Les 4 vertus des grands Bodhisattvas sortis de la terre

Le XVe chapitre du Sûtra du Lotus, titré “Surgis de terre”, décrit l’apparition d’innombrables bodhisattvas – comme sortis de la terre – qui vont faire le serment de propager la doctrine bouddhique dans la période connue sous le nom de “derniers jours du Dharma”. Il est dit, dans le Sûtra, que cette période, dont le début a été situé par les bouddhistes d’Extrême-Orient vers le Xe siècle de notre ère, verra s’effacer définitivement l’efficience des doctrines de Shakyamuni, devenues inadaptées aux conditions des sociétés et des mentalités. Ces bodhisattvas plus nombreux que les grains de sable de soixante mille Ganges, dit encore le Sûtra, ont à leur tête les quatre grands bodhisattvas suivants :
– Pratiques-Supérieures (skt Vishishtacharitra, jap. Jogyo)
– Pratiques-Sans-Limites (skt Anantacharitra, jap. Muhengyo)
– Pratiques-Pures (skt Vishuddhacharitra, jap. Jyogyo)
– Pratiques-Solidement-Établies (skt Supratishthitacharitra, jap. Anryugyo)

Le Sûtra du Lotus ne s’étend pas sur la personnalité de ces quatre êtres. Cependant, nous l’avons vu par ailleurs dans Dharmadico, les bodhisattvas n’ont pas d’existence avérée, de dimension historique, ils incarnent des qualités, ainsi que les pratiques pour acquérir celles-ci, ou encore, un idéal à atteindre, un exemple à suivre pour tous les pratiquants du bouddhisme. Ils n’apparaissent que dans les textes du Grand véhicule, parfois l’un d’eux n’est cité que dans un seul sûtra, tel Vimalakirti, dans le Sûtra de la Liberté inconcevable, d’autres, par exemple Manjushri, sont récurrents.
Si l’on ignore tout des quatre grands Bodhisattvas, leurs noms nous sont une indication sur leurs vertus respectives. Tao-hsien, de l’école Tiantai, en fait un commentaire que Nichiren reprend dans plusieurs lettres et dans ses cours oraux sur le Sûtra du Lotus transcrits par Nikko Shonin (Ongi Kuden). Voici ce qu’il dit à propos du chapitre XV :
«…En explicitant l’identité des quatre grands Bodhisattvas décrits ici, le volume IX du Supplément aux Mots et phrases du Sûtra du Lotus, à la suite de l’explication donnée dans le volume IX des Mots et phrases, déclare : “Les quatre chefs décrits dans le passage du Sûtra représentent ici les quatre vertus (voir plus loin). Pratiques-Supérieures représente la vertu du vrai soi. Pratiques-Sans-Limites représente la vertu de l’éternité. Pratiques-Pures représente la vertu de la pureté. Pratiques-Solidement-Établies représente la vertu du bonheur”…»
Toujours dans le Ongi Kuden, Nichiren détaille les 4 vertus ainsi :
«…Dépasser les deux types de mort [la naissance et la mort dans les six voies et la naissance et la mort dans les 4 voies saintes] est connu comme les pratiques supérieures. Aller au-delà des deux vues opposées selon lesquelles la vie cesse après une existence ou qu’elle est éternellement la même s’appelle les pratiques sans limites. Surmonter les cinq catégories d’illusions et enchevêtrements est un état désigné comme les pratiques pures. Et être aussi parfait en vertu que [le Bouddha qui a atteint l’illumination sous l’arbre de la bodhi] est un état appelé pratiques solidement établies.
Nichiren et ses disciples, qui chantent maintenant Nam myoho renge kyo, sont tous des adeptes de ces bodhisattvas qui ont émergé de la terre.
Encore une fois, on peut dire que le feu est ce qui brûle les choses [et par conséquent, il correspond aux pratiques supérieures]. L’eau est ce qui purifie les choses [et par conséquent, elle correspond aux pratiques pures]. Le vent est ce qui emporte la poussière et la crasse [et correspond donc aux pratiques sans limites]. La grande terre est ce qui nourrit les plantes et les arbres [et correspond aux pratiques fermement établies]. Ce sont les mérites respectifs des quatre bodhisattvas. Bien que les pratiques de ces quatre bodhisattvas diffèrent les unes des autres, toutes sont la pratique de Myoho renge kyo.»
Nous retrouvons ici les 4 vertus du Bouddha (jap. jo raku ga jo) qui sont donc l’éternité (qui ne connait pas de fin), la joie (de se libérer de l’emprise des souffrances), le vrai soi (de celui qui a trouvé ce qu’il est vraiment) et la pureté (la disparition des passions et des illusions. Elles concernent aussi bien le Bouddha de son vivant que le nirvana qui ne connait pas de fin, qui est calme et apaisement, qui n’a plus de notion individuelle de la personnalité, qui est pureté sans troubles.

Le bouddha vivant est doté de ces quatre vertus (jap. shitoku), que l’on peut décrire ainsi :

  • la permanence ou éternité (jo). La permanence embrasse les trois phases du passé, du présent et du futur et désigne la qualité de ce qui ne connaît pas de fin.
  • le bonheur (raku). Le bonheur est la joie qui découle de la libération de l’emprise de la souffrance et de la satisfaction de goûter le calme et l’apaisement du nirvana.
  • le véritable soi (ga). Le véritable soi est la qualité de celui qui a trouvé ce qu’il est vraiment et s’est donc départi de la notion purement individuelle de la personnalité.
  • la pureté (jo). La pureté représente le dégagement des troubles et souffrances dus aux passions.

Pour le nirvana, ces mêmes vertus peuvent s’interpréter de cette façon :
Celui-ci est atemporel (pérennité), il est sans attachement ni souffrance (bonheur), le moi y est libéré (véritable soi) et il se situe au-delà du bien et du mal parce que les trois sortes d’égarement y sont épuisés (pureté).
Enfin l’antithèse, l’opposé de ces quatre vertus est la quadruple erreur que commet l’homme ordinaire (jap. bompu) : il prend pour éternel ce qui est impermanent, pour du bonheur ce qui n’est que souffrance et attachement, pour des êtres spécifiques ce qui est dépourvu de nature propre et pour pur ce qui est impur.
Nous voyons donc que les quatre bodhisattvas incarnent chacun l’un des quatre aspects de la bouddhéité, ensemble ils réunissent tous les aspects d’un bouddha. Mais n’oublions pas que leurs noms comprend le terme “pratiques”, ce qui va au-delà de vertus acquises. Ces pratiques sont à la fois cause et effet.

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