Trois mille mondes en un instant de vie

Le principe des trois mille mondes en un instant de vie (jap. ichinen-sanzen ; 一念三千) a été établi par Zhiyi dans sa Grande concentration et intuition sur la base de l’expression « la véritable entité de tous les phénomènes » (jap. shoho jisso) du chapitre Moyens opportuns du Sûtra du Lotus qui précède le passage que nous récitons trois fois. Un enseignement capital que Nichiren résume ainsi dans Sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie – WND 178 en citant Zhiyi  : « En ce qui concerne ce qui est présent dans la vie dans un seul instant, si nous n’avions pas employé le concept des dix états, nous serions incapables d’expliquer tout ce qui y est inclus. Si nous n’avions pas employé le concept des trois vérités, nous ne pourrions pas expliquer pleinement le principe qui est à l’œuvre ici. Si nous n’avions pas parlé des dix modalités, nous ne pourrions pas expliquer tous les rouages de cause à effet. Et si nous n’avions pas le concept des trois domaines de l’existence, nous ne pourrions pas couvrir pleinement de la vie et son environnement. »

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Le temple de Guoquing dans la région des monts Tiantai (monts de la Terrasse céleste) en Chine, érigé par l’empereur Yang Guang selon le souhait à titre posthume de Zhiyi en 605. C’est là que Saicho (Dengyo daishi), fondateur de l’école Tendai au Japon, est venu étudier la doctrine de l’école Tiantai et notamment, la doctrine des trois mille mondes.  CC BY-SA 4.0

Ichinen

En japonais, un instant de vie (ichinen) comprend à la fois les sens d’une pensée, d’un esprit, d’un moment et, par extension, d’un moment-pensée (1). Ce terme possède plusieurs significations dans le bouddhisme :
– Un instant ou une période extrêmement courte (
kshana en sanskrit). Le traité de la Grande perfection de la Sagesse définit un kshana comme 1/60 du temps qu’il faut pour se casser un doigt !
– Le fonctionnement de l’esprit sur un instant.
– La concentration de l’esprit dans la méditation sur le Bouddha.
– Zhiyi interprète philosophiquement ichinen dans sa doctrine des trois mille mondes en un instant de vie. Selon lui, ichinen indique l’esprit d’une personne ordinaire, qui, à chaque instant, est dotée du potentiel des trois mille mondes. Les caractéristiques de cet esprit sont les suivantes : il imprègne l’univers entier, il inclut à la fois le corps et l’esprit, il comprend à la fois soi et l’environnement, il crée le bien et le mal et il englobe simultanément la cause et l’effet.
Dans le bouddhisme de Zhiyi, la pratique essentielle est la méditation. Pour schématiser, les trois mille mondes servent de cible à cette méditation. Dans ce sens, par la méditation, l’esprit ou la pensée devient les trois mille mondes et les trois mille mondes deviennent l’esprit.
Nichiren (1222-1282) a concrétisé ce cadre philosophique sous la forme du Gohonzon. Il a établi ainsi un moyen pratique pour les gens ordinaires de manifester leur nature de bouddha à travers les dix mondes de leur propre vie. Il a remplacé la méditation et les autres pratiques par la récitation de Nam myoho renge kyo devant le Gohonzon. Dans La doctrine des trois mille monde en un instant de vie – WND 180, il explique : « Le fait est que la méditation sur Trois mille mondes en un instant de vie et la méthode de méditation connue comme la triple contemplation de l’unité sont contenues dans les cinq caractères Myoho Renge Kyo. Ces cinq caractères figurent également dans la vie ordinaire de chacun de nous. Ainsi, ce commentaire sur Zhiyi affirme : « Myoho Renge Kyo représente la profondeur du grenier secret de l’état originel, l’illumination atteinte par l’Ainsi-venu des trois phases de l’existence ». »
Réciter Nam myoho renge kyo devant le Gohonzon, qui représente notre état de Bouddha, c’est donc illuminer de son pouvoir l’ensemble des trois mille mondes.

Sanzen

Les trois mille mondes (sanzen) indiquent, selon Zhiyi, l’ensemble des phénomènes qui caractérisent la réalité les trois domaines d’existence, les dix états de vie et les dix modalités de la vie. Le premier terme représente les êtres sensitifs dans leur environnement, le deuxième décrit les états que ceux-ci ressentent physiquement et mentalement, le troisième nous montre les mécanismes qui les animent dans leurs relations avec l’extérieur.
Le nombre de trois mille provient du calcul suivant : 10 (dix états) × 10 (dix états) × 10 (dix modalités) × 3 (trois domaines d’existence). Pourquoi dix fois dix états ? En ce qui concerne ces états, à travers lesquels la vie se manifeste, on considère que chacun d’eux possède potentiellement en lui-même les dix états, ce que l’on définit par l’expression « inclusion mutuelle des dix états ». En effet, dans l’instant, l’un des dix états est apparent, tandis que les autres paraissent absents. Mais l’instant d’après, n’importe lequel des dix états peut apparaître. Ainsi, passons-nous instantanément de la colère, au bonheur temporaire, à la tranquillité, etc. Les états non présents ne sont donc pas considérés comme inexistants, ils sont à l’état latent et inclus dans celui des dix qui est manifeste. Ces cent mondes formés par les dix états mutuellement inclus se multiplient donc aux trois domaines d’existence, ainsi qu’aux dix modalités pour former les trois mille mondes (
2).
L’enseignement théorique (première moitié) du Sûtra du Lotus, qui expose les dix modalités de la vie, affirme la possibilité d’atteindre la bouddhéité pour les personnes des deux véhicules (auditeurs, skt
shravaka, et bouddhas-pour-soi, skt pratyekabuddha), ce qui découle de la possession mutuelle des dix mondes. L’enseignement essentiel (l’autre moitié) du Sûtra révèle la véritable cause (les neuf états éternels), l’effet vrai (la bouddhéité éternelle) et la terre vraie (la terre éternelle ou domaine de l’environnement). Zhiyi a donc unifié tous ces concepts dans un seul système, trois mille mondes en un seul instant de la vie.

Ichinen sanzen

Cette expression décrit la vie comme un tout indivisible qui comprend le corps et l’esprit, la cause et l’effet, et le domaine du sensitif et du non-sensitif. La relation entre ses deux termes est telle que chacun est inclus dans l’autre. En fait, ils sont, comme l’a dit Zhiyi, « deux [dans les apparences] mais pas deux [en substance] ». Certains enseignements provisoires ont pu déclarer que tous les phénomènes proviennent de l’esprit, ou qu’ils sont subordonnés à l’esprit. En fait, le Sûtra du Lotus précise que le véritable aspect est inséparable de tous les phénomènes, et que tous les phénomènes, tels qu’ils le sont, sont en eux-mêmes le véritable aspect.
L’instantanéité des trois mille mondes nous amène à quelques considérations. Il n’y a pas de mouvement possible, donc d’action, dans la durée d’un instant. Pourtant, nous le verrons par la suite, les dix modalités exposent « l’influence » ainsi que « l’effet manifeste » qui doit se produire ultérieurement, parfois dans un futur lointain. Il n’y a pourtant pas là de contradiction avec l’instantanéité. Parmi les dix états de vie, neuf ne sont pas réellement présents dans l’instant. Pourtant, ils sont considérés comme latents et pris en compte.
Le principe des trois mille mondes en un instant de vie est divisé en principe théorique et forme de réalisation effective de ce principe, lesquels sont respectivement appelés les trois mille mondes théoriques en un instant de vie et les trois mille mondes réels en un instant de vie. Le premier est basé sur l’enseignement théorique du Sûtra du Lotus, qui expose l’égalité de la bouddhéité et des neuf premiers états – les deux étant des manifestations du véritable aspect. Il révèle également l’inclusion mutuelle des dix mondes – du fait que les personnes des deux véhicules, privées d’une bouddhéité potentielle dans les enseignements provisoires, ont accès à l’état de bouddha.

La réalisation effective du principe théorique

En dépit de sa vision globale, l’enseignement essentiel du Sûtra du Lotus ne révèle pas la pratique qui permet d’incarner directement le principe de trois mille mondes en un instant de vie. Il ne précise pas ce qu’est la Loi, pourtant au centre de son contenu. Voilà pourquoi Nichiren a incarné sa vie embrassant les trois mille mondes en un instant dans le Gohonzon et a établi la pratique pour atteindre la bouddhéité, la récitation de Nam myoho renge kyo avec la foi dans le Gohonzon. Dans l’enseignement de Nichiren, ceci représente la pratique pour « observer l’esprit », à savoir, observer son esprit et voir la bouddhéité en lui. Pour cette raison, son enseignement est résumé par la phrase « embrasser le Gohonzon est en soi observer l’esprit » ou « embrasser le Gohonzon est en soi atteindre la bouddhéité. »
Il déclare dans sa Réponse à Kyo’o – EdN 45 : « C’est ma propre vie à moi, Nichiren, qui devient l’encre sumi avec laquelle je calligraphie le Gohonzon.Vous devez donc croire au Gohonzon de tout votre cœur. La volonté du Bouddha est le
Sûtra du Lotus, mais l’âme de Nichiren n’est autre que Nam myoho renge kyo ».

Notes :

1 – L’instant est considéré comme l’équivalent pour le temps de ce qu’est le point pour l’espace.
2 – En ce qui concerne les trois domaines de différentiation et les dix états de vie, Zhiyi déclare précisément dans la Grande concentration et intuition : « Ainsi qu’il est dit dans le
Sûtra de la guirlande de fleurs, « Comme un peintre habile, l’esprit crée la myriade [de manifestations] des cinq agrégats (skandha). Tout au long de tous les royaumes [de l’univers], il n’y a rien qui ne soit produit à partir de l’esprit ». [L’expression] Innombrables manifestations des cinq agrégats se réfère à [l’idée que] les cinq agrégats [comprennent] le royaume dix états de vie, comme décrit ci-dessus. »
Plus loin, dans le même texte, il associe chacun des trois domaines de l’existence aux dix états de vie, puis il ajoute : « Ces trente types de mondes-domaines proviennent tous l’esprit. En outre, les dix [manifestations différentes] des cinq agrégats comprennent chacun dix constituants dharmiques qui se composent ainsi : forme, nature, substance, pouvoir, action, cause tangible, influences auxiliaires, effet, rétribution, puis du début et à la fin ultime… »
Enfin, pour arriver au chiffre de trois mille mondes, il explique : « Chaque dharma-royaume, d’ailleurs, contient tous les dix dharma-domaines à l’intérieur, faisant une centaine de dharma-royaumes. Chaque royaume, à son tour, comprend les trente sortes de monde-royaume. Par conséquent, les cent dharma-sphères comprennent ensemble trois mille monde. Ces trois mille [mondes] sont présents dans un seul instant de la pensée. »

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