sûtra du Lotus, à propos des voix que pourront entendre ceux qui purifieront leurs oreilles en acceptant ce Sûtra : « …les voix des êtres célestes… les voix des asuras… les voix de ceux qui sont en enfer, les voix des bêtes féroces, les voix des démons affamés, les voix des moines, les voix des nonnes, les voix des auditeurs, les voix des bouddhas-pour-soi, les voix des bodhisattvas, les voix des bouddhas… »
Les six premiers états
sont antérieurs au bouddhisme (3). Ils sont issus de la cosmologie indienne qui décrit l’univers comme un ensemble de continents séparés par des océans et composés de couches plates successives (des mondes) souterraines et aériennes. Notre continent, le Jambudvipa, avait sous lui des enfers et, entre les deux, dans un « ailleurs hypothétique » se trouvaient le monde des esprits affamés et des asuras. Au dessus, supportés par le mont Sumeru ou Meru, se trouvaient un certain nombre de cieux. Dans les textes bouddhiques, les six premiers mondes sont également décrits en parallèle dans le monde des trois plans traités par ailleurs dans ce blog. Ces six mondes bouddhiques (4) sont du plus bas au plus haut :
– Les enfers (skt naraka, jap. jigoku). Huit enfers glacés, huit enfers brûlants, des enfers périphériques
ou éphémères, soit dix-huit enfers souterrains dans lesquels les êtres subissent tous les tourments possibles sur des périodes de temps plus ou moins longues. Ce sont les fautes graves qu’ils ont commises dans les vies antérieures qui ont conduit « leurs habitants » à y renaître.
– le monde des esprits avides (skt pretaloka, jap. gaki). Trente-six contrées souterraines selon la tradition. Les esprits ou spectres qui les hantent, les preta, subissent constamment la faim, la soif, toutes les sortes de désirs, en même temps que les douleurs engendrées par la satisfaction de ces désirs, ainsi que des maux multiples. Ce sont une avarice et une avidité extrêmes qui conduisent dans ses mondes les êtres après leur mort.
– le monde animal (skt tiryak, jap. chikusho). Contrairement aux deux premiers mondes, ceux qui y vivent, les animaux, partagent le même espace que nous. Ils mènent une vie soumise à l’inquiétude, la nécessité, le danger permanent et l’instinct.
– le monde des titans ou asura (skt asura, jap. ashura). Ces êtres forts, intelligents et belliqueux vivent dans des grottes, au pied du Kalpavrikshade, l’arbre géant qui dresse sa cime jusque dans les royaumes divins et dont les fruits exaucent tous les souhaits. S’ils mènent une existence agréable, ils n’ont pas la possibilité de goûter à ces fruits que se réservent les dieux qui peuplent les cieux. Rongés par la jalousie, la colère et la frustration, ils luttent contre ceux-ci pour prendre possession des sommets du Kalpavrikshade et finissent toujours par être vaincus.
– l’humanité (skt manusya, jap. ningai). La condition de l’homme, la plus souhaitable, selon le bouddhisme, parce que les souffrances y sont assez fortes pour susciter le désir de libération sans priver l’esprit de sa faculté de réflexion. Si les êtres humains y connaissent les huit souffrances, ils sont capables d’entendre et de comprendre les enseignements du Bouddha.
– le domaine des dieux (skt
deva, jap. tennin). Le plus agréable des six mondes, fruit du bon karma de ses habitants, qui s’étend sur vingt-sept niveaux ou cieux. On trouve entre autres, au « premier étage », les quatre grands rois du ciel figurant aux quatre coins du Gohonzon et, au sixième, règne Vasavartin, le roi-démon-du-sixième ciel. Si dans ces cieux, les habitants mènent une vie joyeuse et d’une durée considérable, ils ne sont pas immortels, ni préservés d’une chute vers les états inférieurs dans leurs existences suivantes. Ils ont un karma comme toutes les autres forment de vie.

 

kailashtibet

Le mont Kailash au Tibet, identifié par la tradition indienne au mont Sumeru ou Meru. Il est désigné comme le centre de notre monde, ou continent de Jambudvipa, et vénéré à ce titre par les hindous, jaïns, böns et bouddhistes de certaines écoles.
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Des esprits simples pouvaient croire, autrefois, à six univers séparés, d’autres interprétaient ceux-ci comme six formes d’existences (animaux, végétaux, esprits enfermés dans la pierre, être en souffrance, humains, etc.) situées dans la réalité de notre monde, mais tous admettaient que c’était le karma de renaissance qui y conduisait et pensaient qu’ils ne pouvaient s’en échapper que par la mort et la renaissance en s’efforçant de ne pas commettre d’actes négatifs pour pouvoir évoluer vers les mondes supérieurs. Cette conception passive de la transformation du karma est propre à certains courants hindouistes, ainsi qu’au bouddhisme Theravada, ce qu’illustrent ces répliques de Nagasena dans Les Questions de Milinda : « L’effort présent, maharaja, est inopérant : c’est l’effort passé qui est efficace… »
Dans le
Sûtra du Lotus, il en va autrement, la fille du roi-dragon (skt Nagakanya, jap. Ryunyo), qui représente à la fois la nature féminine, l’enfance et l’animalité des nagas, atteint immédiatement l’illumination en écoutant le Bouddha. Ainsi, sur la base de cet enseignement, nous voyons que nous ne sommes pas prisonniers d’un état toute une vie, mais seulement l’espace d’un instant. L’instant d’après, n’importe lequel des dix états peut lui succéder selon le mécanisme des dix modalités de la vie, en particulier celui de la loi de causalité. C’est ce qu’implique la théorie des trois mille mondes en un instant de vie.

Les quatre nobles voies

Les quatre derniers états, qu’on pourrait définir comme les plus élevés ou les plus nobles – étude, éveil personnel, bodhisattva et bouddha –, ne sont pas présentés dans les textes du bouddhisme ancien sous la forme d’états de vie temporaires et accessibles à tous. Ils y figurent à travers les êtres qui décident de dépasser l’incertitude des six premières voies, de se libérer de leurs désirs terrestres et leur karma et d’agir positivement sur leur environnement et leur entourage : les disciples de Shakyamuni, les sages qui recherchent le Dharma par une démarche personnelle, les bodhisattvas et enfin les bouddhas. Zhiyi a donc pris ces êtres éclairés comme modèles pour les états de vie suivants :
– l’état d’étude (skt shravaka, jap. shomon). Il est représenté par ceux qui écoutent et cherchent à comprendre les enseignements du bouddha, shravaka ayant pour sens « qui écoute la voix ». Shariputra, le plus proche disciple de Shakyamuni, en est en quelque sorte l’archétype, mais tous les autres membres de la sangha, communauté qui entourait celui-ci, peuvent être considérés comme des auditeurs. Il s’agit là évidemment de l’étude des enseignements du Bouddha ou encore du Dharma et non pas l’étude dans son sens profane, telle celle d’une langue étrangère, des mathématiques ou même de la physique fondamentale…
l’état d’éveil personnel (skt pratyekabuddha, jap. engaku). Le terme sanskrit a pour sens « indépendamment éveillé » ou « individuellement éclairé ». Dans les premières traductions chinoises des textes bouddhiques, il apparaît avec le sens de « éveillé à la cause », ce qui implique une perception éclairée de la loi de cause à effet. Le Compendium de la doctrine Mahayana de Jingying Huiyuan (523-592), décrit le pratyekabuddha à la fois comme celui qui s’éveille au principe de l’origine interdépendante et celui qui s’éveille à la vérité par l’observation des phénomènes naturels tels que la dispersion des fleurs, le cycle des saisons, etc. Dans les Mots et phrases du Sûtra du Lotus, Zhiyi distingue également deux types d’éveils pour pratyekabuddha : l’éveil personnel (jap. dokkaku) et l’éveil à la loi de causalité (jap. engaku). Le premier sens peut s’appliquer dans les périodes durant lesquelles les enseignements du bouddha ne sont pas apparues ou ont été perdues ou encore les pays qui n’en ont pas connaissance.
Certains textes bouddhiques décrivent les pratyekabuddha comme des ermites, des chercheurs solitaires, incapables d’enseigner la Voie aux autres parce qu’ils ne sont pas pourvu d’une profonde bienveillance pour autrui, tandis que d’autres, comme, par exemple, les Jakatas, contes et récits sur les vies antérieures du Bouddha, affirment qu’ ils peuvent enseigner le Dharma dans les périodes pré-bouddhiques.
Pour ce qui concerne cet état proprement dit, il est la condition de la vie dans laquelle nous percevons la fugacité de la vie dans les six voies et essayons de nous en libérer en cherchant la vérité éternelle par nos propres efforts et non l’étude ou l’application d’une doctrine.
– l’état de bodhisattva (5) est une condition de la compassion dans laquelle nous aspirons en même temps à notre propre illumination et à celle des autres, même si cela exige des sacrifices personnels. Il est caractérisé par l’altruisme, la mise en sommeil de notre égocentrisme, ainsi que par des actions motivées par les liens profonds qui nous unissent avec les autres êtres. Nichiren déclare (EdN 39) que « Même un brigand sans cœur aime sa femme et ses enfants. Il a lui aussi une part de l’état de bodhisattva en lui.  »
Après avoir décrit cet état de vie en quelques lignes, voyons les personnages qui ont servi de modèles à Zhiyi. Dans de nombreux sûtras et commentaires apparaissent les bodhisattvas (Avalokiteshvara, Maitreya, Manjushri, Vimalakirti, etc.). Ceux-ci peuvent même en être le personnage central, comme Vimalakirti, le bodhisattva éponyme du texte sous-titré Sûtra de la liberté inconcevable. Ils sont toujours décrits comme des êtres exceptionnels, de grande vertu, capables de prodiges défiant les lois de la physique, parfois dotés de pouvoir équivalents aux bouddhas, comme nous pouvons le voir dans le Sûtra du Lotus qui en présente toute une galerie dans les derniers chapitres (6). Au vu de leurs prouesses, il est évident que ces personnages n’ont aucune réalité historique. Si les textes leur attribuent un passé, celui-ci est tout aussi merveilleux et irrationnel que leurs talents. Ils sont donc d’une nature bien différente de celles des disciples du Bouddha, des représentants de l’état d’étude ou du Bouddha lui-même dont on connaît par la tradition des détails de leur vie, leurs familles et leur mort. Le bodhisattva est, en fait, un modèle du pratiquant idéal créé par la tradition mahayaniste, un modèle qui a par ailleurs été défini selon plusieurs listes : dix étapes, quatre vœux, 52 niveaux d’éveil, dix vœux, etc.
Arrêtons-nous sur les quatre vœux issues des sûtras indiens et repris ainsi par Zhiyi dans la Grande concentration et intuition :
faire parvenir l’infinité des êtres à l’Éveil ;
trancher les innombrables passions ;
maîtriser tous les enseignements du Bouddha ;
attester de la prééminence de la Voie bouddhique.
Dans une version ultérieure qui s’est élargi à d’autres écoles du Mahayana, ces vœux ont pris cette forme :
– p
uissé-je libérer tous les êtres de leurs difficultés ;
puissé-je éradiquer toutes les passions ;
puissé-je maîtriser tous les dharmas ;
puissé-je conduire tous les êtres à la bouddhéité.
Dans ces deux versions figurent des aspects altruistes et personnels et l’étude de la philosophie bouddhique y est placé sur le même plan que la pratique (trancher ou éradiquer les passions). Nous voyons donc que la notion personnifiée du bodhisattva a un sens plus large que lorsqu’il s’agit de l’état de bodhisattva seulement tourné vers les autres. D’une certaine manière, elle englobe les auditeurs et les pratyekabuddha.
– l’état de bouddha. Il ne faut pas confondre état de bouddha et bouddhéité. Le premier est l’un des dix états ; à ce titre, il comprend les dix états et tous les dix états le contiennent, ce qui explique que nous pouvons le faire apparaître momentanément dans notre vie par la pratique du bouddhisme, sans être nous-mêmes un bouddha. La bouddhéité qualifie celui qui est parvenu à l’Éveil ou l’illumination et a développé les trois vertus du bouddha. Il existe des degrés à l’Éveil, depuis des Éveils partiels qui désignent la compréhension d’une phrase ou d’un enseignement du Bouddha par un auditeur, ou encore la sagesse acquise par les pratyekabuddhas et bodhisattvas, jusqu’à l’état définitif, parfait, insurpassable et sans régression, en sanskrit anuttara samyak sambodhi, dans lequel le karma a été totalement effacé. Il existe de nombreuses listes sur les vertus, qualités et pouvoirs du bouddha, qui pourraient éventuellement s’appliquer instantanément à l’état de bouddha.Voici ce qu’en dit Nichiren dans la Conversation entre un sage et un ignorantEdN 13 :
« Myoho renge kyo est la nature de bouddha de tous les êtres vivants. La nature de bouddha est la nature du Dharma et la nature du Dharma est l’illumination. La nature de bouddha de Shakyamuni, de Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions ; de Pratiques-Supérieures, de Pratiques-Sans-Limites et des autres bodhisattvas sortis de la terre ; de Sagesse-Universelle, de Manjusri, de Shariputra, de Maudgalyayana et des autres ; du grand roi Brahma et du dieu Shakra ; des dieux du soleil et de la lune, de l’étoile du matin, des sept étoiles de la Grande Ourse dans le ciel du nord, des vingt-huit constellations et des innombrables autres étoiles ; des divinités célestes, des divinités terrestres, des dieux du dragon, des huit sortes d’êtres non-humains, et des êtres humains et célestes réunis dans la grande assemblée pour entendre l’enseignement du Bouddha ; du roi Yama — en bref, depuis tous les êtres vivants du domaine au-dessus des nuages qui est au-delà de la pensée et de la non-pensée, jusqu’à ceux qui sont au plus profond de l’enfer — la nature de bouddha de tous ces êtres a pour nom Myoho renge kyo. Par conséquent, si vous prononcez une seule fois ces mots du Daimoku, alors la nature de bouddha de tous les êtres vivants sera appelée à vous rejoindre. À ce moment-là, les Trois Corps de la nature du Dharma [que vous possédez] en vous — le Corps du Dharma, le Corps de rétribution et le Corps de manifestation — jailliront et deviendront manifestes. À titre d’illustration, quand un oiseau en cage chante, les nombreux oiseaux du ciel se rassemblent tous immédiatement autour de lui ; voyant cela, l’oiseau qui est dans la cage s’efforce de sortir. »
L‘origine des dix états nous éclaire en partie sur le fait que ces états de vie par lesquels nous pouvons passer d’un instant (ou d’un monde) au suivant ne sont pas seulement un état psychologique. Ils englobent à la fois le physique, le sensoriel et l’intellect de l’être, ainsi que son environnement sensitif et non-sensitif, puisque cet état s’exerce sur les trois domaines de l’existence, parmi lesquels se trouvent les cinq agrégats. Sans entrer dans les détails, nous savons tous qu’une maladie qui affecte le corps atteint aussi l’esprit et, à l’inverse, qu’un état de stress, de désespoir peut déclencher des troubles physiques sévères. De même, une personne déprimée peut se couper de ses amis, négliger son travail, son environnement immédiat et nous voyons comment l’avidité de l’homme a profondément nuit à notre planète et continue à la détruire, alors qu’il ne cesse d’élargir le champ de ses connaissances.
Parmi les explications que donne Zhiyi op. cit.
, en voici une qui nous ramène aux cinq agrégats : « Les trois royaumes inférieurs [enfer, preta et animal] représentent les manifestations maléfiques des agrégats et du champs des six sens. Les trois royaumes sains [humain, colère et ciel] sont de bonnes manifestations des agrégats et du champs des six sens. Les deux véhicules [étude et éveil personnel] représentent les manifestations des agrégats et du champs des six sens exempts d’impuretés… » (7) D’une certaine manière, c’est un effet passé qui nous a amené à l’état présent et une cause présente qui nous amènera au suivant, cependant ce mécanisme est plus particulièrement décrit dans la troisième partie du concept des trois mille mondes, celui des dix modalités de la vie.

Inclusion mutuelle des dix états (jap. jikkai gogu)

Dans l’objet de vénération pour observer l’esprit – EdN 39, Nichiren Daishonin cite ainsi Zhiyi :
« La vie à chaque instant comporte les dix états. En même temps, chacun des dix états est doté des dix états, de sorte que la vie possède effectivement une centaine d‘états. Chacun de ces états possède à son tour trente mondes, ce qui signifie que dans les cent états, il y a trois mille mondes. Les trois mille domaines d’existence appartiennent tous à la vie à chaque instant. S’il n’y a pas de vie, inutile d’aller plus loin. Mais la plus infime parcelle de vie contient l’ensemble des trois mille domaines…Voilà ce que nous voulons dire quand nous parlons de la région de l’insondable ciel. »
L’inclusion mutuelle ne signifie en aucun cas qu’un état de vie apparent puisse posséder en lui un autre état qui fasse sentir si peu que ce soit son influence. Un état se manifeste toujours seul dans l’instant présent. Nous pouvons parfois nous sentir dans des « états mitigés » où animalité et bonheur temporaire, bodhisattva et colère, avidité et enfer, paraissent se mêler. C’est la succession des instants, et donc des états dans chaque instant qui passe, qui produit cette illusion, tel un film, en apparence animé, composé de 25 images fixes par secondes qui pourtant restitue le mouvement.
Le bouddhisme parle d’inclusion des états pour expliquer le fait qu’un état non apparent sur l’instant puisse se manifester l’instant d’après sous l’influence d’une condition dans le mécanisme des dix modalités de la vie. Dans la philosophie bouddhique, rien ne vient du néant. Ce qui n’était pas présent et qui se manifeste, la vie naissante par exemple, était auparavant en état de latence, de vacuité (skt
sunyata, jap. ku). Ainsi en est-il des dix états. Un seul est présent dans l’instant, pourtant l’instant d’après, n’importe lequel des dix peut apparaître. Nous disons qu’ils sont en état de vacuité, virtuellement inclus dans celui des dix états apparents.
Pour en revenir aux trois domaines de l’existence, ceux-ci impliquent que les dix états ne s’exercent pas seulement sur les cinq agrégats, mais également sur l’environnement vivant et non vivant. Mais puisque, parmi ceux-ci, se trouve l’état de bouddha, peut-on dire que les plantes, les pierres, l’air puisse manifester cet état ? C’est ce qu’affirme Nichiren en évoquant le Gohonzon
op. cit. : « Si un morceau de bois ou de papier ne possédait pas la cause et l’effet dans son aspect matériel et spirituel, il serait vain de s’y fier comme objet de vénération ». Citant Zhanran, il ajoute : « Une plante, un arbre, un caillou, un grain de poussière : tout cela a la nature de bouddha et est doté de la cause et de l’effet, ainsi que de la fonction de la manifester et de la sagesse qui permet de s’éveiller à la nature de bouddha. »
Nous avons vu qu’il existait des degrés à certains états ou personnes représentant ces états – 18 enfers, 36 mondes des esprits avides, 27 cieux. Il en est de même pour les bodhisattvas avec 40 à 52 étapes (selon les traditions), les bouddhas, les bouddhas-pour-soi et notre expérience de la vie nous a appris qu’il y avait des degrés au désir, à l’animalité, la colère ou même à l’étude. Ces constatations seraient-elles l’indice que les chiffres dix pour les états de vie, cent pour l’inclusion de ces états et trois mille pour les trois mille mondes ne sont pas une réalité mais un symbole ? Zhiyi ne les aurait-il pas choisis pour rendre accessible à notre compréhension limitée la complexité infinie des circonstances ou conditions de la vie ?

  Notes :

1 – Nous retrouvons ces deux termes, entre autres, dans les dix-huit éléments (skt astadasa dhatu, jap. juhachikai ) note 6 des Trois domaines de l’existence ou encore dans le concept de réalité ultime absolue (skt dharmadathu, jap. hokkai).
2 – Zhiyi utilise fréquemment l’expression dix dharma-royaumes pour désigner les états de vie. Il en tire trois sens : le nombre dix est le modificateur, le dharma-royaume est l’objet qui est modifié, la jonction de l’objet et du modificateur produisent les dix dharma-royaumes. Ce qui nous ramène aux trois vérités selon lesquelles s’il y a modificateur, les dix états sont sans substance (vacuité), si l’état peut être modifié, il a une existence temporaire et l’interpénétration des deux est le résultat de la voie du milieu.
3 – Les emprunts du bouddhisme aux religions et philosophies qui l’ont précédé ont été fréquents. Si, parmi les théories qui existaient à son époque, Shakyamuni a rejeté la notion d’âme (skt
atman), il a repris un certain nombre de concepts, tels les 5 agrégats, le karma, le cycle des naissances et des morts (samsara), etc., pour leur donner un sens souvent bien différent.
4 – En sanskrit, sadgati qui signifie six conditions, destinées, vies futures. Le japonais rokudo se traduit par six voies.
5 – Bodhisattva, signifie en sanskrit « éveil et être ». Il désigne donc, dans le bouddhisme ancien, une personne proche de l’Éveil.
6Les bodhisattvas Effort-constant, Jamais-méprisant, Roi-de-la médecine, Son-merveilleux, Sensible-aux-sons-du -monde, Merveilleux-ornement et Sagesse-universelle
7 – Animalité, avidité (preta), ainsi que la colère sont associées aux trois poisons (skt trivisha, jap. sandoku). L’animalité c’est le poison de l’ignorance (skt avidya) et l’avidité celui de la soif, la convoitise ou l’avidité (skt raga) voir l’origine interdépendante. L’état de colère (skt dvesa) s’exprime par la haine, l’aversion et la colère. Ce sont les sources principales de la souffrance.


Le chapelet bouddhique

juzu

Le chapelet bouddhique est appelé mala ou japamala en Inde et juzu ou encore nenju au Japon (1). Cet accessoire de pratique a une fonction d’aide à la concentration, au recueillement, à la méditation ou au maintient d’une posture correcte, selon les écoles bouddhiques. Il est utilisé dans l’hindouisme, le bouddhisme, ainsi que d’autres religions, et peut comporter un nombre de perles variable et des ornements divers (2). Nous laisserons de côté les différentes configurations du juzu pour nous intéresser à celui en usage dans la Soka Gakkai, qui est le même que pour la plupart des écoles Nichiren et trouve sa symbolique dans la Cérémonie dans les airs du Sûtra du Lotus, notamment l’évocation des bouddhas Shakyamuni et Maints-trésors (Voir l’article sur le Gohonzon).
Au premier abord, il a la forme d’une corps humain, avec d’un côté trois pompons au bout de cordelettes représentant la tête et les membres supérieurs, de l’autre deux pour les jambes rattachés. Ces cordelettes sont fixées à deux grosses billes par lesquelles passe une boucle de 112 perles (A), dont 4 sont plus petites. Ces dernières (B) représentent les quatre dirigeants des Bodhisattvas-sortis-de-la-Terre apparus dans le chapitre XV du Sûtra du Lotus. Jogyo, Jyogyo, Muhengyo et Anryugyo qui symbolisent les 4 vertus du bouddha : vrai moi, éternité, pureté et bonheur. Ensemble ces perles représentent la vie de Nichiren Daishonin et, dans un sens plus large, les qualités que développe la pratique du bouddhisme. Le « corps » de perles en cercle symbolise également le miroir de la sagesse qui nous permet de voir l’aspect réel de notre vie.
En ce qui concerne les 108 autres perles, il existe plusieurs hypothèses, qui peuvent d’ailleurs être également valables. Dans la plus plausible, ces perles symbolisent les 108 sortes de sensations qui nous tiennent attachées au monde de l’illusion fondamentale. Ce chiffre est obtenu ainsi : 18 (dhatus) x 3 (types de sensations) x 2 (physiques ou mentales) = 108 (Voir Les trois domaines de l’existence (note 6)).
Ou encore, ce sont les 108 souffrances-passions (jap. bonno, skt kleshas) du monde des trois plans et des souillures de l’esprit. La plupart des autres hypothèses paraissent trop éloignées du bouddhisme, avec des références à l’astrologie, la numérologie, etc. pour être retenues.
Pour la suite de la composition du juzu, on peut se référer au schéma ci-dessus :
C – Tenu à la main droite, cette grosse perle appelée la mère, représente le bouddha Shakyamuni, le mystique ou le merveilleux (jap. myo), la sagesse subjective pour saisir la vérité (chi), la vie ;
D – Pour la main gauche, c’est le père, le bouddha Maints-Trésors, la loi (jap. Ho ou skt Dharma), la vérité objective (jap.kyô), la mort ;
E – Trois mille mondes représentés par trois fois 10 perles séparées en trois groupes ;
F – Ces quatre perles allongées représentent des jarres qui recueillent la bonne fortune, les rétributions favorables ;
G – Différentes hypothèses : pureté, clarté, foi absolue ;
H – La personne (du bouddha) et la Loi ;
J – Le nœud, qui lie donc la personne et la Loi, représente l’unité de la personne et de la Loi ;
K et L – À nouveau la personne et la Loi avec la communauté des croyants (skt sangha), soit les trois trésors du bouddha, de la Loi et de la sangha ;
M – Pas de signification trouvée pour ces dix perles. Cependant, les cordelettes côté mère sont plus fines que côté père et permettent aux perles de coulisser facilement, ce qui laisse penser à une fonction de comptage ;
Prendre le
juzu et joindre les mains pour pratiquer fait se rapprocher les deux grosses perles, Shakyamuni et Taho, un acte qui réalise symboliquement la fusion de la réalité objective et la sagesse subjective (3), la compréhension que l’on est soi-même bouddha. Les mains jointes dirigées vers le haut, paumes et mains se touchant, est l’un des gestes traditionnels des religions hindouiste et bouddhiste que l’on appelle mudra. Celui-ci est l’anjali-mudra, mudra du salut. C’est d’ailleurs le geste traditionnel du salut dans la plupart des pays de l’extrême orient. Il est plus particulièrement attribué aux bodhisattva qui rendent hommage au Bouddha. Il représente également Myoho, au sujet duquel Nichiren déclare dans les Enseignements oraux : « Myo est synonyme de la nature du Dharma, soit l’illumination, tandis que Ho représente l’obscurité ou l’ignorance (jap. mumyo, skt avidya
). Réunis en Myoho ils expriment l’idée que l’ignorance et la nature Dharma sont une seule entité. »
Personne, dans le bouddhisme, n’a jamais prétendu que le juzu était indispensable à la pratique (à part peut-être ceux qui gagnent de l’argent avec sa vente). C’est cependant un accessoire qui aide à la concentration et à conserver une attitude de respect envers le Gohonzon – en définitive envers soi-même, puisque celui-ci représente notre état de bouddha. Pourtant, le second président de la Soka Gakkai, Josei Toda, emprisonné pendant la Seconde Guerre mondiale par la dictature militaire japonaise, a eu la patience de se confectionner un chapelet avec des bouchons de bouteilles…

Notes :

1 – Mala signifie collier ou guirlande et c’est aussi le nom des guirlandes de fleurs en Inde. Les termes japonais nenju et juzu font référence au comptage des perles pendant la pratique (compte des prières, des mantras, dharanis, etc.), même si ces chapelets n’ont pas cette fonction dans le bouddhisme de Nichiren.
2 – D’origine brahmanique, le japamala est apparu chez les bouddhistes à une date bien postérieure à la mort de Shakyamuni, bien que le Mokugen kyo lui attribue la paternité de cet objet. Son usage s’est répandu plus particulièrement chez les bouddhistes thibétains et, par la route de la soie, en Chine, Corée et Japon. Selon certains historiens, les musulmans auraient adopté le chapelet bouddhique qui, par leur intermédiaire, serait arrivé dans la chrétienté à l’époque des croisades.
3 – En jap.
kyôchi myogo. Nichiren (EdN 89) explique que la réalité représente la vraie nature de tous les phénomènes, le Dharma, et la sagesse signifie la manifestation de cette vraie nature. Autrement dit, notre nature de Bouddha est la réalité et la croyance en le Gohonzon est le mode de réalisation de cette réalité.

La composition du Gohonzon

Voici ce qui est inscrit en détail sur le Gohonzon dans deux versions reconnues par la Soka Gakkai, la première étant commune avec la Nichiren Shoshu, ainsi que l’actuelle de la Nichiren Shu

gohonzon_soka
La version du Gohonzon adoptée par la Soka Gakkai à la fin du siècle dernier, d’après un modèle calligraphié par Nichikan Shonin (1665-1726).

Le Gohonzon est un mandala (1) qui représente l’essence des enseignements de Shakyamuni (2), essence qui réside dans le Sûtra du Lotus, dont le titre est, en japonais, Myoho Renge Kyo. Le maître bouddhiste du XIIIe siècle, Nichiren, l’a représentée sous la forme graphique et matérielle du Gohonzon pour nous permettre d’y accéder et d’exprimer la nature du bouddha qui « sommeille » en chacun de nous. Ce mandala n’est donc pas la représentation d’un pouvoir extérieur à l’homme ordinaire ou extérieur à sa nature, il est le miroir de ce qu’il y a de fondamental en lui.
Gohonzon est un terme japonais qui peut être traduit littéralement par « objet de dévotion suprême ». Honzon désigne tous les objets de culte quels qu’ils soient, statues, dessins, calligraphies, etc., et Go est un superlatif, un terme honorifique. Les adeptes du bouddhisme de Nichiren possèdent, chez eux, un autel qu’ils consacrent à ce mandala et devant lequel ils placent des objets et des offrandes selon la tradition bouddhiste (voir article sur le sujet). Leur pratique quotidienne consiste en la récitation, face à ce mandala, du mantra Nam Myoho Renge Kyo et de deux extraits du Sûtra du Lotus, à laquelle certaines écoles ajoutent des séances de méditation.
Nam Myoho Renge Kyo est inscrit au centre du mandala en gros caractères, flanqué en plus petit des noms de personnages présents dans le Sûtra du Lotus, ainsi que ceux de divinités et de personnages historiques majeurs du bouddhisme qui n’y étaient pas ; s’ajoute à cela quelques inscriptions que nous verrons plus loin. L’ensemble représente les diverses tendances, ou états, et les énergies positives et négatives de l’univers. Lorsqu’elles sont harmonisées par la loi de Nam Myoho Renge Kyo, tendances et énergies vitales deviennent créatrices de valeur, de bonheur, de compréhension et de vitalité.
Les noms des personnages sont disposés de manière à représenter la scène du Sûtra du Lotus connue sous le nom « Cérémonie dans les Airs » au cours de laquelle Shakyamuni révéla l’essence du Sûtra et confia à ses disciples, les Bodhisattvas de la Terre, la mission de protéger et diffuser cet enseignement pour conduire hommes et femmes vers le bonheur. Cette représentation est figurée en trois dimensions. Shakyamuni et Maints-Trésors sont tournés vers nous, tandis que toutes les autres participant leur font face (Shakyamuni est à gauche et donc à la droite de Nam Myoho Renge Kyo, par préséance, tandis que l’ordre protocolaire est inversé pour les autres). Nichiren est inscrit en gros et en bas, comme s’il se plaçait avec les personnes qui pratiquent devant le Gohonzon. Ainsi disposé, son nom représente à la fois le passé de la cérémonie du Lotus et le présent de la pratique quotidienne.
Sur le mandala, figurent, entre autres, les dix états de la vie (voir article) et l’inclusion de chacun de ces états dans les autres. C’est cette inclusion mutuelle qui explique pourquoi la bouddhéité, (l’état de vie ou la nature du bouddha) est toujours présente en nous, qu’elle soit latente ou activée par la pratique. Elle est symbolisée ainsi : l’état de bouddha est représenté par les personnages de la rangée supérieure, les neuf autres états se retrouvent en-dessous et la phrase Nam Myoho Renge Kyo les relie tous en les traversant.
Nichiren est souvent désigné comme le « créateur » du Gohonzon – ainsi que du mantra Nam Myoho Renge Kyo. Pourtant, pour l’un et l’autre, il ne se présente pas en « inventeur ». Dans plusieurs de ses écrits, il se déclare le premier à les avoir publiquement révélés : « Tiantai, Miaole et Dengyo le perçurent dans leur cœur mais, pour une raison qu’on ignore, ils ne l’exprimèrent jamais sous forme verbale, de même que Yan Yuan s’éveilla au véritable sens de l’enseignement de Confucius mais ne l’exprima jamais. Cependant, il est établi explicitement dans le Sûtra [du Lotus] et dans les commentaires de Zhiyi et de Zhanran que le Gohonzon apparaîtra deux mille ans après la disparition du Bouddha, dans les cinq cents premières années de l’époque de la Fin de la Loi.
Il est merveilleux que, un peu plus de deux cents ans après l’entrée dans l’époque de la Fin de la Loi, j’ai été le premier à révéler ce grand mandala, bannière de la propagation du Sûtra du Lotus, alors que des personnes comme Nagarjuna et Vasubandhu, Zhiyi et Zhanran n’ont pu le faire.
Ce mandala n’est en aucun cas mon invention. C’est l’objet de vénération qui dépeint le bouddha Shakyamuni, Honoré du monde, assis dans la Tour aux trésors du bouddha Maints-Trésors, et les bouddhas qui constituaient des émanations de Shakyamuni, aussi parfaitement qu’une estampe reproduit le motif gravé sur la planche. Les cinq caractères du titre du Sûtra du Lotus figurent au centre, alors que les quatre rois célestes sont assis aux quatre coins de la Tour aux trésors. Shakyamuni, Maints-Trésors et les quatre guides des bodhisattvas sortis de la terre sont en haut, côte à côte. Au-dessous d’eux, sont assis les bodhisattvas, notamment Sagesse-Universelle et Manjusri, et les auditeurs, notamment Shariputra et Maudgalyayana… » La composition du Gohonzon – EdN 101.
Nous pourrions douter de la parole de Nichiren quand il se prétend le continuateur du Bouddha pour la période des derniers jours de la Loi, alors qu’il présente un objet de culte et une pratique qui rompent avec la tradition. Mais d’autres sources antérieures semblent lui donner raison, comme nous l’avons évoqué en note 6 de l’article sur Nam myoho renge kyo.

Le premier Gohonzon connu, inscrit par Nichiren, est daté du 9e jour du 10e mois de l’an 1271, soit un mois après qu’il a pu échapper à son exécution, au lieu dit Tatsunokuchi. Il en a calligraphié différentes versions avec plus ou moins de noms de personnages. En fait, parmi les 125 mandalas provenant de sa main que l’on recense, il n’en existe pas deux dont les contenus soient identiques. On peut penser que, en dehors de Nam Myoho Renge Kyo Nichiren, tout lui paraissait « facultatif » y compris les noms des bouddhas, des bodhisattvas de la rangée supérieure, de Fudo et d’Aizen (3). Il ne semble pas avoir laissé de règles précises à ce sujet à l’intention des moines qui devaient se charger d’inscrire à leur tour des Gohonzons après sa mort, Grands Patriarches de la Nichiren Shoshu (4) ou moines des diverses écoles qui composent aujourd’hui la Nichiren Shu. D’abord calligraphiés manuellement au pinceau et à l’encre de Chine ou gravés en creux et dorés sur des panneaux de bois selon un modèle papier, la plupart des Gohonzons comportaient une dédicace à l’attention des personnes, temples, familles ou groupes divers auxquels ils étaient destinés. Au XXe siècle, avec l’expansion du bouddhisme de Nichiren, ceux de la Nichiren Shoshu ont été imprimés à partir d’un modèle composé par le Grand Patriarche de l’époque. Pour la Nichiren Shu, si des « originaux » peuvent être calligraphiés spécialement pour un adepte, le plus souvent, il y est distribué une copie imprimée du dernier Gohonzon devant lequel Nichiren pratiquait avant sa mort (Shutei Gohonzon). (5)
Vous trouverez ci-dessous un descriptif des Gohonzons inscrits par les 26e et 66e Grands Patriarches de la Nichiren Shoshu. Le premier a été pris pour modèle par la Sokagakkai après sa séparation d’avec la Nichiren Shoshu. Il comportait une dédicace en bas à gauche qui a été supprimée. Le deuxième est le dernier Gohonzon commun aux deux organisations, remis aux nouveaux membres jusque dans les années 80, quant au dernier, il est l’actuel mandala de la Nichiren Shoshu.

1 – Nam myoho renge kyo (voir article)

2 – Nichiren

3 – Zai gohan : Littéralement, zai signifie exister, go est un préfixe honorifique et, dans ce cas, désigne « Nichiren », han est un sceau personnel. Nichiren est dit avoir donné des instructions à ceux qui devront inscrire le Gohonzon pour placer le mot gohan sous son nom.

4 – Dai Bishamon-tenno (skt Vaishravana) : l’un des quatre Grands rois du ciel, qui apparaissent dans le Sûtra du Lotus et font vœu de protéger ceux qui embrassent le sutra. Bishamon vit à mi-chemin sur le côté nord du mont Sumer et protège le nord, accompagné par les deux classes de démons appelés yaksha et rakshasa. Bishamon est une translittération du sanskrit Vaishravana. Ce dieu protège le lieu où le Bouddha prêche et écoute ses enseignements. Il s’engage avec ces trois alter ego à protéger les adeptes dans le vingt-sixième chapitre du Sûtra du Lotus.

5 – « Ceux qui font des offrandes obtiendront une bonne fortune dépassant les dix titres honorables du Bouddha. » Ces dix titres honorables qui expriment la puissance, la sagesse, la vertu et la compassion d’un bouddha sont les suivants :

  • L’Ainsi-Venu (skt tathagata, jap. nyorai). Celui qui est venu du monde de la vérité. Un bouddha incarne la vérité fondamentale de tous les phénomènes et saisit la loi de causalité passée qui imprègne, présent et futur.
  • Digne d’offrandes (skt arhat, jap. ogu). Celui qui est qualifié pour recevoir des offrandes des êtres humains et célestes.
  • Parfaitement et complètement éveillé (skt samyak-sambuddha, jap. shohenchio. Celui qui comprend tous les phénomènes correctement et parfaitement.
  • Clarté et conduite parfaites (skt vidy-charana-sampanna, jap. myogyosoku). Celui qui comprend l’éternité du passé, du présent et de l’avenir, et qui accomplit parfaitement bien.
  • Bien parti (skt sugata, jap. zenzei). Celui qui est allé dans le monde de l’illumination.
  • Compréhension du monde (skt lokavid, jap. sekenge). Celui qui comprend toutes les affaires séculières et religieuses à travers sa compréhension de la loi de causalité.
  • Au mérite insurpassable (skt anuttara, jap. mujoji). Celui qui possède des qualités suprêmes parmi tous les êtres vivants.
  • Dirigeant du peuple (skt purusha-damya-sarathi, jap. jogojobu). Celui qui instruit et conduit tous les êtres à l’éveil.
  • Maître des dieux et humains (skt shasta-devamanusyanam, jap. tenninshi). Maître qui peut guider tous les êtres humains et célestes.
  • Bouddha, l’Honoré du monde (skt buddha-bhagavat, jap. butsu-seson). Celui qui est doté de la sagesse et de la vertu parfaites, qui peut gagner le respect de tous les peuples.

6 – Namu Anryugyo Bosatsu – le bodhisattva Pratiques-Solidement-Établies (skt Supratishthitacha­ritra) : l’un des quatre grand bodhisattvas qui dirigent les bodhisattvas de la Terre qui apparaissent dans le quinzième chapitre du Sûtra du Lotus. Selon Tao-sui (disciple de Zhanran l’un des successeurs de Zhiyi) dans Supplément aux mots et phrases du Sûtra du Lotus (Hokke Mongu Fusho Ki), les quatre bodhisattvas représentent les quatre vertus du Bouddha : vrai moi, l’éternité, la pureté et le bonheur. Le bodhisattva Pratiques-Solidement-Établies représente le bonheur, l’état inébranlable de la vie remplie de joie.

7 – Namu Jyogyo Bosatsu – le bodhisattva Pratiques-Pures (skt Vishuddhacharitra) : autre dirigeant des bodhisattvas de la Terre. Il représente la pureté ; l’état pur de la vie qui n’est jamais influencée par les circonstances.

8 – Namu Shakyamuni-butsu – le Bouddha Shakyamuni : le fondateur du bouddhisme, fils de Shuddhodana, roi des Shakyas, une petite tribu dont le royaume était situé à cheval entre le Népal et l’Inde. Shakya de Shakyamuni vient du nom de la tribu et muni signifie sage ou saint. Son nom de famille était Gautama et son prénom Siddhartha (objectif atteint), bien que certains chercheurs disent que c’est un titre donné par les bouddhistes plus tard en son honneur. Il a exposé divers sutras, dont le Sûtra du Lotus, son enseignement ultime, a fourni la base théorique pour le Gohonzon.

9 – Namu Taho Nyorai – l’Ainsi-Venu Maint-Trésors (Skt Prabhutaratna Tathagata) : un bouddha qui apparaît, assis à l’intérieur de la Tour aux Trésors, lors de la cérémonie dans l’air pour témoigner de la véracité des enseignements de Sakyamuni dans le Sûtra du Lotus. Selon le onzième chapitre de ce texte, le bouddha Maint-Trésors vivait dans le monde du Trésor de Pureté, dans une partie orientale de l’univers. Alors qu’il était encore engagé dans la pratique de bodhisattva, il a fait le serment que, même après être entré dans le nirvana, il apparaîtrait dans la tour au trésor pour témoigner de la validité du Sûtra du Lotus quel que soit le lieu où il serait enseigné. Dans le onzième chapitre, Shakyamuni rassemble tous les bouddhas de tout l’univers. Il ouvre ensuite la Tour Trésor et, à l’invitation du bouddha Maints-Trésors, s’assied avec lui.
Zhiyi interprète Maints-Trésors et Shakyamuni assis côte à côte dans la Tour Trésor comme la fusion de la réalité et de la sagesse (Jap. kyochi myogo), Maints-Trésors représentant la vérité objective ou réalité ultime et Shakyamuni la sagesse subjective qui permet de la comprendre. En outre, Maints-Trésors représente la propriété de la loi (jap. hosshin), Shakyamuni, la propriété de la sagesse (jap. hoshin), et les bouddhas de tout l’univers, la propriété de l’action (jap. ojin). Ils forment ensemble les Trois corps du bouddha (jap. sanjin, skt trikaya).
Nichiren utilise ces interprétations de Zhiyi ainsi que celle selon laquelle Shakyamuni et Taho représentent, respectivement, la vie et la mort, les deux phases de la réalité ultime de la vie.

10 – Namu Jogyo Bosatsu – le bodhisattva Pratiques-Supérieures (skt Vishishtacharitra) : autre dirigeant des bodhisattvas de la Terre qui représente la vertu de vrai soi. Nichiren interprète celui-ci comme figure provisoire ou éphémère du Bouddha du passé sans commencement.

11 – Namu Muhengyo Bosatsu – le bodhisattva Pratiques-Sans-Limites (skt Anantacharitra) : son nom signifie littéralement « pas de frontière » et représente l’éternité, l’une des quatre vertus de la vie du Bouddha.

12 – « Ceux qui persécutent et troublent [les pratiquants de la Loi] auront la tête brisée en sept morceaux. »  Une analogie pour le fait que les causes négatives contre le Dharma engendre des effets négatifs dans la vie.

13 – Dai Jikoku-tenno (skt Dhritarashtra) : autre grand roi du ciel, gardien de l’est. Il préside au printemps et dirige les gandharvas, musiciens célestes, et les pishacha, démons tourmenteurs. Dans le vingt-sixième chapitre du Sûtra du Lotus, il s’engage à protéger ceux qui embrassent le sutra.

14 – Aizen-myo-o (skt Ragaraja), divinité évoquée dans les bouddhismes tibétains et japonais d’influence tantrique. Son nom signifie Roi du désir, de la passion.  Selon le Sûtra du Pavillon du pic Vajra (skt Vajrasekhara Sûtra, jap Kongocho kyo), il représente l’excitation sexuelle et la passion amoureuse considérées par le bouddhisme ancien comme des souillures. Nichiren lui a consacré, ainsi qu’à Fudo-myo-oo, un court texte, Relation de la vison de Fudo et Aizen. Cette divinité représente pour lui le principe « les passions obscurcissantes (les trois poisons désir/attachement, colère et ignorance) mènent ou se transforment en Éveil (bonno soku bodai) ». Dans les enseignements ésotériques, il est considérée comme un avatar du bouddha Dainichi (Skt Mahavairochana) ou Kongosatta (Skt Vajrasattva). Son nom est calligraphié en Siddham, une script variante du sanskrit utilisée en Inde au Haut Moyen Âge.

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Les divinités Aizen et Fudo période Kamakura (1185-1333), respectivement au musée Nezu de Tokyo et au temple Daigo de Kyoto.

15 – Dai Myojo-tenno (skt Aruna) : le grand roi céleste des étoiles, il est le conducteur du char de Surya, le dieu du soleil de la mythologie indienne.

16 – Dai Gattenno (skt Chandra) : conducteur du char de la lune issu de la tradition védique, incorporé dans le bouddhisme comme l’un des douze dieux protecteurs, il est le père de Budha (planète Mercure).

17 – Taishaku-tenno (skt Shakra, aussi connu comme un avatar d’Indra) : l’un des principaux dieux tutélaires du bouddhisme. A l’origine le dieu du tonnerre dans la mythologie indienne, il est servi par les quatre grands rois su ciel et régit les trente-deux autres dieux célestes. Alors que Shakyamuni était engagé dans la pratique de bodhisattva, Indra a pris diverses formes pour tester sa détermination. Selon le premier chapitre du Sûtra du Lotus, il a rejoint le Pic des Aigles accompagné de 20.000 suivants.

18 – Dai Bontenno (skt Brahma) : il est décrit comme vivant dans le premier des quatre cieux de la méditation dans le monde de la forme au-dessus du mont Sumeru Parbat (Himalaya) et gouverne le monde Saha, le nôtre. Dans la mythologie indienne, il a été considéré comme la personnification du principe universel fondamental (brahman).

19 – Dai Rokuten no Mao – Roi-démon du sixième ciel – (skt Mara ou Papiyas, jap. Takeji Zaiten) : de nombreux démons apparaissent dans les écritures indiennes et bouddhistes, le plus redoutable est le Roi Démon du sixième ciel. Il demeure dans le plus élevé des six cieux du monde du désir et utilise le fruit des efforts des autres pour son propre plaisir. Il est considéré comme un symbole de la soif de pouvoir. Servi par d’innombrables sbires, il travaille à entraver la pratique bouddhiste et se plaît à saper la force de vie d’autres êtres. Il correspond au dernier des « trois obstacles et quatre démons ». Nichiren interprète ce démon comme la manifestation de l’obscurité fondamentale inhérente à la vie (avidya).

20 – Dai Nittenno (skt Surya) : la divinité du soleil, adoptée dans le bouddhisme comme un dieu protecteur. Selon l’hindouisme, il est le père du premier homme, Manu, et de Yama, dieu de la mort.. Le Hokke Mongu l’identifie au bodhisattva Kannon.

21 – Fudo-myo-o (skt Acala). Associé au feu et à la colère, il est dépeint comme un personnage furieux entouré de flammes, tenant une corde et une épée, destructeur des démons et des esprits maléfiques. Tout comme Aizen-myo-o, il est l’une des divinités principales d’un courant bouddhique tibétain-sino-japonais ésotérique qui a abouti au Shingon et influencé le Tiendai. Il représente le principe de shoji soku nehan : le cycle naissance/décès est le nirvana (shoji dans la temporalité, nehan dans la vacuité). Comme Aizen son nom est écrit en Siddam.

22 – Hachi Dai Ryo-o : les huit Rois des dragons, êtres mythiques qui vivent au fond de la mer et sous terre et commandent au temps et à la pluie. Chacun, avec de nombreux adeptes, participa à la cérémonie du Sûtra du Lotus. Ils sont décrits par Zhiyi dans ses commentaires du Sûtra du Lotus (voir article).

23 – Dengyô Daishi : aussi appelé Saicho, il est le fondateur de l’école du bouddhisme de Tiantai au Japon. Entré à 12 ans dans l’ordre bouddhiste, il a été ordonné au temple Todai-ji en 785. La même année, il s’est rendu au mont Hiei pour se consacrer à l’étude des écritures et des traités bouddhistes. En 804, il est allé étudier le bouddhisme en Chine, puis est retourné au Japon pour y créer l’école Tendai basée sur les enseignements du Sûtra du Lotus (voir article).

24 – Jurasetsunyo (skt rakshasis) : les dix filles du démon femelle Kishimojin (skt Hariti.). Ce sont Ramba, Vilamba, Kudadanti (Dents-Tordues), Pushpadanti (Dents-Fleuries), Makudadanti (Dents-Noires), Keshini (Chevelue), Achala (Insatiable), Maladhari (Porteuse-de-Collier), Kunti et Sarvasattvojohārī (Voleuse-de-L’esprit-Vital-des-Êtres-Vivants).
Dans le chapitre Dharani du Sûtra du Lotus, elles et leur mère promettent devant le Bouddha de protéger les pratiquants du Sûtra du Lotus.

25 – Kishimojin (skt Hariti ou Abhirati)  : Mère-des-démons. Selon le Sûtra Samyukta ratna pitaka et de nombreux autres textes, elle avait 500 enfants et volait les bébés des autres pour les manger. Appelé à l’aide par une population terrifiée, le Bouddha a eu l’idée de cacher Binkara, le plus jeune fils de Kishimojin. Celle-ci, désespérée après avoir cherché en vain son garçon dans le monde entier pendant sept jours, s’en est remise à Shakyamuni qui lui a fait prendre conscience de son mauvais comportement. Elle a fait le vœu de ne jamais plus tuer d’enfants et, de son rôle d’ogresse, elle est passée à celui de déesse protectrice des enfants et des accouchements sans complication, révérée dans tout l’Extrême-Orient.

26 – Tendai Daishi : il s’agit du grand maître Zhiyi, souvent appelé du nom de l’école bouddhique chinoise basée sur le Sûtra du Lotus, dont il est le troisième patriarche. On lui doit une classification des enseignements bouddhiques en cinq périodes et huit enseignements qui établit la suprématie du Sûtra du Lotus. Il a également exposé le concept de trois mille mondes en un instant de vie (ichinen sanzen) et de l’unification des trois vérités. Si le Sûtra du Lotus fournit la base théorique pour le Gohonzon, avec les personnages assemblés autour du Bouddha, ichinen sanzen de Tiantai peut être assimilé à son plan, ces personnages représentant notamment les dix états, soit la base des trois mille mondes (voir article).

27 – Dai Zojo-tenno (skt Virudhaka) : l’un des quatre grands rois du ciel qui vit au sud du mont Sumer et garde le midi. Maître des kumbhandas, démons des mers, et des pretas, les esprits affamés

28 – Hachiman Dai Bosatsu (grand bodhisattva Hachiman) : avec Tensho Daijin, elle est l’une des principales divinités de la mythologie japonaise adoptée par le bouddhisme (et donc sans son équivalent sur le continent asiatique). Sous le règne du vingt-neuvième empereur, Kimmei, Hachiman serait apparu en simple forgeron dans la partie sud du Japon pour déclarer que, dans une vie antérieure, il avait été l’empereur Ojin, quinzième empereur. Il était le protecteur de la dynastie impériale, ainsi que le gardien du clan Minamoto, et son aide a été recherchée en tant que dieu des forgerons quand la grande statue de Vairochana a été érigé au temple Todai de Nara. Par la suite, Hachiman a été de plus en plus étroitement associés au bouddhisme.
Dans ses écrits, Nichiren considère Hachiman comme une personnification de la fonction qui favorise la fertilité agricole d’un pays dont les habitants ont embrassé la loi bouddhique.

29 – « Je transcris respectueusement. » Inscription qui se réfère généralement au grand prêtre qui a transcrit le Gohonzon.

30 – Nichikan (1665-1726) : Vingt-sixième grand patriarche de la Nichiren Shoshu. Réformateur, avec Nichiu, le neuvième (voir article). Il a rédigé des exégèses sur les cinq principaux traités de Nichiren ainsi que les Écrits en six volumes (Rokkan sho), qui distinguent les interprétations correctes des enseignements de ceux trompeurs.

31 – Tensho-daijin. Aussi appelée Amaterasu, elle est la déesse du soleil dans la mythologie shintoiste, adoptée plus tard comme un dieu protecteur dans le bouddhisme. Les plus anciens textes sur l’histoire du Japon, le Kojiki (Compte rendu des choses anciennes) et le Nihon Shoki (Chroniques du Japon), la présentent comme l’ancêtre de la famille impériale. Dans plusieurs de ses écrits, Nichiren considère la déesse du soleil comme une fonction protectrice de la prospérité de ceux qui ont la foi en le Dharma.

32 – « Jamais dans les 2230 et quelques années depuis la disparition du Bouddha ce grand mandala n’était apparu dans le monde ».

33 – Dai Komoku-tenno (skt Virupaksa) : l’un des quatre rois célestes, gardien de l’ouest. Maître des dragons, il discerne le mal et punit ceux qui commettent des méfaits.

34 – 13 juin 1720, signe cyclique Kanoe-ne : Date du Gohonzon original transcrit par Nichikan Shonin. Le signe cyclique se réfère à l’un des soixante signes de calendrier, qui sont basées sur les douze signes animaux du zodiaque chinois et les dix éléments de la nature selon les anciennes traditions chinoises. Kanoe-ne signifie « Année du Yang (élément) Métal et le Rat » la trente-septième année du cycle du calendrier de soixante ans.

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Le précédent Gohonzon de la Soka Gakkai, commun avec celui de la Nichiren Shoshu, inscrit par son 66e Grand Patriarche, Nittatsu Shonin. Les Gohonzons composés par les grands patriarches, comme d’ailleurs par Nichiren lui-même, n’ont pas toujours la même composition, comme nous le constatons dans cet article.

35 – Mokuren Sonja (skt Maudgalyayana) L’un des deux principaux disciples, avec son ami d’enfance Shariputra, il représente les bouddhas-pour-soi (skt. pratyekabuddhas) ou encore, parmi les dix états de la vie, l’état d’éveil personnel. Il comprend le véritable sens du Sûtra du Lotus dans le IIIe chapitre.

36 – Fugen (skt Samantabhadra). Le bodhisattva Sagesse-Universelle, personnage central du XXVIIIe chapitre du Sûtra du Lotus, dans lequel il promet de protéger les pratiquants à l’époque de la Fin de la Loi (jap. Mappo). Il est le symbole de la vérité et de la pratique.

37 – Monjushiri (skt Manjushri). Bodhisattva Douce-Gloire, parfois décrit comme un compagnon de Shakyamuni, parfois comme enseignant le Dharma à tous les bodhisattvas et même à un bouddha. Il est présent dans de nombreux sûtras dont celui du Lotus ou de la liberté inconcevable (Vimalakirti). Il n’a pas d’existence historique avérée, pourtant on lui prête des voyages à travers l’Inde, le Tibet et jusqu’en Chine, ainsi que de multiples réincarnations dans le bouddhisme lamaïque. Par ailleurs, il est parfois représenté de manière quasi-divine, avec trois visages, quatre ou six bras. Il est le modèle du bodhisattva accompli et le symbole de la perfection de la sagesse.

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Le stupa de Shariputra, à Nalanda, antique université bouddhique, au nord de l’Inde. C’est là, dans la région où il est né, qu’a été érigé ce monument qui contient les reliques de celui qui fut le plus proche disciple du Bouddha. CC BY-SA 2.

38 – Sharihotsu Sonja (skt Shariputra) Un des dix disciples majeurs de Shakyamuni, estimé par celui-ci comme le premier. Dans le chapitre des Moyens Opportuns du Sûtra du Lotus, il comprend le véritable aspect de tous les phénomènes (jap. shoho jissho). Il est le représentant des auditeurs (skt. shravakas) et de l’état d’étude.

39 – Ajase-o (skt Ajatashatru) Roi du Magadha, sous l’influence de Devadatta, il a tué son père Bimbishara, protecteur des bouddhistes, et attenté à la vie de Shakyamuni. Pris de remords, atteint d’une maladie grave, il est allé trouver Shakyamuni qui lui a enseigné la Loi. Il a participé à l’organisation du premier concile bouddhique .

40 – Daiba-Datta
(skt Devadatta) Cousin et disciple de Shakyamuni, sa jalousie envers lui l’a conduit à comploter en provoquant un schisme dans la communauté bouddhique et à tenter de l’assassiner avec la complicité du roi Ajase. Dans le Sûtra du Lotus, Shakyamuni annonce qu’il atteindra l’illumination dans le futur en tant que roi, prédiction que Nichiren utilise pour illustrer le principe que même les personnes mauvaises possèdent le potentiel pour atteindre l’illumination.

41 – Tenrin jyo-o
(skt Chakravarti-raja). Roi-qui-tourne-la-roue, figure idéale du dirigeant politique dans la mythologie indienne. Il est celui qui avance avec la volonté d’établir la paix et de gouverner avec justice, plutôt que par la force.

42 – Ashura-o (skt. Asura-raja). Roi des ashuras, démons de la mythologie indienne, intelligents, mais belliqueux. Jaloux des dieux, ils se battent continuellement contre eux et sont vaincus à chaque fois. Ils représentent l’état de colère.

43 – Pour le présent et le futur

44 – La date

45 – Signature de Nittatsu Shonin précédée de « copier avec grand respect »

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Le Shutei Gohonzon de la Nichiren Shu. Un certain nombre de personnages et annotations, présents sur les deux premiers mandalas, n’y figurent pas, en revanche d’autres apparaissent, voir ci-dessous. Précisons que pour celui-ci, les bouddhas, disciples, bodhisattvas et grands maîtres historiques sont tous précédés de la mention « Namu », et donc pas les divinités, démons ou personnages maléfiques.

46 – Naga-raja. Le roi des dragons qui remplace ici les huit Rois des dragons.

47 – Namu Dai Kasho sonja. Mahakasyapa, l’un des dix grands disciples de Shakyamuni et son successeur à la direction de la sangha.

48 – Namu Miroku bosatsu. En sanskrit, Maitreya, bodhisattva présent en autres dans le Sûtra du Lotus.

49 – Namu Yaku-o bosatsu. Le bodhisattva Roi-de-la-médecine auquel est consacré le Sûtra Yakuo ainsi que le chapitre XIII du Sûtra du Lotus (voir article).

50 – Namu Myoraku Daishi. C’est l’un des noms japonais, avec Miaole ou Mia-lo, de Zharan, neuvième patriarche de l’école bouddhique chinoise Tiantai (voir article). Nichiren se réfère souvent à ses analyses des textes de Zhiyi.

51 –Namu Ryuju bosatsu. Il s’agit de Nagarjuna, grand maître du Mahayana qui a vécu en Inde au premier ou second siècle de notre ère (voir article).

52 –Le 3e mois de la 2e année de Koan, Kanoe-tatsu (1280)

Autres particularités du Shutei Gohonzon : le 17 n’est plus Taishaku-tenno mais un autre nom d’Indra, Shakudai jannin dai-o, et la mention 32 est libellée ainsi : « Ce grand mandala a été révélé pour la première fois dans le Jambudvipa plus de 2200 ans après l’extinction du Bouddha »

Notes :
1 – Par commodité, nous reprenons le terme sanskrit « mandala » bien que celui-ci signifie cercle et qu’il désigne un certain nombre d’objets géométriques, parfois abstraits, parfois représentatifs, peints, en relief et même en sable coloré pour des créations éphémères. Mais les fonctions du Gohonzon et du mandala sont proches.
2 – Ce que l’on peut définir également par le mot Dharma (qui signifie à la fois Loi et Enseignement) et que l’on retrouve dans le titre sanskrit du
Sûtra du Lotus, Saddharma pundarika sutram. Cette loi régit le fonctionnement de tout l’univers et couvrant les domaines du vivant et non-vivant, sensible et non-sensible, de l’apparent et de la vacuité, à travers vie et mort. La traduction de Dharma en japonais est Ho que l’on retrouve dans Myoho renge kyo.
3 – Il est à noter que certaines écoles Nichiren proposent, comme objets de vénération, des statues, des stupas, des feuilles ou des plaquettes de bois portant la seule inscription de Nam Myoho Renge Kyo (jap. Ippen Shudai, voir article sur ce sujet) ou un mélange de calligraphie et de dessins de personnages bouddhiques
4 – Le nom de Nichiren Shoshu ne fut adopté par l’école Nichiren héritière de Nikko Shonin, l’un des six proches disciples du fondateur, qu’en 1912 après avoir porté divers noms.
5 –
Deux écoles de Nichiren se disputent l’honneur de posséder un Gohonzon dédié par Nichiren à toute l’humanité. Il s’agit du Dai-Gohonzon de 1282 conservé par la Nichiren Shoshu au Taiseki-ji, dont l’authenticité est mise en cause à la fois par la Soka Gakkai et la Nichiren Shu. Le second est appelé Dai-Honzon « Mannen kugo » de 1274, il se trouve au Kuon-ji, temple principal de la Nichiren Shu. Nous laisserons ces querelles aux experts. Remarquons, seulement, que ce n’est que ces dernières années que la Soka Gakkai a rejeté toute spécificité au Dai Gohonzon alors qu’elle lui avait consacré un vaste temple en 1972, le Sho Hondo, démoli depuis par la Nichiren Shoshu.

Pour en savoir plus sur les personnages ci-dessus voir le dictionnaire des termes bouddhiques sur Nichiren-études

Trois mille mondes en un instant de vie

Le principe des trois mille mondes en un instant de vie (jap. ichinen-sanzen ; 一念三千) a été établi par Zhiyi dans sa Grande concentration et intuition sur la base de l’expression « la véritable entité de tous les phénomènes » (jap. shoho jisso) du chapitre Moyens opportuns du Sûtra du Lotus qui précède le passage que nous récitons trois fois. Un enseignement capital que Nichiren résume ainsi dans Sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie – WND 178 en citant Zhiyi  : « En ce qui concerne ce qui est présent dans la vie dans un seul instant, si nous n’avions pas employé le concept des dix états, nous serions incapables d’expliquer tout ce qui y est inclus. Si nous n’avions pas employé le concept des trois vérités, nous ne pourrions pas expliquer pleinement le principe qui est à l’œuvre ici. Si nous n’avions pas parlé des dix modalités, nous ne pourrions pas expliquer tous les rouages de cause à effet. Et si nous n’avions pas le concept des trois domaines de l’existence, nous ne pourrions pas couvrir pleinement de la vie et son environnement. »

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Le temple de Guoquing dans la région des monts Tiantai (monts de la Terrasse céleste) en Chine, érigé par l’empereur Yang Guang selon le souhait à titre posthume de Zhiyi en 605. C’est là que Saicho (Dengyo daishi), fondateur de l’école Tendai au Japon, est venu étudier la doctrine de l’école Tiantai et notamment, la doctrine des trois mille mondes.  CC BY-SA 4.0

Ichinen

En japonais, un instant de vie (ichinen) comprend à la fois les sens d’une pensée, d’un esprit, d’un moment et, par extension, d’un moment-pensée (1). Ce terme possède plusieurs significations dans le bouddhisme :
– Un instant ou une période extrêmement courte (
kshana en sanskrit). Le traité de la Grande perfection de la Sagesse définit un kshana comme 1/60 du temps qu’il faut pour se casser un doigt !
– Le fonctionnement de l’esprit sur un instant.
– La concentration de l’esprit dans la méditation sur le Bouddha.
– Zhiyi interprète philosophiquement ichinen dans sa doctrine des trois mille mondes en un instant de vie. Selon lui, ichinen indique l’esprit d’une personne ordinaire, qui, à chaque instant, est dotée du potentiel des trois mille mondes. Les caractéristiques de cet esprit sont les suivantes : il imprègne l’univers entier, il inclut à la fois le corps et l’esprit, il comprend à la fois soi et l’environnement, il crée le bien et le mal et il englobe simultanément la cause et l’effet.
Dans le bouddhisme de Zhiyi, la pratique essentielle est la méditation. Pour schématiser, les trois mille mondes servent de cible à cette méditation. Dans ce sens, par la méditation, l’esprit ou la pensée devient les trois mille mondes et les trois mille mondes deviennent l’esprit.
Nichiren (1222-1282) a concrétisé ce cadre philosophique sous la forme du Gohonzon. Il a établi ainsi un moyen pratique pour les gens ordinaires de manifester leur nature de bouddha à travers les dix mondes de leur propre vie. Il a remplacé la méditation et les autres pratiques par la récitation de Nam myoho renge kyo devant le Gohonzon. Dans La doctrine des trois mille monde en un instant de vie – WND 180, il explique : « Le fait est que la méditation sur Trois mille mondes en un instant de vie et la méthode de méditation connue comme la triple contemplation de l’unité sont contenues dans les cinq caractères Myoho Renge Kyo. Ces cinq caractères figurent également dans la vie ordinaire de chacun de nous. Ainsi, ce commentaire sur Zhiyi affirme : « Myoho Renge Kyo représente la profondeur du grenier secret de l’état originel, l’illumination atteinte par l’Ainsi-venu des trois phases de l’existence ». »
Réciter Nam myoho renge kyo devant le Gohonzon, qui représente notre état de Bouddha, c’est donc illuminer de son pouvoir l’ensemble des trois mille mondes.

Sanzen

Les trois mille mondes (sanzen) indiquent, selon Zhiyi, l’ensemble des phénomènes qui caractérisent la réalité les trois domaines d’existence, les dix états de vie et les dix modalités de la vie. Le premier terme représente les êtres sensitifs dans leur environnement, le deuxième décrit les états que ceux-ci ressentent physiquement et mentalement, le troisième nous montre les mécanismes qui les animent dans leurs relations avec l’extérieur.
Le nombre de trois mille provient du calcul suivant : 10 (dix états) × 10 (dix états) × 10 (dix modalités) × 3 (trois domaines d’existence). Pourquoi dix fois dix états ? En ce qui concerne ces états, à travers lesquels la vie se manifeste, on considère que chacun d’eux possède potentiellement en lui-même les dix états, ce que l’on définit par l’expression « inclusion mutuelle des dix états ». En effet, dans l’instant, l’un des dix états est apparent, tandis que les autres paraissent absents. Mais l’instant d’après, n’importe lequel des dix états peut apparaître. Ainsi, passons-nous instantanément de la colère, au bonheur temporaire, à la tranquillité, etc. Les états non présents ne sont donc pas considérés comme inexistants, ils sont à l’état latent et inclus dans celui des dix qui est manifeste. Ces cent mondes formés par les dix états mutuellement inclus se multiplient donc aux trois domaines d’existence, ainsi qu’aux dix modalités pour former les trois mille mondes (
2).
L’enseignement théorique (première moitié) du Sûtra du Lotus, qui expose les dix modalités de la vie, affirme la possibilité d’atteindre la bouddhéité pour les personnes des deux véhicules (auditeurs, skt
shravaka, et bouddhas-pour-soi, skt pratyekabuddha), ce qui découle de la possession mutuelle des dix mondes. L’enseignement essentiel (l’autre moitié) du Sûtra révèle la véritable cause (les neuf états éternels), l’effet vrai (la bouddhéité éternelle) et la terre vraie (la terre éternelle ou domaine de l’environnement). Zhiyi a donc unifié tous ces concepts dans un seul système, trois mille mondes en un seul instant de la vie.

Ichinen sanzen

Cette expression décrit la vie comme un tout indivisible qui comprend le corps et l’esprit, la cause et l’effet, et le domaine du sensitif et du non-sensitif. La relation entre ses deux termes est telle que chacun est inclus dans l’autre. En fait, ils sont, comme l’a dit Zhiyi, « deux [dans les apparences] mais pas deux [en substance] ». Certains enseignements provisoires ont pu déclarer que tous les phénomènes proviennent de l’esprit, ou qu’ils sont subordonnés à l’esprit. En fait, le Sûtra du Lotus précise que le véritable aspect est inséparable de tous les phénomènes, et que tous les phénomènes, tels qu’ils le sont, sont en eux-mêmes le véritable aspect.
L’instantanéité des trois mille mondes nous amène à quelques considérations. Il n’y a pas de mouvement possible, donc d’action, dans la durée d’un instant. Pourtant, nous le verrons par la suite, les dix modalités exposent « l’influence » ainsi que « l’effet manifeste » qui doit se produire ultérieurement, parfois dans un futur lointain. Il n’y a pourtant pas là de contradiction avec l’instantanéité. Parmi les dix états de vie, neuf ne sont pas réellement présents dans l’instant. Pourtant, ils sont considérés comme latents et pris en compte.
Le principe des trois mille mondes en un instant de vie est divisé en principe théorique et forme de réalisation effective de ce principe, lesquels sont respectivement appelés les trois mille mondes théoriques en un instant de vie et les trois mille mondes réels en un instant de vie. Le premier est basé sur l’enseignement théorique du Sûtra du Lotus, qui expose l’égalité de la bouddhéité et des neuf premiers états – les deux étant des manifestations du véritable aspect. Il révèle également l’inclusion mutuelle des dix mondes – du fait que les personnes des deux véhicules, privées d’une bouddhéité potentielle dans les enseignements provisoires, ont accès à l’état de bouddha.

La réalisation effective du principe théorique

En dépit de sa vision globale, l’enseignement essentiel du Sûtra du Lotus ne révèle pas la pratique qui permet d’incarner directement le principe de trois mille mondes en un instant de vie. Il ne précise pas ce qu’est la Loi, pourtant au centre de son contenu. Voilà pourquoi Nichiren a incarné sa vie embrassant les trois mille mondes en un instant dans le Gohonzon et a établi la pratique pour atteindre la bouddhéité, la récitation de Nam myoho renge kyo avec la foi dans le Gohonzon. Dans l’enseignement de Nichiren, ceci représente la pratique pour « observer l’esprit », à savoir, observer son esprit et voir la bouddhéité en lui. Pour cette raison, son enseignement est résumé par la phrase « embrasser le Gohonzon est en soi observer l’esprit » ou « embrasser le Gohonzon est en soi atteindre la bouddhéité. »
Il déclare dans sa Réponse à Kyo’o – EdN 45 : « C’est ma propre vie à moi, Nichiren, qui devient l’encre sumi avec laquelle je calligraphie le Gohonzon.Vous devez donc croire au Gohonzon de tout votre cœur. La volonté du Bouddha est le
Sûtra du Lotus, mais l’âme de Nichiren n’est autre que Nam myoho renge kyo ».

Notes :

1 – L’instant est considéré comme l’équivalent pour le temps de ce qu’est le point pour l’espace.
2 – En ce qui concerne les trois domaines de différentiation et les dix états de vie, Zhiyi déclare précisément dans la Grande concentration et intuition : « Ainsi qu’il est dit dans le
Sûtra de la guirlande de fleurs, « Comme un peintre habile, l’esprit crée la myriade [de manifestations] des cinq agrégats (skandha). Tout au long de tous les royaumes [de l’univers], il n’y a rien qui ne soit produit à partir de l’esprit ». [L’expression] Innombrables manifestations des cinq agrégats se réfère à [l’idée que] les cinq agrégats [comprennent] le royaume dix états de vie, comme décrit ci-dessus. »
Plus loin, dans le même texte, il associe chacun des trois domaines de l’existence aux dix états de vie, puis il ajoute : « Ces trente types de mondes-domaines proviennent tous l’esprit. En outre, les dix [manifestations différentes] des cinq agrégats comprennent chacun dix constituants dharmiques qui se composent ainsi : forme, nature, substance, pouvoir, action, cause tangible, influences auxiliaires, effet, rétribution, puis du début et à la fin ultime… »
Enfin, pour arriver au chiffre de trois mille mondes, il explique : « Chaque dharma-royaume, d’ailleurs, contient tous les dix dharma-domaines à l’intérieur, faisant une centaine de dharma-royaumes. Chaque royaume, à son tour, comprend les trente sortes de monde-royaume. Par conséquent, les cent dharma-sphères comprennent ensemble trois mille monde. Ces trois mille [mondes] sont présents dans un seul instant de la pensée. »

Aller aux dix états de vie

Aller aux trois domaines de l’existence

Aller aux dix modalités de la vie

Concepts tirés de commentaires

Tous les enseignements du bouddhisme ne proviennent pas directement du Bouddha. Nous avons pu le constater à la lecture des pages de ce blog, il a eu de nombreux commentateurs, dont Nagarjuna, Zhiyi, Zhanran, etc. Par ailleurs, un certain nombre de ceux-ci ont approfondi, développé ou remis en ordre certains de ces enseignements. En voici quelques exemples.

Les dix non-dualités

Les dix non-dualités ont été présentées par Zhanran dans les Annotations sur le Sens profond du Sûtra du Lotus. Dans ce texte, celui-ci traite des dix principes mystiques de l’enseignement théorique (première moitié du Sûtra du Lotus) et des dix principes mystiques de l’enseignement essentiel (seconde moitié du Sûtra), que Zhiyi a exposés dans le Sens profond du Sûtra du Lotus, et y révèle les dix non-dualités. La section qui concerne précisément ce dernier principe est devenue plus tard un traité indépendant appelé Les dix non-dualités. À noter que le terme japonais pour non-dualité (funi) signifie deux, mais pas deux. Autrement dit, deux en apparence ou selon une réalité relative, pas deux en substance, dans la réalité absolue. Ce principe ne définit donc pas seulement une non-dualité, il établit une inséparabilité, voire, une identité, la dualité n’étant qu’apparence.  Ces dix non­-dualités (jap. jippu-nimon) sont les suivantes :
1) la non-dualité du corps et de l’esprit (jap. shikishin funi). Shiki désigne ce qui a une forme et une couleur, soit l’existence physique, tandis que shin signifie ce qui n’a ni forme ni couleur, soit l’existence spirituelle. Le matériel et le spirituel sont deux catégories distinctes de phénomènes, pourtant non-doubles et indivisibles en substance, du fait qu’ils sont les deux aspects d’une même réalité. Ils sont des éléments indissociables de la vie. Dans le Sûtra du Lotus, le principe des dix modalités de la vie représente la non-dualité du corps et de l’esprit. Ces dix modalités sont énumérées dans le chapitre Moyens opportuns, où il est dit que le véritable aspect de tous les phénomènes se compose de « l’apparence, la nature, l’entité, le pouvoir, l’influence, la cause inhérente, la relation, l’effet latent, l’effet manifeste et leur cohérence du début à la fin. » Le Sens profond du Sûtra du Lotus déclare : « L’apparence existe seulement dans ce qui est matériel ; la nature existe seulement dans ce qui est spirituel. Entité, pouvoir, influence et relation, en principe, se combinent à la fois en matériel et spirituel. Cause interne et effet latent sont purement spirituels, tandis que l’effet manifeste existe que dans ce qui est matériel ;
2) la non-dualité de l’intérieur et de l’extérieur (jap. naige funi). Bien que l’objet de la méditation (ou perception) soit divisé en deux – l’objet interne, domaine d’un esprit isolé ou d’une entité psychosomatique, et l’objet externe, monde extérieur des phénomènes physiques et spirituels – il est unique parce que l’esprit englobe les trois vérités et comprend les trois mille mondes (ichinen sanzen) ;
3) la non-dualité du but (ou résultat) de la pratique et de la vraie nature des phéno­mènes  (jap. shusho funi). La vraie nature de la vie, ou véritable aspect de tous les phénomènes, ne diffère pas de ce que l’on atteint en fin de compte par la pratique bouddhiste. La vraie nature nous pousse à la pratique et la pratique nous permet de manifester notre vraie nature ;
4) la non-dualité de la cause et de l’effet (jap. inga funi). La cause signifie ici les personnes ordinaires et l’effet le Bouddha. La nature de Bouddha inhérente à une personne ordinaire est la même que celle que le Bouddha manifeste. Celui-ci n’est pas un être divin ou magique, contrairement au portrait que peuvent faire de lui de nombreuses écoles bouddhiques ;
5) la non-dualité de l’impur et du pur (illusion et illumination sont deux expressions de la même entité et essentiellement un)  (jap. senjo funi) ;
6) la non-dualité de la vie et de son environnement. Tous deux existent à travers les dix états (jap. esho funi) ;
7) la non-dualité de soi et des autres (soi désigne le Bouddha qui enseigne, les autres les simples mortels qui écoutent son enseignement). En d’autres termes l’état de bouddha et les neufs autres états sont inhérents à un seul esprit (ichinen)  (jap. jita funi);
8) la non-dualité de la pensée, la parole et l’action (jap. sango funi). Pensée, parole et action sont considérées par le bouddhisme sur le même plan, celui de l’action. Que ce soient ces trois catégories d’actions accomplies par le Bouddha pour sauver les gens ou celles de personnes ordinaires, elles ne sont pas différentes puisqu’elles proviennent des trois mille mondes. En outre, elles existent dans un même ensemble psychosomatique et sont donc une ;
9) la non-dualité des ensei­gnements théoriques et essentiels ou provisoires et définitifs (qui sont tous nés de l’esprit du Bouddha)  (jap. gonjitsu funi) ;
10) la non-dualité du bienfait (jap. junin funi) (le Bouddha et les simples mortels connaissent le même bienfait).


Les trois obstacles et quatre démons

Nous devons à Zhiyi d’avoir classifié ces obstacles et démons qui nuisent, gênent ou s’opposent à la pratique du bouddhisme. Nous l’avons tous constaté, cette pratique peut entraîner des résistances et des réactions en soi, comme dans son environnement (lesquels sont liés selon les trois domaines de l’existence). Ces forces réactives sont définies comme « trois obstacles » et « quatre démons ». Ceux-ci sont évoqués entre autres dans le Sûtra du Nirvana, le Traité sur la grande perfection de la sagesse de Nagarjuna et les écrits de Nichiren, mais certains de leurs éléments se retrouvent dans les traditions antérieures au bouddhisme. Sous des noms qui évoquent la magie, nous retrouvons en fait des lois naturelles, des lois de la vie – mais le Dharma, n’est-il pas la loi de la vie ? En termes bouddhiques, obstacles comme démons ne sont pas le fait d’interventions extérieures, ils sont une conséquence naturelle du fonctionnement dynamique de nos vies, la conséquence de la transformation de notre karma. En termes profanes, améliorer sa vie, on le sait, ne se fait pas non plus sans poser de problèmes de toutes sortes : relationnels, physiques, mentaux, caractériels, etc. Pour exemple, devoir faire un régime, arrêter de fumer ou de boire de façon inconsidérée agit sur le caractère, cela peut aussi affaiblir quelque temps ou encore éloigner les « compagnons de mauvaises habitudes ». Pourtant, pour la personne en surpoids, diabétique, hépatique ou cardiaque, en partie en raison des déséquilibres de sa vie passée, ces inconvénients ne sont rien face à l’aggravation de sa santé si elle renonce à son régime. Ainsi en est-il avec la pratique du bouddhisme qui est un remède fondamental de la vie. « [Le bouddha] est semblable à un médecin expérimenté qui emploierait un moyen opportun pour guérir ses enfants à l’esprit égaré ». Chapitre XVI du Sûtra du Lotus.

Les trois obstacles (jap. sansho)

1 – L’obstacle des désirs terrestres (jap. bonno sho), découlant des trois poisons (skt trivisani, jap. sandoku) l’avidité, la colère et la stupidité ou ignorance, laquelle est à l’origine des deux premières ; ces passions qui naissent des sollicitations extérieures, parce qu’elles troublent l’esprit, sont un obstacle à la pratique.
2 – L’obstacle du karma (jap. go sho), dû à un mauvais karma créé par l’une des cinq fautes capitales (tuer son père, tuer sa mère, tuer un arhat, blesser un Bouddha et provoquer la désunion dans la communauté bouddhique) ou des dix mauvaises actions (trois mauvaises actions physiques du meurtre, du vol et de l’inconduite sexuelle, quatre mauvaises actions verbales du mensonge, de la flatterie, de la diffamation et de la mauvaise foi, et trois actions mentales de l’avidité, de la colère, et de la stupidité ou vues erronées). Karma signifiant acte (1), cet obstacle des actes peut être interprêté ainsi : les actions répréhensibles affectent la personnalité de celui qui les commet, ce qui l’écarte de la Loi bouddhique (Dharma).
3 – L’obstacle des rétributions douloureuses (jap. ho sho), résultant des effets karmiques d’actions commises dans les trois mauvaises voies (états d’enfer, d’animalité, d’avidité). La manifestation la plus radicale des rétributions karmiques se trouve dans notre naissance. Famille, environnement, sexe, milieu social, pays, capacités physiques et intellectuelles nous sont imposés avec un apparent arbitraire. Par exemple, naître dans les trois mauvaises voies (enfer, esprits affamés, animaux) ou encore dans un pays opposé au bouddhisme constitue un obstacle majeur à la pratique.

Il existe une autre interprétation des deux derniers obstacles. Dans La lettre aux deux frères Ikegami – EdN 61, Nichiren déclare : « …l’obstacle du karma correspond aux entraves qui viennent de notre femme et nos enfants et l’obstacle des rétributions correspond aux entraves provenant de notre souverain ou de nos parents ».
En ce qui concerne ces deux obstacles, on peut se demander si, à une certaine époque, il n’y a pas eu fusion ou confusion entre deux listes anciennes distinctes. Le rapport entre les deux sens de chaque définition (femme-enfants pour le karma et autorités pour les rétributions) semble peu évident, les domaines d’application étant trop différents.

Les quatre démons (jap. shima)

Ce sont les fonctions mauvaises ou destructrices qui affligent les pratiquants et entravent leur pratique. Le nom sanskrit Mara signifie démon, obstacle, meurtre, mort ou peste. En chinois, le démon est ce qui vole la vie :

1 – Le démon des cinq agrégats (skt skandha-Mara), obstructions à la pratique causées par les fonctions physiques et mentales. Les cinq agrégats étant : forme, perception, conception, volition, conscience. Mara, comme manifestation des cinq skanhas, est décrit dans le Shurangama sutra ainsi : à chacun des cinq agrégats sont associés dix agrégats négatifs (skandha-Mara). La section finale de ce sutra contient la description de ces cinquante états de déviation démoniaque qui font obstacle au progrès spirituel pour la personne qui se croit à tort devenue un sage. Ces cinquante étapes se ramènent aux illusions sur la vraie nature de la vie.
2 – Le démon des souffrances ou souillures de l’esprit (skt klesha-Mara), obstacles découlant d’états mentaux ou affectifs qui obscurcissent l’esprit et se manifestent par des actions malsaines. Différentes définitions de ceux-ci sont données dans des Yoga Sûtra ou encore des Abbhidharma. Parmi celles-ci : les klesha de l’ignorance, l’égoïsme, le désir sexuel, l’aversion, l’attachement à l’existence ou peur de la mort, l’orgueil, le doute, l’absence de crainte morale, etc. De ces nombreux klesha ont été extraits les trois (ou cinq) poisons du Mahayana : avidité, colère, ignorance, (orgueil et doute ou jalousie).
3 – Le démon de la mort (skt mrityu-Mara), empêchements résultant de la mort prématurée du pratiquant ainsi que les doutes créés par celle-ci dans son entourage.
4 – Le roi-démon du sixième ciel (skt. devaputra-Mara, jap. dai-rokuten-no-mao) ou des six cieux, qui est dit prendre diverses formes ou s’emparer de l’esprit des autres afin d’inciter les pratiquants à abandonner le bouddhisme. Nichiren (op. cit.) écrit à ce sujet : « Le septième est provoqué par le roi-démon du sixième ciel. Quand un homme du commun, à l’époque de la Fin de la Loi, s’est éveillé à l’essence de tous les enseignements dispensés par le Bouddha de son vivant et qu’il a compris le cœur de l’enseignement important énoncé dans la Grande concentration et intuition, se trouvant ainsi sur le point d’atteindre la bouddhéité, le démon est fortement surpris et se dit : “Voilà qui est très ennuyeux. Si je permets à cette personne de demeurer sur mon domaine, non seulement elle se libèrera elle-même des souffrances des naissances et morts, mais elle mènera aussi les autres à l’illumination. Elle s’emparera de mon territoire et le changera en une terre pure. Que puis-je faire ?” Il convoque alors tous ses serviteurs du monde des trois plans, celui des désirs, celui de la forme et celui qui est sans forme, et leur dit : “Que chacun de vous harcèle ce pratiquant selon ses talents. Si vous ne parvenez pas à lui faire abandonner sa pratique bouddhique, alors entrez dans l’esprit de ses disciples et des habitants de son pays et tentez de les convaincre ou de les intimider. Si ces tentatives sont également infructueuses, je descendrai moi-même pour m’emparer de l’esprit et du corps de son souverain afin qu’il persécute ce pratiquant. Ensemble, comment ne pas l’empêcher d’atteindre la bouddhéité?” C’est ainsi que le roi-démon les conseille. »

Le Sixième ciel est le plus élevé des cieux du Plan du désir qui est équivalent aux six premiers états. Le roi-démon représente donc autant les plaisirs les plus élevés (état de bonheur temporaire) que tous les acteurs d’une société qui prône les valeurs de l’individualisme, du plaisir et de l’accumulation des biens matériels et s’opposent ainsi indirectement au bouddhisme.
Citant la Grande concentration et intuition de Zhiyi, Nichiren (op.cit.) déclare : « À mesure que la pratique progresse et que grandit la compréhension, les trois obstacles et les quatre démons émergent sous des formes trompeuses, rivalisant les uns avec les autres pour faire entrave… Il ne faut être ni influencé ni effrayé par eux. Tombez sous leur influence vous mènera dans les voies du mal. Se laisser effrayer par eux nous empêchera de pratiquer l’enseignement correct. » Il explique plus loin : « La formule Tombez sous leur influence vous mènera dans les voies du mal ne fait pas seulement référence aux trois voies mauvaises, mais aussi aux mondes des êtres humains et célestes et, plus généralement, à l’ensemble des neuf états. C’est pourquoi, à l’exception du Sûtra du Lotus, tous les sûtras – ceux des périodes Kegon, Agon, Hôdô et Hannya, ainsi que le sûtra du Nirvana et le sûtra Dainichi – entraîneront les êtres humains dans les mauvaises voies. »
« Ceux qui croient dans le Sûtra du Lotus vivent comme en hiver, mais l’hiver se transforme toujours en printemps. Jamais, depuis les temps anciens, personne n’a vu ni entendu dire que l’hiver s’était transformé en automne. De même, jamais nous n’avons entendu parler d’un croyant du Sûtra du Lotus qui se soit transformé en être ordinaire.(2) » Daisaku Ikeda commente ainsi cette phrase de Nichiren : « L’hiver peut avoir comme fonction d’éveiller notre pouvoir inhérent et notre potentiel latent – ce principe s’applique, à la fois, à la vie et à la pratique bouddhique. Tous les êtres vivants possèdent la graine de la bouddhéité, également appelée nature de bouddha. Cette graine contient un potentiel aussi vaste et illimité que l’univers lui-même. S’il est éveillé de son état “dormant”, il peut ensuite éclore grâce à la foi dans le Sûtra du Lotus, nous permettant ainsi de surmonter les épreuves de l’hiver. En d’autres termes, nous gagnons grâce à nos combats contre les obstacles induits par notre pratique bouddhique – à savoir, contre les trois obstacles et les quatre démons, et les trois grands ennemis. Nous pouvons faire éclore de magnifiques fleurs de la victoire dans notre vie quand nous résistons aux épreuves de l’hiver, et nous émergeons triomphant grâce à notre pratique de la Loi merveilleuse. »

D’une manière générale, les obstacles se manifestent extérieurement à travers des rétributions négatives, ils sont un effet du karma, tandis que les démons se manifestent intérieurement, ils sont un effet de l’ignorance (ou obscurité fondamentale) et des actes (ou karma) qui sont les deux premiers des douze maillons de la chaîne de causalité. Pourtant, les fonctions des uns et des autres peuvent parfois se confondre. Ainsi Nichiren écrit-il : « Le démon de l’obscurité fondamentale peut même pénétrer la vie d’un bodhisattva qui a atteint le stade le plus élevé de la pratique, et l’empêcher d’atteindre le bienfait ultime du Sûtra du Lotus – la bouddhéité elle-même. Ainsi, il peut facilement faire obstacle à toute autre étape moins élevée de la pratique. Le roi-démon du sixième ciel entre dans la vie de l’épouse et des enfants d’un homme pour l’égarer. Il s’empare aussi de l’esprit du souverain afin de menacer le pratiquant du Sûtra du Lotus, ou incite des parents à s’opposer à la foi de leurs enfants dévoués. »
Note :
1 – Les actes en bouddhisme sont de trois sortes : les pensées, autrement dit les intentions, les paroles et les actions.
2 – L’hiver se transforme toujours en printemps (EdN page 538)


Les trois catégories d’illusions

Ensemble ou séparément, Nichiren les cite fréquemment dans ses lettres. Quelques éclaircissements sur ces catégories d’illusions développées par Zhiyi peuvent se révéler utiles à la compréhension de ces textes.
Ce sont : les illusions de la pensée et du désir, les illusions aussi nombreuses que des grains de poussière et de sable et les illusions sur la vraie nature de l’existence. Les illusions de la pensée et du désir sont des illusions que doivent dépasser les hommes des deux véhicules (les auditeurs et bouddhas pour soi) et les bodhisattvas, les deux autres sont celles que les bodhisattvas, en particulier, doivent éliminer.

Les illusions de la pensée et du désir (jap. kenjiwaku), subdivisées en illusions de la pensée (kenwaku) et illusions du désir (shiwaku), font que les êtres souffrent dans les six voies et le monde des trois plans. Les illusions de la pensée sont des perceptions fausses de la vérité, essentiellement mentales et acquises. Elles consistent en cinq points de vue faux (gorishi) et cinq passions illusoires (godonshi).
• Les cinq points de vue faux sont :
– considérer le moi comme absolu, indépendant de son milieu, bien que le corps soit formé par l’union temporaire des cinq agrégats et, penser que tout son entourage ou son environnement est sa propriété personnelle, alors que rien dans l’univers ne peut appartenir à un individu ;
– croire que la vie est totalement annihilée par la mort, sans survie d’aucune forme, ou, au contraire, qu’elle dure après la mort sous une forme éternellement immuable telle l’âme ;
– ne pas reconnaître la loi de cause et effet ;
– adhérer à des opinions personnelles fausses, telles les trois précédentes, avec des préjugés qui font considérer comme supérieur ce qui est inférieur ;
– juger que les préceptes, austérités ou pratiques erronés sont la véritable voie menant à l’Éveil. Ces cinq points de vue sont de nature idéologique, ils peuvent donc être éliminés par la compréhension et la pensée correcte.

• Les cinq passions illusoires sont la cupidité, la colère, l’ignorance, l’arrogance et le doute. Elles ne sont pas dirigées vers un objet (ce qui est le cas des illusions du désir), ce sont des tendances de la personnalité. Points de vue faux et passions illusoires sont liés. Par exemple, l’arrogance est liée à la croyance en un moi absolu. Toutefois, les premiers sont de l’ordre de l’opinion, tandis que les secondes relèvent de l’instinct, de l’émotion. Elles sont donc plus difficiles à combattre. Les illusions du désir comprennent des inclinations néfastes, des tendances, telles que l’attachement, la colère, la stupidité (aveuglement), l’arrogance, le doute et les vues incorrectes qui naissent en liaison avec des objets, des situations ou phénomènes spécifiques.

Les illusions aussi nombreuses que des particules de poussière ou de sable sont des illusions qui empêchent les bodhisattvas de sauver les autres. Pour aider les autres, ceux-ci découvrent de nombreux enseignements, aussi bien religieux que séculiers (philosophies, connaissances scientifiques, morales, par exemple) ; ils sont également confrontés aux soucis, désirs, valeurs, concepts des autres. Ces illusions naissent de l’influence – doute, découragement, etc. – qu’exercent sur eux ces expériences.

Les illusions sur la vraie nature de la vie sont des illusions qui empêchent les bodhisattvas d’atteindre l’Éveil, c’est-à-dire de s’éveiller à la vérité de la Voie du milieu. Elles sont au nombre douze ou quarante-deux, selon les enseignements, la dernière, la plus profondément enracinée, est appelée l’obscurité fondamentale (skt avidya, jap. gampon no mumyo). C’est en l’éliminant que l’on parvient à l’éveil. La Grande concentration et intuition indique que les trois catégories d’illusions doivent être éliminées par la méditation qui permet de percevoir l’unification des trois vérités en un seul esprit (jap. ennyu santai) – spécifiquement, les illusions de la pensée et du désir sont éliminées par la perception de la vérité de la vacuité, les illusions aussi nombreuses que des particules de poussière et de sable, par la perception de la vérité de l’existence temporaire, et les illusions sur la vraie nature de la vie, par la perception de la vérité de la Voie du milieu (voir article sur les trois vérités). Pour Nichiren, l’enseignement de Zhiyi énonçant qu’un être élimine simultanément les trois types d’illusions par la perception des trois vérités parfaitement intégrées en un seul moment de vie signifie que, en récitant Nam myoho renge kyo des Trois grandes lois ésotériques, une personne manifeste la bouddhéité dans sa vie. En récitant Nam myoho renge kyo, enseigne-t-il, une personne parvient à l’état dans lequel illusions et désirs terrestres se changent en Éveil (jap. bonnô soku bodai), transformant les trois catégories d’illusions en les Trois sortes de sagesse. Ces Trois sortes de sagesse sont expliquées dans le Traité de la grande vertu de la sagesse attribué à Nagarjuna, un commentaire des sûtras Hannya qui inclut des concepts issus du Sûtra du Lotus et développe les notions de vacuité et de prajna (sagesse du bouddha).
Ce sont : I – la sagesse des personnes dans les états d’Etude et d’Eveil personnel, qui leur permet de comprendre l’aspect universel de tous les phénomènes ; II – la sagesse des bodhisattvas, qui leur permet de mener les êtres au salut en comprenant les aspects individuels de tous les phénomènes ; III – la sagesse du Bouddha, qui comprend à la fois l’aspect universel et l’aspect individuel de tous les phénomènes ainsi que le véritable principe qui les régit.
Dans l’ensei­gnement de Zhiyi, une personne obtient les trois sortes de sagesse par la méditation qui permet de percevoir l’unification des trois vérités en un seul esprit (en’yu no santai). On appelle cela les trois sortes de sagesse en un seul esprit (isshin sanchi).
Spécifiquement, par la perception de la vérité de la vacuité, une personne obtient la sagesse des deux véhicules, par la perception de la vérité de l’existence temporaire, une personne acquiert la sagesse des bodhisattvas et par la perception de la vérité de la Voie du milieu, une personne obtient la sagesse de bouddha. Dans la doctrine de Nichiren, la triple concentration de l’unité est comprise dans la pratique de Nam Myoho Renge Kyo avec la croyance en le Gohonzon.

 


Aperçu des noms propres

Quelques détails sur les personnages, écoles ou lieux cités dans les articles du blog.

  • Guanding 561-632 (Jap. Shôan) cinquième patriarche du bouddhisme Tiantai et successeur de Zhiyi, connu aussi sous le nom de Kouan-ting. Il consigna par écrit et compila les sermons de son maître, parmi lesquels ses trois œuvres majeures : le Hokke mongu, le Hokke gengi et le Maka shikan. Il fut lui-même l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels le Nehan gengi (Sens profond du nirvana), le Nehangyô sho (Notes sur le Sûtra du nirvana) et une biographie de Zhiyi.
  • Huiwen (VIe siècle) et Huisi (515-577) le fondateur, et son successeur, de l’école bouddhiste chinoise de Tiantai, ou 2e et 3e patriarches à partir de Nagarjuna.
  • Kumarajiva (IVe-Ve siècle). Traducteur de nombreux traités et sûtras du sanskrit en chinois, auteur notamment de la version chinoise du Sûtra du Lotus  Miaofalianhuajing, en japonais Myoho renge kyo, le Sûtra du lotus de la Loi merveilleuse.
  • Nagarjuna (II-IIIe siècle) fondateur de l’école Madhyamika l’une des deux grandes écoles du bouddhisme mahayana. On dispose de peu de détails sur sa vie, il se pourrait que ce nom désigne plusieurs personnes. Il est le grand théoricien de la doctrine de la Voie du Milieu. On lui doit les plus anciens ouvrages bouddhiques rédigés en sanskrit (les premiers textes étaient écrits en pali ou ses dérivés), parmi lesquels : le Traité du Milieu, Conseils au roi, Le livre de la chance, le Traité de la grande vertu de la sagesse (jap Daichido ron), un commentaire du Sûtra de la Grande perfection de la sagesse dont il ne reste que la traduction de Kumarajiva, etc.
  • Nichikan (1665-1726) 26e grand patriarche de la Nichiren Shoshu restaurateur de cette école par ses études sur les textes de Nichiren et l’agrandissement du Taiseki-ji. C’est l’un des gohonzon qu’il a inscrit qui a été choisi comme modèle par la Soka Gakkai au début des années 1990.
  • Nikko (1246-1333) ou Byakuren Ajari Nikko. Il est l’un des six moines aînés désignés par Nichiren pour préserver et propager ses enseignements. Après la mort de celui-ci, suite à des désaccords face à leurs obligations et aux menaces du gouvernement, les six moines se sont séparés. Nikko a quitté le temple du mont Minobu pour fonder le Taiseki-ji qui est encore aujourd’hui les temple principal de la Nichiren Shoshu. Il a créé le courant du bouddhisme de Nichiren, désigné généralement comme l’École Fuji, dont sont issues la Nichiren Shoshu puis, plus tard, la Soka Gakkai. Il a notamment transcrits les cours sur le Sûtra du Lotus que dispensait Nichiren (Ongi kuden).
  • Nissho, Nichiro, Nichiji, Nitcho et Niko. Ce sont les cinq autres moines aînés qui se sont séparés de Nikko.
    Nissho, face à l’hostilité des autorités, a fini par se présenter comme un réformateur de l’école Tendai. Il a fait ériger à Kamakura les temples de Myoho (Dharma merveilleux) et Hokke (Fleur du Dharma). Le courant issu de ses enseignements est appelé Hama.
    Nichiro a également suivi l’exemple de Nissho face aux autorités en se prétendant réformateur du courant Tendai. Il a érigé plusieurs temples dans la région de Kamakura. La plupart des écoles Nichiren, sauf celles issue de Nikko se réclament de ses enseignements.
    Nichiji, proche de Nikko, il a décidé de propager le bouddhisme hors du Japon quelques années après la mort de Nichiren. Il semble avoir été actif dans la région des Aïnous, au nord du pays, avant de disparaître en Mandchourie.
    Nitcho. Sa mère, veuve, s’est remariée avec Toki Jonin, un laïc célèbre par les lettres que Nichiren lui a adressées, qui a par la suite adopté son beau-fils. Après s’être éloigné de Nikko, il est revenu vers celui-ci. Ils ont fondé ensemble le temple Honmon où Nitcho a été chargé de diriger les études des novices et des jeunes moines.
    Niko, plus jeune des six moines. Après la mort de Nichiren, il a rejoint Nikko au Kuon-ji (temple de l’Éternité) du Mont Minobu. Mais l’esprit conciliant de l’un se heurtant à la rigueur doctrinale de l’autre, Nikko a définitivement quitté les lieux. Niko a pris la direction du temple, où se trouve encore aujourd’hui la tombe de Nichiren, pour y fonder un courant doctrinal qui a eu pour continuateur la Nichiren Shu.
    Voir ici les différentes écoles se référant aux enseignements de Nichiren.
  • Roi-de-la-Médecine (skt. Bhaishajyaraja ; jap. Yakuo). Bodhisattva qui possède le pouvoir de guérir toutes les maladies physiques et mentales. Il apparait avec son frère Médecine-supérieure (skt. Bhaishajyasamudgata ; jap. Yakujo) dans le Bhaishajyaraja-Bhaishajyasamudgata sûtra. Selon ce texte, dans le passé lointain de la Loi formelle du bouddha Eclat-du-lapis-lazuli, un homme nommé Seishukuko a reçu les enseignements mahayana d’un moine appelé Dépositaire-du-soleil. S’en réjouissant, il a offert des médicaments salutaires à celui-ci et à d’autres personnes et fait le vœu que tous ceux qui entendraient son nom seraient guéris. Il avait un frère plus jeune nommé Lueur-de-l’éclair, qui a également offert des remèdes bénéfiques aux mêmes personnages. Ceux-ci, faisant l’éloge des deux frères, ont appelé l’aîné Roi-de-la-Médecine et le cadet Médecine-supérieure). Tous deux, dit le sûtra, atteindront l’Éveil, dans l’avenir, en tant que Bouddhas Œil-pur et Trésor-pur.
    Ce bodhisattva joue également un rôle important dans le Sûtra du Lotus. Il apparait dans les XIIIe et XXIIIe chapitres. Après avoir relaté son histoire, Shakyamuni établit dix comparaisons et fait douze métapho­res illustrant la supériorité du Sûtra du Lotus et le bienfait que procure la foi en ce Sûtra. Vers la fin du chapitre, il exhorte à nouveau l’assemblée qui l’écoute à propager ce Sûtra dans les temps à venir.
    Selon Guanding, Zhiyi connut un grand éveil par la lecture du XXIIIe chapitre du Sûtra du Lotus et serait ainsi désigné comme la réincarnation du bodhisattva Roi-de-la-Médecine
    .
  • Saicho (767-822) connu aussi sous le titre de Dengyo daishi (Grand maître de la Transmission des enseignements). Moine japonais d’abord adepte du Zen et du Kegon shu, il découvre les premiers écrits de Zhiyi rapportés au Japon par Ganjin et décide d’approfondir ces enseignements. Il se rend en Chine, au temple principale du mont Tiantai, pour y être initié aux méthodes de méditations qui y sont pratiquées et étudier les traités du fondateur ainsi que les sûtras. De retour au Japon, il fait ériger le monastère Enryaku sur le mont Hiei où il crée l’école Tendai. Il obtient des autorités de l’époque, qui favorisaient le Hinayana, une reconnaissance du Mahayana, ce qui, par contre-coup, ouvre le Japon à tous les courants bouddhiques et favorise l’étude des doctrines de Zhiyi et du Sûtra du Lotus.
  • Tiantai. École bouddhique chinoise du Mahayana qui se réclame de Nagarjuna qu’elle a pris symboliquement pour premier patriarche, les trois patriarches suivants étant Huiwen, Huisi et Zhiyi. Ses enseignements sont basés sur la prééminence du Sûtra du Lotus sur les autres enseignements de Shakyamuni. Tiantai est un lieu géographique, une montagne du Sichuan, dont le nom signifie en chinois « terrasse céleste ». C’est là qu’a été érigé le temple Guoqing, premier temple de cette école, sur le voeu de Zhiyi et inauguré en 598, célèbre autant par sa beauté que son rayonnement sur le bouddhisme de Chine, Corée et Japon (photo ci-dessous  CC BY-SA 4.0).
    Guoqing
    Tiantai désigne parfois Zhiyi en tant que Grand maître du Tiantai. Si Nichiren a repris la plupart des enseignements de cette école, il a remplacé l’usage de la méditation, au centre de la pratique, par la récitation de Nam myoho renge kyo et a concrétisé le concept des trois mille mondes dans le Gohonzon. À noter que le Tiantai, introduit au Japon par Saicho, porte là-bas le nom de Tendai (même calligraphie mais prononciation japonaise).
  • Vasubandhu (IVe-Ve siècle). Il a d’abord été un grand théoricien du Théravada, avant de se convertir au Mahayana et de fonder avec son frère Asanga l’école Cittamatra (Rien-que-conscience), basée sur le concept de la vacuité. Ses écrits, dont l’Abhidharmakosakarika et la critique qu’il en fait lui-même dans l’Abhidharmakosa bhasya, ont exercé une grande influence en Chine et au Tibet.
  • Vairocana (jap. Dainichi nyorai). Bouddha évoqué dans le Maha Vairocana sûtra (Sûtra de la divine transformation par le pouvoir mystique du grand Vairocana) l’un des principaux textes de l’école tantrique (Shingon au Japon). Bouddha identifié avec le bodhisattva Fugen selon cette école, présenté à la fois comme le bouddha primordial et la forme suprême à travers le corps du dharma (skt dharma-kaya).
  • Zhanran (711-782) (jap. Miaole ou Myôraku). 8e patriarche du bouddhisme Tiantai– ou 9e à partir de Nagarjuna – et rénovateur de cette école alors en déclin, auteur de commentaires sur les trois principaux ouvrages de Zhiyi, apportant des éclaircissements à une doctrine complexe. Principaux textes de Zhanran : Commentaires sur le Sens profond du Sûtra du Lotus, Commentaires sur les Mots et phrases du Sûtra du Lotus et Commentaires sur la Grande concentration et intuition. Nichiren Daishonin fait fréquemment référence à lui pour commenter ses citations de Zhiyi.
    D’une certaine manière, il développa sa propre doctrine ; par exemple, les dix non-dualités énoncées dans ses Commentaires sur le sens profond du Sûtra du Lotus, l’identité de la vérité éternelle et des phénomènes chan­geants présentée dans Le sens général de la Grande concentration et intuition ou encore, dans son ouvrage Le scalpel de diamant (chin. Jingan pi), l’affirmation que l’inanimé et l’insensible – donc l’univers entier –, sont pourvus de la nature de bouddha, une thèse présentée de façon plus explicite que dans le Sûtra du Nirvana. Il est le premier a avancer clairement cette thèse que la nature de bouddha est universelle.
    Zhiyi avait exposé les dix principes mystiques de l’enseignement théorique et les dix principes mystiques de l’enseignement essentiel du Sûtra du Lotus. Zhanran explique que ces dix principes mystiques, aussi bien des enseignements théoriques qu’essentiels, sont compris dans les dix non-dualités. La section de son ouvrage concernant celles-ci est devenue par la suite un traité indépendant intitulé : Les dix non-dualités.
  • Zhiyi (538-597), appelé au Japon Tendai daishi (grand maître du Tiantai), est le véritable fondateur de l’école bouddhique chinoise du Tiantai par son apport philosophique. Nous lui devons notamment le concept des trois mille mondes en un instant de vie et l’approfondissement du point de vue de la triple vérité, exposés dans des traités tels la Grande concentration et intuition, Mots et phrases du Sûtra du Lotus, le Sens profond du Sûtra du Lotus, etc., que Nichiren cite et commente souvent dans ses écrits. Il a également remis de l’ordre dans la multitude de doctrines bouddhiques parfois contradictoires issues des écoles indiennes et importés d’Inde à des époques très diverses, en classifiant l’ensemble des enseignements bouddhiques en cinq périodes (qui suivent une progression pédagogique) et huit types d’enseignements, selon la doctrine et selon la méthode, établissant la supériorité du Mahayana définitif représenté par le Sûtra du Lotus et le Sûtra du nirvana, entre autres.  Parallèlement, il a synthétisé ou rassemblé certains concepts, tels les six causes de maladie, les six étapes de la pratique ou les trois catégories d’illusions. Dans son ouvrage majeur, Grande concentration et intuition, il établit l’équivalent d’un programme de base pour la pratique de la méditation, connu comme les « dix modes de discernement » :
    (1) envisager la sphère de l’inconcevable [à travers la réalité des trois mille mondes]
    (2) éveiller en soi le cœur de bonté et de compassion [du bodhisattva]
    (3) régler habilement [l’esprit par la pratique] du calme et de la contemplation
    (4) éradiquer totalement les dharmas [réfuter les vues fausses]
    (5) faire la distinction entre le blocage et la pénétration [dans le domaine spirituel]
    (6) cultiver les 37 facteurs propices à l’Éveil (bodhipaksadharma)
    (7) appliquer les méthodes auxiliaires qui aident à l’émergence [de la voie]
    (8) connaître les étapes successives [du progrès spirituel]
    (9) être capable de rester ferme [dans sa poursuite de la Voie]
    (10) être libre de l’attachement au Dharma.
    Dans la Grande concentration et intuition, Zhiyi écrit à propos des dix états :
    « Le Grand Véhicule clarifie également toutes les choses qui naissent de l’esprit, ce qui détermine qu’il y ait les dix royaumes spirituels [les dix états]. En observant l’esprit, il est à la fois bien et le mal.
    – Le mal existe sous trois formes, connues comme la cause et l’ effet des trois voies [les 3 premiers états]
    Le bien existe sous trois formes, qui sont la cause et l’ effet de la rivalité, de la personnalité et du ciel [les états de colère, d’humanité et de bonheur temporaire]
    – En observant ces six [formes], de leur impermanence et naissance à leur extinction, nous constatons que l’esprit a différentes sortes de pensées qui ne subsistent pas. Toutefois, l’observateur et ce qui est observé sont partout produits par la matrice des causes et conditions. Dans tout ce qui est produit par la causalité et les conditions, réside la vacuité. Ceci est la cause et l’ effet des Deux véhicules [les auditeurs et les bouddhas-pour-soi].
    En observant cette vacuité, nous pouvons tomber dans la dualité des deux extrêmes, sombrer dans le vide et la stagnation dans l’existence. Cependant, si nous exprimons générosité et compassion, nous nous éveillons à travers ce qui est temporaire et nous avons une influence spirituelle sur notre environnement, bien que la réalité sans substance soit temporairement créée et bien que la réalité ne soit pas la vacuité d’une enveloppe temporaire vide du pouvoir d’influencer et guider. Ceci est la cause et l’ effet de la Bodhisattva.
    – En observant cela, nous sommes en mesure de transmettre aux uns et aux autres que partout se trouve la voie du milieu, véritable aspect spirituel de la réalité, finalement purifiée de qui est bon ou qui est mal, qui existe ou qui n’a pas existé, qui est révélé et qui n’est pas révélé. Avec tout ce qui, en fin de compte, est ainsi, telles sont la cause et l’ effet du Bouddha.

Pour plus de détails sur le sujet vous pouvez vous référer aux sites suivants :
sgi.org, nichirenlibrary.org et nichiren-etudes.net

Portraits de Saicho à gauche et de Zhiyi à droite.

Les trois domaines de l’existence

Issu du concept des trois mille mondes en un instant de vie de Zhiyi, les trois domaines d’existence (jap. san seken) décrivent la vie dans le monde réel (skt loka) selon trois points de vue différents : ce qui constitue un être vivant, celui-ci dans son entourage sensitif et son environnement dans le monde réel (1). Ce sont le domaine des cinq agrégats, le domaine de l’être vivant et le domaine de l’environnement qui, tous trois, dans le système des trois mille mondes, manifestent le même état de vie à un instant donné dans le temps. En japonais, san signifie trois et seken (littéralement l’espace monde/société) possède plusieurs sens, dont le monde, la société, les gens, la sphère des relations humaines. Dans cette langue il désigne plus précisément le contenu du monde (les groupes d’humains et leurs relations) que le contenant, le monde lui-même. Il est généralement traduit en français par « trois domaines de l’existence ».

Les cinq agrégats (jap. go’on, skt pancha skandha).

Le bouddhisme considère que l’être vivant est constitué de l’assemblage temporaire et en constante évolution de cinq fonctions ou éléments, l’un physique et les quatre autres mentaux, ce sont les cinq agrégats : la forme, la perception, la conception, la volition et la conscience. Ce terme existait dans le langage courant à l’époque de Shakyamuni, avec le sens de tas, empilement, amas, mais c’est le Bouddha qui lui a donné sa valeur philosophique. Il a exposé les cinq agrégats dans ses deux premiers discours après avoir atteint l’illumination à Sarnath (2). Une abondante littérature bouddhique leur est consacrée, aussi bien des sûtras traduisant la parole du Bouddha que des commentaires comme le Traité sur les cinq agrégats de Vasubandhu (3).
L’agrégat de la forme (jap. shiki, skt rupa, concept d’origine hindouiste) comprend le corps physique et toutes ses manifestations. Il ne se limite pas à la forme proprement dite. Il représente tout ce qui, chez un être, appartient aux quatre éléments, terre, air, eau et feu (la température du corps représente le feu ; la voix et la respiration représentent l’air ; le sang et les humeurs l’eau ; la chair la terre, etc.) ainsi que, par extension, les cinq organes des sens à travers lesquels nous percevons le monde extérieur et nous agissons : l’œil et la vue, le nez et l’odorat, l’oreille et l’ouïe, la langue et le goût, la surface du corps pour le toucher.
L’agrégat de la perception (jap. ju, skt vedana ) est la fonction de recevoir les informations extérieures par les organes des sens et de les ressentir – ou les classer – comme agréables, désagréables ou neutres. Nichiren dit à ce sujet : « …On comprend que quelque chose est chaud ou froid, mais on n’a pas encore conçu le désir… » (4)
L’agrégat de la conception (jap. so, skt samjna) ou représentation mentale est la fonction d’identification, de reconnaissance ou de découverte de ce à quoi nous sommes mis en présence (objet, personne, environnement). À partir de ses attributs, par exemple son odeur, sa couleur, sa voix, etc., nous nous en formons une idée, un concept, sans avoir encore une opinion ou une décision à prendre à son sujet.
L’agrégat de la volition (jap. gyo, skt samskara) est décrit de façon très diverse, peut-être parce qu’il conserve une part du concept hindouiste dont il est issu. En premier lieu, il exprime l’intention, la volonté d’action ou de réaction au contact d’un objet, d’un être, d’un phénomène (le prendre, l’utiliser, le rejeter, s’en éloigner, le détruire, etc.). Il se compose de six groupes de volitions (skt cetana) qui correspondent aux cinq formes, aux objets des cinq sens et aux six premières consciences (voir plus loin). Vasubandhu le définit comme l’intention, l’impulsion innée, l’ensemble des phénomènes mentaux qui accompagnent la conscience. Par exemple : l’aspiration, la foi, l’attachement, les jugements, les opinions, etc.
Cet agrégat est également un composant essentiel de notre tempérament, notre personnalité, nos tendances. À un niveau plus profond, il est l’expression de notre karma qui dirige nos actions de façon favorable, défavorable ou neutre. En même temps, il provoque la création de nouvelles causes karmiques à travers le mécanisme des dix modalités, c’est pourquoi on l’appelle aussi l’agrégat des formations karmiques. Pour autant, il ne faut pas l’interpréter comme un concept déterministe. S’il nous incite ou nous prédispose à agir selon nos tendances karmiques, la décision de nos actes revient à l’agrégat suivant, celui de la conscience.
L’agrégat des consciences (jap. shiki, skt vijnana) réunit les informations de tous les autres agrégats. Il est la conscience discriminante, celle qui crée des valeurs, la source du mental et de la pensée. Dans Le cycle de la vie, Daisaku Ikeda écrit à ce sujet : « Dans le bouddhisme, le mot conscience est la traduction du sanskrit vijnana, qui signifie faculté de discernement, de compréhension et de perception… On entend généralement par conscience un état particulier, la faculté de penser ou l’état d’éveil ordinaire. Mais ici, le mot « conscience » a un sens différent. Dans le bouddhisme, la conscience implique une capacité ou une énergie en action, que l’on soit conscient ou non. »
Cet agrégat est lui-même composé de neuf niveaux, ce sont les neuf consciences (5). Les cinq premières sont liées à l’agrégat de la forme, plus exactement aux cinq organes des sens dont elles constituent le prolongement mental. Ce sont les consciences de la vue (skt caksur-vijnana), de l’ouïe (skt srotra-vijnana), de l’odorat (skt ghrana-vijnana), du goût (skt jihva-vijnana) et du toucher (skt kaya-vijnana). Pour la sixième, la conscience mentale (skt mano-vijnana), il existe deux interprétations qui peuvent d’ailleurs se compléter : une conscience coordinatrice reliée aux cinq précédentes, réalisant une sorte de synthèse cohérente de celles-ci (6) ou bien une conscience ne dépendant pas des sens, mais ayant pour objet l’observation de phénomènes mentaux à travers la réflexion.
Les trois dernières consciences sont la conscience individuelle (skt mano-vijnana), la conscience réceptacle (skt alaya-vijnana) et enfin la conscience pure (skt amala-vijnana), le terme mano-vijnana étant le même pour les sixième et septième consciences. À la différence des agrégats des perception, conception et volition, ainsi que des six premières consciences, celles-ci ne sont pas tournées vers le monde extérieur. Leur nature est intérieure et purement mentale.
La conscience individuelle correspond à l’idée que nous nous faisons communément de la conscience ou du conscient ; faculté de réflexion, de discernement, de jugement, de décision, capacité de faire la distinction entre le bien et le mal, etc. L’ignorance de la vraie nature de la vie (jap. mumyo, skt avidya), l’attachement à un ego indépendant, un moi absolu, ou encore la croyance en une âme éternelle proviennent de celle-ci. Elle a, en effet, tendance à se fonder sur une conception fixe, isolée et unique de la huitième conscience, alors que celle-ci est en état de flux permanent et que nos vies, en interaction constante, exercent des influences réciproques profondes les unes sur les autres ainsi qu’avec notre environnement.
La conscience alaya, la huitième, réside dans ce que la psychologie appelle l’inconscient, tout en allant au-delà du champ de la science. Les expériences de vie actuelles et passées – globalement appelées karma – y sont stockées. Elle reçoit les effets des causes positives et négatives et les conserve en tant que potentiel karmique ou « semences » qui conduiront ensuite l’être constitué des cinq agrégats vers des expériences et des situations agréables ou douloureuses, le bonheur ou la souffrance. Dans Trente versets de la pensée unique (Trimsika), Vasubandhu explique que ce n’est pas l’acte, mais l’intention le motivant, qui crée le karma. Par intention, il faut comprendre l’agrégat de la volition et d’autres facteurs de désir, de volonté d’agir, etc. L’énergie engendrée par cette intention (à travers l’agrégat de la volition) ne se résorbe pas dans l’accomplissement de l’acte, elle va s’inscrire dans la huitième conscience. C’est cette conscience, chargée du karma, qui entraîne la neuvième conscience dans le cycle des naissances et des morts (skt samsara), la maintient dans l’illusion sur le véritable aspect de la vie et l’empêche de s’exprimer dans toute sa potentialité.
Cette neuvième conscience est appelée amala ce qui signifie en sanskrit « pur » parce que cette conscience demeure pure, indépendamment du karma accumulé. Daisaku Ikeda la décrit ainsi, op. cit. :
« La neuvième conscience est en soi la réalité ultime de toutes choses et équivaut à la nature de bouddha universelle. Le bouddhisme explique que nous pouvons changer notre karma le plus profond en faisant apparaître les facultés inhérentes à notre propre vie, plutôt que grâce à l’aide d’un dieu extérieur.
La conscience amala est la force de vie pure, le pouvoir de vivre, et représente l’énergie pour une vie meilleure. C’est le grand soi qui œuvre au bonheur de tous. Le pouvoir de rendre tous les êtres humains absolument heureux est la fonction du bouddha. C’est pourquoi la neuvième conscience est connue sous le nom de « conscience du bouddha ». On l’appelle aussi la nature du Dharma, parce qu’elle correspond à l’illumination potentielle présente en chaque être. »
Dans Le recueil des enseignements oraux (OTT p. 23), à propos du deuxième chapitre du Sûtra du Lotus, Nichiren déclare : « Myoho Renge Kyo représente la neuvième conscience, tandis que les dix états de vie représentent les huit premiers niveaux de conscience. »
Nous avons vu que skandha signifiait « pile » ou « tas » en sanskrit. C’est en quelque sorte ce que les agrégats représentent, une superposition de cinq « couches », depuis la surface du corps et du domaine neurosensoriel, jusqu’au plus profond de la conscience et de l’inconscient. Comme l’explique Nichiren (7)  : « Le volume V de la Grande concentration et intuition, citant un commentaire doctrinal, déclare que la conscience effectue d’abord le processus de discernement ou de discrimination, ensuite, la perception saisit une chose, la conception forme une image de la chose, la volonté décide d’accepter ou rejeter la chose et la forme répond à la décision de la volonté ».
L’échange entre les différents agrégats ne suit pas toujours leur « ordre d’empilement ». Il existe entre eux des imbrications ou des relations croisées, comme entre la volition et la huitième conscience ou encore la forme et les six premières consciences. Ces interrelations complexes sont à l’origine de la notion bouddhique de non-dualité du corps et de l’esprit. D’autre part, à l’instar de nombreux principes bouddhiques, selon le contexte, les agrégats peuvent posséder plusieurs sens comme pour le champ des six sens ou et la relation entre la volition et la huitième conscience. Il en est de même dans le cycle des douze liens de la coproduction conditionnée (8).
Si les cinq agrégats forment l’être vivant, si, comme nous le verrons, ils « habitent » en quelque sorte le domaine des êtres vivants qui, lui-même, habite le domaine de l’environnement, nous pouvons nous poser cette question à leur sujet : par qui sont-ils eux-mêmes habités ? Ce n’est pas par la huitième ou la neuvième conscience, qui restent des éléments temporaires – quoiqu’essentiels à la vie –, au même titre que les autres agrégats. La réponse nous est fournie par la parabole du char, utilisée par la nonne bouddhiste Vajira dans le Samyutta-nikaya, ainsi que par le moine Nagasena pour répondre au roi Ménandre Ier dans les Questions de Milinda (Milindapañha). Ces textes prennent pour exemple un char. Elles expriment l’idée que celui-ci est composé de pièces, un timon, un essieu, des roues, une caisse, etc. et qu’il est impossible de le définir dans l’absolu, sans faire référence à ces pièces. La nonne Vajira le déclare : « De même que la combinaison des pièces donne lieu au mot « char » de même l’existence des agrégats donne lieu à la convention d’être vivant. » Nagasena fait remarquer au roi Milinda que, faute d’être identifiable par lui-même, le char n’est qu’un mot que l’on emploie pour désigner un assemblage d’éléments, comme on s’accorde à dire « être vivant » à partir des agrégats. Que l’on démonte entièrement le char et il n’existe plus. Nous pouvons en conclure que dans la réalité, il n’y a pas de char et pas plus d’être vivant, et pourtant ils existent !
Vasubandhu écrit également : « Pourquoi appelle-t-on cela domaine ? Parce qu’il y a saisie des caractéristiques propres aux phénomènes bien qu’il n’existe pas d’acteur. » Autrement dit, les 5 agrégats paraissent être un domaine vide d’occupant, un assemblage provisoire « vide » d’une substance, de la notion d’âme éternelle hindouiste, l’atman.
Cette notion d’une âme ou d’une entité immuable, le Mahayana et la plupart des écoles bouddhistes l’ont toujours rejetée. D’une part parce qu’il n’existe qu’un seul monde, le monde réel, et que rien ne peut exister au-delà, d’autre part en référence à cet autre point de vue du bouddhisme, la triple vérité (jap. santai) de la vacuité, du caractère temporaire et de la voie du milieu. La vérité de la vacuité signifie que les phénomènes n’ont pas d’existence propre ; leur vraie nature est non substantielle, indéfinissable en termes d’existence ou de l’inexistence. La vérité de l’existence temporaire signifie que, bien que non substantielle, toute chose possède une réalité temporaire en constante évolution. La vérité de la Voie du Milieu signifie que la vraie nature des phénomènes n’est ni vacuité ni temporaire, bien qu’ils affichent les attributs des deux. La Voie du Milieu est l’essence des choses qui se perpétue à travers un état manifeste ou latent. Ainsi en est-il des cinq agrégats comme de tous les phénomènes composés.
Les cinq agrégats nous amènent également à la notion bouddhique de phénomènes composés (skt samskrtadharma, jap. ui) et incomposés (skt asamskrtadharma, jap. mui). Les premiers sont les choses ou substances qui dépendent des causes et effets. Ils se définissent par ces quatre caractéristiques : naissance, destruction, durée et impermanence. C’est donc le cas des cinq agrégats, à l’exception de huitième et neuvième consciences, et de ce qui est du domaine de l’aspect réel des phénomènes que perçoit le bouddha.

Le domaine des êtres vivants (jap. shujo)

Shujo est la traduction du terme sanskrit sattva signifiant « vivant ». Ce domaine est celui de l’être individuel formé de l’union temporaire des cinq agrégats qui manifeste ou éprouve l’un des dix mondes. Ce domaine se réfère non plus à un assemblage, mais à la personne comme un tout. Cependant, aucun être n’existant dans l’isolement le plus parfait, le sens de ce terme est étendu au corps collectif des êtres qui interagissent les uns avec les autres. Vivant ne signifie pas uniquement humain, mais concerne toutes les formes de vie, microorganismes, végétaux, animaux, etc. Dans le cas de celles qui sont dépourvues de certains agrégats (conscience et organes des sens) on peut dire que ceux-ci sont à l’état latent.
Nous pouvons, par ailleurs, remarquer l’importance qu’accorde le bouddhisme aux processus de la perception et aux relations de l’être vivant avec son environnement. La biologie nous l’a révélé sous son aspect matériel, chimique et parfois physique : la perception c’est la vie. Elle est présente même dans ses formes les plus simples comme le virus ou la bactérie. Sans cette perception, la vie ne peut ni se nourrir, ni se défendre, ni se reproduire. Elle ne peut exister.

Le domaine de l’environnement (jap. kokudo)

En sanskrit, kshetra, terre, région, domaine d’action, lieu sacré, mot que l’on retrouve par exemple dans le terme buddha-kshetra, terre de bouddha. C’est le lieu ou le terrain qu’habitent les êtres vivants et où ils mènent leurs activités.
Selon l’antique cosmologie indienne, en dehors de notre monde, il en existait un grand nombre d’autres – dont le ciel ou l’enfer –, où les êtres transmigraient et renaissaient en fonction de leur karma, appelés les six mondes ou les six voies (9). Cette vision pluraliste peut être interprétée comme une allégorie sur l’impact de l’état de vie de l’être humain sur sa perception de son environnement. Mais même ainsi, elle appelle plusieurs remarques : chacun de ses différents mondes est clos, il n’est possible de s’en échapper pour des mondes meilleurs que par la mort, après de nombreux cycles d’existence, et l’état de vie y est le même pour tous ces occupants parce qu’il est imposé par l’environnement lui-même. Elle est, en fait, le reflet de la pensée hindouiste selon laquelle la transformation du karma est un processus qui nécessite de très nombreuses vies.
En revanche, selon le concept des trois mille mondes de Zhiyi, il n’existe pas d’autre monde que le nôtre, celui de Saha. Notre ressenti physique et moral n’est pas fonction d’un univers particulier, mais des dix états de vie par lesquels nous pouvons passer instantanément. Le lieu où nous vivons est donc défini par le domaine de l’environnement qui devient le reflet de notre état de vie intérieur et non plus l’inverse. En conséquence, comme nous le constatons tous les jours en regardant les personnes qui nous entourent, ce domaine de l’environnement n’impose pas uniformément l’un des dix états à tous ses habitants – de même que la collectivité n’impose pas un état identique pour tous ses membres. Et c’est ce qui fait que nous pouvons avoir sur les autres une influence positive ou négative, leur apporter du bonheur ou du malheur, les aider, être nous-mêmes encouragés, les faire changer ou changer nous-mêmes d’état de vie à leur contact.
Mais comment expliquer qu’un même environnement puisse manifester des états de vie différents à ses différents habitants ? Dans Sur l’atteinte de la bouddhéité dans cette vie – EdN 1, Nichiren nous explique : « Il est dit dans le Sûtra de Vimalakirti que, si l’esprit des êtres vivants est impur, leur terre aussi est impure, mais que si leur esprit est pur, leur terre l’est également. Il n’y a pas de terre pure ou impure en soi. La différence réside seulement dans le bien ou le mal à l’intérieur de notre esprit. »
Notre état de vie sous ses aspects physiques, mentaux, relationnels, environnementaux dépend donc de nous, de notre conscience profonde. De même que les cinq agrégats ne peuvent être isolés les uns des autres, les trois domaines ne doivent pas être considérées indépendamment, mais comme des aspects d’un tout intégré, qui manifeste dans un instant l’un des dix états de vie. Tel est le sens de la non-dualité de soi et de l’environnement.

Notes :

1 – Dans la Grande concentration et intuition (jap. Makashikan), Zhiyi (voir Zhiyi et Tiantai) reprend le principe des trois domaines d’existence, exposé dans le Traité de la grande vertu de la sagesse (voir Nagarjuna).
2 – Ce sont le Sûtra de la mise en mouvement de la roue du dharma et le Sûtra sur les caractéristiques du non-soi. Dans le premier, Shakyamuni déclare : « La naissance est souffrance, vieillir est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont souffrance, être uni avec ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, les cinq agrégats de l’attachement sont souffrance. » Dans le second il décrit les cinq agrégats, comme des phénomènes composés, changeants, impermanents, sujets à la destruction, donc sens substance propre. Les interpréter comme un moi inaltérable et s’y attacher, aussi bien au sujet de soi-même que des autres, ne peut qu’engendrer la souffrance.
3 – Vasubandhu (IVe-Ve siècle), souvent cité par Nichiren, est le fondateur de l’autre grande école du Mahayana, le Cittamatra (Rien-que-conscience). Ses écrits, notamment l’Abhidharmakosa, ont exercé une grande influence en Chine et au Thibet.
4 – Sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie (Ichinen sanzen riji) – WND 178.
5 – Les écoles bouddhiques sont unanimes en ce qui concerne les cinq premières consciences liées aux cinq sens, pour la suite, nous trouvons différentes versions : de six consciences pour les écoles anciennes, à huit et neuf pour des courants plus modernes du Mahayana indien, version qui sera reprise par l’école Tiantai.
6 – Le processus sensoriel comprend les six premières consciences, les cinq organes – ou facultés sensorielles – plus le mental et les six objets perçus ou sources. Pour ces derniers, il s’agit pas exactement d’un objet extérieur à nous, mais de ce qui permet de le distinguer, ses caractéristiques olfactives, visuelles, tactiles, auditives, gustatives et mentales. Par exemple : couleur, texture, luminosité, goût, taille, son humain, animal, bruit naturel, etc.
On appelle ce processus sensoriel le champ des six sens. Dans celui-ci, les organes, consciences et objets forment un ensemble de 18, les 18 dhatus (terme sanskrit signifiant élément). À travers l’agrégat de la perception, l’expérience du contact étant agréable, désagréable ou neutre, nous obtenons 18 x 3 = 54 types de sensations, lesquelles sont physiques ou mentales, ce qui fait donc : 54 x 2 = 108. Et 108 est le nombre des perles de la boucle du chapelet bouddhique. Elles symbolisent les 108 sensations qui nous tiennent attachés au monde de l’illusion fondamentale ; les quatre plus petites qui leur sont ajoutées représentant les quatre grands bodhisattvas sortis de la terre
7 – Op. Cit.
8 – On les trouve alors sous l’expression « le nom et la forme » (skt namarupa ; rupa pour forme et nama pour nom qui représente les quatre autres agrégats) attachée à la croyance illusoire en l’existence du « soi », du petit ego. Selon le mécanisme des douze liens de la coproduction conditionnée (skt nidanas), le karma, créé dans le passé par notre ignorance et l’agrégat des volitions (samskara), provoque la « renaissance » de la conscience (vijnana). De cette renaissance découle la formation des 5 agrégats (namarupa), qui créent le champ des six sens, ce qui entraîne l’établissement d’un contact avec les objets ou les êtres environnants. À ce contact, l’agrégat de la perception (vedana) va réagir par l’attirance, la répulsion ou l’indifférence. Cette réaction va se prolonger par le désir (ou l’aversion) et, en conséquence, par l’attachement à l’existence et à la renaissance pour poursuivre le cycle des naissances, vieillesses et morts.
9 – Les six mondes (jap. rokudo, skt sad jagati), six destinées ou encore roue de l’existence:
– les enfers (18 types d’enfer empilés sous la surface de la Terre, brûlants, glacés, éphémères, aux rigueurs en fonction des fautes commises par leurs habitants),
– le monde des esprits affamés, les pretas, localisé sous le mont Meru,
– le monde des animaux, qu’ils partagent avec nous, c’est donc moins un lieu qu’un état,
– le monde des asuras (situé dans des grottes et peuplé de titans querelleurs, jaloux, ambitieux et en lutte perpétuelle),
– notre monde, le monde Saha, ce qui signifie endurance, souffrance,
– les cieux ou mondes des dieux ;
Ainsi, en fonction de son karma renaît-on sous forme d’animal, de preta, d’asura, d’être céleste, etc. dans le monde correspondant.
Ce sont ces six mondes qui, dans le concept des dix états de vie, deviennent les six premiers états (enfer, avidité, animalité, colère, humanité et bonheur temporaire) tandis que les quatre nobles mondes, la voie des auditeurs, des bouddhas-pour-soi, des bodhisattvas et des bouddhas représentent les quatre états supérieurs (étude, éveil pour soi, bodhisattva et bouddha).

La triple vérité

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Nichiren écrit dans La doctrine de Trois mille mondes en un instant de vie – WND 180 : « Pourquoi le Sûtra du Lotus surpasse-t-il les autres sûtras ? Parce qu’il contient La triple contemplation de l’unité [des trois vérités] et les trois mille mondes en un instant de vie. »

En déclarant que la présence conjointe de ces deux doctrines, dans le Sûtra du Lotus, établit la supériorité de celui-ci sur tous les sûtras, Nichiren nous affirme qu’elles sont parmi les plus importantes de la philosophie bouddhique. Pourtant, si la seconde nous est familière, la première est peu abordée dans la plupart des écoles issue de son enseignement. La principale raison de cette apparente rareté pourrait venir de ce que la triple contemplation de l’unité est, en même temps qu’une thèse basée sur l’unification des trois vérité (en’yu no santai), l’objet d’une pratique propre à l’école Tiantai et abandonnée par Nichiren. Il s’agit d’une méditation, exposée par Zhiyi dans la Grande concentration et intuition, dont le but est de percevoir l’unité fondamentale des trois vérités de la vacuité, l’existence temporaire et la voie du milieu en un seul moment de vie. Avec l’établissement, par Nichiren, de la récitation de Nam myoho rengue kyo, cette pratique est donc devenue superflue ou, plutôt, elle est incluse dans cette pratique. Ce que celui-ci nous explique ainsi :
« Réciter daimoku – ou titre – du Sûtra du Lotus est pareil à la pratique de la méditation. Des ignorants peuvent trouver cela difficile à croire, mais le deuxième volume de la Grande concentration et intuition de Zhiyi a un passage « concernant la récitation et le silence », dans lequel le mot « récitation » se réfère à la récitation du Sûtra du Lotus et « silence » à la pratique de la méditation ou contemplation. Et encore une fois, dans le premier volume de la Doctrine des quatre enseignements, Zhiyi déclare : « Non seulement [des pratiques telles que la récitation ne sont] pas des efforts inutiles, mais encore, elles sont essentielles en permettant de saisir le principe impliqué. »

Si la triple contemplation de l’unité est une pratique qui ne correspond plus à notre époque pour Nichiren, elle conserve pour nous un intérêt, celui de nous amener à considérer son objet que l’on peut traduire ainsi : les trois vérités, la triple vérité ou encore les trois réalités. Ce sont :
– la vérité de la vacuité (jap. kütai, chin. kongdi, du skt sunyata),
– la vérité de l’existence temporaire (jap. ketai, chin. jiadi, du skt samvrti)
– la vérité de la voie du milieu (jap. chutai, chin. zhongdi).
La triple vérité n’est pas, à proprement parler, un concept, une description du fonctionnement de la vie, de l’univers, du Dharma (1). Il s’agit plutôt de trois façons de percevoir la vérité ultime ou encore de trois points de vue différents sur une réalité globale.

La vérité de la vacuité

Elle s’appuie donc sur le principe de la vacuité (sunyata) qui établit que les phénomènes (êtres, dharmas (1), ce qui maintient sa propre identité) n’ont pas de nature propre, indépendante, absolue ou fixe. Ils ne tiennent pas leurs caractéristiques d’eux-mêmes, mais des relations qu’ils établissent entre eux. Nagarjuna déclare dans le Traité du Milieu : « Nous appelons vacuité ce qui apparaît en dépendance ».
Prenons pour exemple de cette relation, le corps humain. Nous savons aujourd’hui qu’il est composé d’environ 10 000 milliards de cellules, tandis qu’il abrite près de 100 000 milliards de bactéries et 3 000 milliards de virus ! Certains de ces micro-organismes se révèlent pathogènes, mais la plupart sont bénéfiques et même indispensables à la vie, tels ceux qui interviennent dans le processus de la digestion, représentent une barrière à d’autres germes agressifs ou jouent parfois des rôles inattendus. Ainsi, on a pu constater chez les souris, que l’introduction ou la disparition de certaines bactéries dans le système digestif modifiait fortement l’humeur et le comportement. 
Mais d’une manière générale, un être totalement pur, débarrassé de tout agent extérieur, ne serait pas viable sans l’aide de la science, en laboratoire, dans un temps limité et pour de rares espèces. Le protocole se révèlerait d’une mise en œuvre considérable en terme de moyens pour un organisme complexe et, dans un tel contexte, l’interdépendance existerait toujours pour le sujet. Elle se déplacerait de ses rapports avec ce qu’il renferme en lui, à ceux qu’il entretient avec ce qui l’entoure, en l’occurrence un environnement puissamment médicalisé et artificiel.
La relation d’interdépendance fait que toute chose dépend des autres pour exister. Elle ne peut être dissociée de son environnement. Dans ce sens, cette chose est sans substance propre, d’une nature non-absolue, ce qui entraîne nécessairement l’inexistence de l’ego et d’une âme éternelle (skt. anatman). Ce point de vue s’oppose ainsi à la notion d’âme de l’hindouisme (skt. atman) telle qu’elle existait avant l’apparition du bouddhisme.
L’absence d’une âme éternelle pourrait faire de la vacuité un concept nihiliste. Cependant, comme nous le verrons plus loin, cette vérité est liée à celles de l’existence temporaire et la voie du milieu, ce qui en change totalement la portée.
La vérité de la vacuité consiste donc à considérer les phénomènes, les vies qui nous entourent, non comme des entités propres, autonomes, mais à travers les échanges qu’ils établissent les uns avec les autres. Par conséquent, ces phénomènes, quels qu’ils soient, n’ont pas de caractère fixe, inchangeant, immuable, ni de nature propre. Ils ne peuvent pas se manifester par eux-mêmes, ils ont besoin d’une intervention extérieure.

La vérité de l’existence temporaire

Elle est également traduite par temporalité, caractère provisoire. Elle implique que les phénomènes qui se manifestent à nos sens et notre esprit possèdent une réalité temporaire, changeante à travers le flux du temps, en constante évolution. Ne possédant pas de nature invariable ou absolue, ils ne sont perceptibles que sous leur apparence momentanée. Cette vérité est liée au concept de l’impermanence (jap. mujo, skt. anitya).
Autant la littérature bouddhique sur le concept de la vacuité est vaste, de Nagarjuna à nos jours, autant la vérité de l’existence temporaire est peu commentée. Ce qui est naturel pour une réalité que tout un chacun peut constater. Tout vieillit, tout est éphémère et changeant autour de nous ; il suffit de feuilleter un vieil album de famille pour le comprendre. Le bébé souriant et la personne âgée au visage creusé par les épreuves du temps qu’une photo peut nous montrer ont été une même personne. Qu’y a-t-il de commun entre eux, à part les informations génétiques ? L’esprit ? Celui presque vierge du nouveau né et, plus tard, rempli de souvenirs, d’expériences, de traumas, de réflexes acquis du vieillard ? Le corps ? À son aspect, non, bien-sûr. Pour aller plus loin dans le domaine matériel, la biologie nous apprend que les cellules qui composent le corps humain sont entièrement renouvelées plusieurs fois au cours de son existence ou meurent sans être remplacées. Ces photos représentent donc deux fois l’apparence momentanée d’une réalité temporaire changeante.

La vérité de la voie du milieu

Dans le point de vue des trois vérités, celle de la voie du milieu dépasse le rôle médian, celui de voie qui ne pencherait vers aucun extrême, rôle qu’elle a pu avoir dans certains enseignements provisoires du bouddhisme. Elle implique que la vraie nature des phénomènes est à la fois vacuité et existence temporaire et, en même temps, ni l’un ni l’autre de ces concepts. Ces deux aspects sont des composantes de la vérité mystique qui présente les qualités des deux mais n’est, essentiellement, ni l’un ni l’autre. Elle est l’essence des choses qui se perpétuent dans un état manifeste et dans un état latent.
Pour définir ces trois vérités schématiquement, nous pouvons dire que la vérité de la vacuité est l’aspect de la réalité qui peut être perçu par les auditeurs et les bouddhas-pour-soi (personnes dans les états d’études et d’éveil personnel), la vérité de l’existence temporaire est celle que perçoivent les bodhisattvas qui doivent plonger dans cette réalité pour sauver les autres (état de bodhisattva) et les personnes ordinaires (c’est pourquoi, celle-ci nous est plus accessible, elle se fonde sur les apparences), enfin, la vérité de la voie du milieu est celle que perçoit le bouddha (état de bouddha). De même que les dix états sont inclus dans les dix états, chacune de ces vérités contient en même temps les deux autres et elles-mêmes. Pourquoi le bouddhisme prétend cela ? Parce qu’aucune de ces trois vérités ne vient mettre en cause l’existence des deux autres. 
Un phénomène naturel nous permet d’illustrer le point de vue de la triple vérité, il s’agit de celui de la houle. Lorsque nous observons les vagues sur la mer, nos sens nous font percevoir un mouvement, un déplacement physique d’eau en surface. Ce phénomène peut d’ailleurs, lors des tempêtes, constituer une force destructrice considérable, capable d’engloutir des navires. On ne peut donc nier que la vague manifeste une existence physique, de nature temporaire – et en constant mouvement, puisqu’il est impossible de la figer.
Si, maintenant, nous étudions de plus près le phénomène, nous constatons que les vagues sont, en fait, des illusions. Contrairement à ce qu’il se passe avec les courants marins, les molécules d’eau qui les composent provisoirement n’avancent pas ou peu avec elles, elles subissent les effets d’une onde qui vont les soulever et les faire redescendre. C’est la succession, la propagation, de ces mouvements – les ondes – qui va donner l’illusion du déplacement. Si l’on pose un objet flottant à la surface de l’eau, il ne suivra pas la direction des vagues, il ne se déplacera pas comme s’il était sous l’influence d’un courant, il semblera faire du sur place. On peut donc dire que les vagues sont sans substance propre, elles sont un phénomène qui se propage de molécule d’eau en molécule d’eau. Mieux, une vague n’apparaît jamais comme un phénomène isolé à la surface d’une mer plate, mais dans un ensemble interdépendant de creux et de crêtes, la houle.
Les vagues présentent donc bien à la fois les deux aspects de l’existence temporaire et de la vacuité et, en même temps, elles sont autre chose, que l’on peut décrire comme un phénomène matériel, énergétique et ondulatoire, ce qui nous ramène à la vérité de la voie du milieu. Il ne s’agit là, bien sûr, que d’une image à partir d’un processus « non-vivant » et purement physique. Nous pouvons ajouter, en ce qui concerne la dépendance qu’évoque Nagarjuna, que les vagues ont principalement pour origine le vent, et faire le parallèle entre la vie humaine et la vague, d’une part, le karma et le vent de l’autre…
Plus haut, nous avons abordé l’inclusion mutuelle des trois vérités. Il s’agit plus exactement de l’unification des trois vérités (jap. enyu no santai) qui consiste à dire que chacune des trois vérités contient en elle les trois. Ainsi, les phénomènes sans existence propre assument-ils une réalité temporaire, les phénomènes qui ont une réalité temporaire sont sans existence propre, cependant leur vraie nature est à la fois ainsi et pas ainsi. Zhiyi a développé cette vue philosophique à partir de la triple vérité et l’a incluse dans la pratique centrale de son école, la triple contemplation de l’unité (isshin sankan), méthode de méditation définie dans la Grande concentration et intuition, qui permet de percevoir l’unité fondamentale des trois vérités en un seul moment de vie. Avec cette méditation, Zhiyi disait une personne capable de se débarrasser des trois catégories d’illusions (illusions de la pensée et du désir, illusions aussi nombreuses que les grains de sable, illusions sur la véritable nature de la vie) et d’acquérir les trois sortes de sagesses en un seul esprit (isshin sanshi) : une personne, par la perception de la vérité de la vacuité, obtient la sagesse des deux véhicules, par la perception de la vérité de l’existence temporaire elle acquiert la sagesse des bodhisattvas et par la perception de la vérité de la voie du milieu elle obtient la sagesse de bouddha.
Selon Nichiren, l’enseignement de Tiantai, énonçant qu’une personne élimine simultanément les trois types d’illusions par la perception des trois vérités parfaitement intégrées en un seul moment de vie signifie qu’en récitant Nam myoho renge kyo, elle manifeste la bouddhéité dans sa vie. Elle parvient à l’état dans lequel les passions obscurcissantes (avidité, illusions, orgueil) se changent en éveil (bonno soku bodai), transformant les trois catégories d’illusions en les trois sortes de sagesse.
Il écrit dans La doctrine de trois mille mondes en un instant de vie – WND 180 :

« Ces doctrines de trois mille mondes en un instant de vie et de la triple contemplation de l’unité sont basées sur les dix modalités, énumérées dans le premier volume du Sûtra du Lotus, dans le passage au cœur duquel sont traités les cent états et mille mondes, et les 3 000 mondes.
En ce qui concerne la triple contemplation de l’unité, les autres écoles du bouddhisme donnent pour équivalent au mot nyoze, le terme d’ainsité, ou ainsi est, mais c’est une erreur, parce qu’il n’est pas tenu compte des deux principes de vacuité et d’existence temporaire. Elles font cette erreur parce qu’elles ne comprennent pas l’interprétation énoncée par Zhiyi et Huisi.
Dans notre école, nous suivons l’interprétation exposée dans les commentaires de Zhiyi, qui donne trois lectures à chacune des dix modalités. Les lire trois fois peut produire de grands bénéfices…
…Ces trois lectures représentent les trois corps du Bouddha, corps du Dharma, corps de la rétribution et corps manifesté, les trois vérités de vacuité, d’existence temporaire et de Voie du Milieu, et les trois vertus propriété du Dharma, de la sagesse et de l’émancipation. »
Ce texte nous permet de comprendre la raison pour laquelle, lors de gongyo, nous récitons trois fois le passage des final du chapitre Hoben (Cho-i cho-o…). Les trois lectures des dix modalités se font selon les trois points de vue de la triple vérité.
Ces trois vérités, contenues implicitement dans le Sûtra du Lotus, selon Nichiren, sont l’expression de ces concepts fondamentaux du bouddhisme en Inde : la vacuité, l’impermanence (skt. anitya), le non-soi (skt. anatman) et la voie du milieu. Elles apparaissent également liées à d’autres concepts dans de nombreux sûtras et font l’objet d’interprétations différentes selon les écoles bouddhiques. À ce sujet, Nichiren nous explique dans Ainsi ai-je entendu – EdN 108) :
« Ceux qui entendent les titres des Sûtras de la Sagesse s’éveillent aux trois enseignements : toute chose est vacuité en elle-même (2), la vérité du milieu est indépendante de la vacuité et de l’existence temporaire (3) et la vérité du milieu est indéfectiblement unie à la vacuité et à l’existence temporaire (4). Ceux qui entendent le titre du Sûtra de la guirlande de fleurs perçoivent l’un ou l’autre des deux derniers enseignements dont je viens de vous parler.
Ceux qui entendent les titres du Sûtra Mahavairochana, des Sûtras Vaipulya et de La sagesse comprennent que toute chose, à l’analyse, se révèle sans substance (5) ou que toute chose est la vacuité en elle-même (2) ; que la vacuité est indépendante de la vérité du milieu et de l’existence temporaire (6) ou que la vacuité est inséparable de la vérité du milieu et de l’existence temporaire (7) ; que la vérité du milieu est indépendante de la vacuité et de l’existence temporaire (3) ou qu’elle est inséparablement unie à elles deux (4). Cependant, ceux qui écoutent les titres de ces sûtras des enseignements provisoires ne sont pas en mesure de s’éveiller au bienfait de l’illumination parfaite provenant des enseignements de l’inclusion mutuelle des dix états, des cent états et milles facteurs, et des trois mille mondes.»

Les origines des trois vérités

Nous pouvons rapprocher le concept des trois vérités de celui des deux réalités (jap. nitai, skt.dvasatya) communes au Theravada et au Mahayana : la réalité absolue (Jap. shogitai, skt paramarthasatya), nature essentielle des phénomènes perçue par les êtres éveillés, et la réalité relative (jap. zokutai, skt samvrtisatya), qui représente la réalité phénoménale provisoire perçue par les êtres ordinaires. La réalité absolue possède des similitudes avec la vérité de la voie du milieu, la réalité relative avec celui de vérité de l’existence temporaire, toutefois l’une comme de l’autre contiennent des aspects de la vacuité.
Historiquement, la voie du milieu (jap. chudo, skt madhyamapratipad) est d’abord présentée comme voie médiane entre l’hédonisme et l’ascèse. Dans le Sûtra de la Mise en route de la roue de la Loi, le tout premier enseignement du Bouddha Shakyamuni à Benares, celui-ci déclare : « Ô moines, voici deux extrêmes qui ne doivent pas être cultivés par un religieux errant. Lesquels ? D’une part, à l’endroit des désirs, l’attachement aux plaisirs qui se rapporte aux désirs… D’autre part l’attachement à la macération de soi-même, douloureuse, indigne et sans profit. Voici, ô moines, également éloigné de ces deux extrêmes, le chemin du milieu découvert par le Tathâgata ».

Plus tard, la voie du milieu prend un sens médian entre nihilisme et éternalisme ou entre l’existence et l’inexistence du soi, toutefois, avec Nagarjuna et l’école Madhyamika, elle semble équivoque, elle peut être confondue avec la vacuité. C’est ce que l’école bouddhique chinoise Tiantai va clarifier en établissant une voie du milieu non plus médiane, mais englobant les deux autres vérités et étant englobée par elle. Les trois s’interpénètrent en devenant réalité ultime. Ainsi, peut-on dire qu’elles sont chacune un reflet de cette réalité ultime, du Dharma.
L’histoire, ou la légende, raconte que Huisi, troisième patriarche de cette école après Nagarjuna, a eu la révélation de la triple vérité par la samadhi du Sûtra du Lotus (jap. horenge zanmai) méthode de méditation sur la base du Sûtra. Mais c’est en fait Zhiyi et plus tard Zhanran qui ont développé cet enseignement. Ils ont notamment classifié de très nombreux concepts du bouddhisme indien à partir des trois points de vue de la triple vérité selon le principe de non-dualité, en japonais funi, qui signifie deux et non deux. Autrement dit l’un, l’autre (puisqu’ils sont deux) et ni l’un ni l’autre mais l’ensemble (puisqu’ils ne sont pas deux). Voici quelques exemples :
– Non-dualité de la vie et de son environnement (esho funi) et non-dualité de soi et des autres (jita funi), dans laquelle soi désigne le Bouddha et « les autres » les simples mortels, par les relations d’interdépendance de la vérité de la vacuité..
– Non-dualité du corps et de l’esprit (shikishin funi).
Voici ce qu’en dit Nichiren dans Sur les dix modalités – WND 179 : « En premier lieu, en ce qui concerne l’apparence, il s’agit de l’apparence qui se manifeste par la forme et le contour de notre corps. Ce qui correspond au corps manifesté de l’Ainsi-venu ainsi qu’à l’émancipation et à la vérité de l’existence temporaire. Ensuite, en ce qui concerne la nature, il s’agit de la nature de notre esprit. Ce qui correspond au corps de récompense de l’Ainsi-venu, ainsi qu’à la sagesse et à la vérité de la vacuité. La troisième modalité est l’entité, laquelle représente les entités de nos propres vies. Ce qui correspond au corps du Dharma de l’Ainsi-venu, ainsi qu’à la vérité de la Voie du Milieu, à la nature essentielle des phénomènes et la tranquille extinction. »
– Non-dualité de l’intérieur et de l’extérieur (jap. naige funi). Celle-ci signifie que l’esprit et le monde phénoménal sont mutuellement inclusifs en vertu des principes d’ichinen sanzen et de l’unification des trois vérités.
– L’identité des passions et de l’illumination (jap. bonno soku bodai). L’identité des souffrances des naissances et morts avec le nirvana (jap. shoju soku nehan). Ainsi que l’explique Nichiren dans L’entité de la loi merveilleuse : « Essentiellement, l’entité de Myoho renge kyo désigne le corps physique que les disciples et adeptes de Nichiren qui croient dans le Sûtra du Lotus ont reçu de leurs père et mère à la naissance. Ces personnes, qui, en rejetant sincèrement les moyens provisoires, ont uniquement foi dans le Sûtra du Lotus et récitent Nam myoho renge kyo, transformeront les trois voies (désirs terrestres, karma et souffrance) en trois vertus (corps du Dharma, corps de la sagesse et corps de l’émancipation). La triple contemplation de l’unité et les trois vérités deviendront immédiatement manifestes dans leur esprit, et le lieu où elles résident se changera en Terre de la lumière éternellement paisible. Le Bouddha, entité de Myoho renge kyo du chapitre Juryô de l’enseignement essentiel, à la fois sujet habitant et domaine habité, vie et environnement, corps et esprit, entité et fonction, le Bouddha éternellement doté des trois corps, désigne les disciples et les adeptes de Nichiren. Ils incarnent la véritable entité de Myoho renge kyo ; tel est le bienfait du Sûtra du Lotus, libérant l’intégralité des pouvoirs transcendantaux qu’ils possèdent de manière inhérente. Il n’y a pas le moindre doute à cet égard. En vérité, il ne faut jamais en douter ! »
Enfin, ces trois vérités sont représentée devant le Gohonzon par les trois offrandes de la bougie, du feuillage et de l’encens.
Vous trouverez dans le tableau en en-tête de la page la plupart des termes et principes qui découlent des trois vérités.

Notes :

1 – Les dharmas sont définis comme tous les phénomènes qui composent le Dharma (jap. Ho, Loi bouddhique). Les trois vérités s’appliquent donc à tous les phénomènes de l’univers : la vie, les être sensitifs et non sensitifs, le Dharma lui-même et jusqu’à l’univers tout entier.
Principaux points de divergence (ou de convergence) entre différentes écoles de l’époque de Nichiren :
2- taiku : toute chose naissant d’une production conditionnée est en elle-même sans substance (ku) (enseignement commun, tsugyo, enseignement du Mahayana provisoire destiné aux disciples des trois véhicules : shravakas, pratyekabuddhas, boddhisattvas)
3 – tanchu : dans l’enseignement spécifique, bekkyo, la voie du milieu (chudo) est une réalité distincte de la vacuité (ku) et de l’existence temporaire (ke).
4 – futanchu : l’enseignement parfait, engyo, établit la relation d’implication réciproque entre la réalité ultime et tous les phénomènes, ainsi que l’unification des trois vérité.
5 – shakku : un point de vue qui soutient que les phénomènes sont sans substance mais composés d’éléments qui existent en eux-mêmes. C’est le contraire du point de vue taiku énoncé plus haut selon lequel toute chose est en elle-même non substantielle. Les enseignements de cette catégorie furent exposés principalement dans les enseignements des Trois corbeilles (Tripitaka), ensemble des sûtras, commentaires et règles canoniques qui servent de base aux écoles du Hinayana.
6 – tanku : un principe exposé également dans l’enseignement Tripitaka (zokyo) qui soutient que la vacuité est la seule réalité et exclut toute autre explication de la réalité par la voie du milieu ou l’existence temporaire. Principe des écoles du « Rien-que-Conscience » tel le Cittamatra fondé par Vasubandhu et son frère Asanga au IVe siècle.
7 – futanku : un point de vue exposé dans l’enseignement commun (tsugyo) selon lequel tout est essentiellement sans substance mais manifeste néanmoins une réalité temporaire (ke), ou aspect phénoménal.