Les dix états de vie

Voici un concept familier à ceux qui s’intéressent au bouddhisme de Nichiren ou de l’école Tiantai. Il est largement traité dans les sites indiqués dans les sources de ce blog, aussi nous n’en verrons qu’une brève description, pour nous intéresser à ses origines et à ce qu’il implique concrètement.

La théorie des dix états de vie est l’une des trois parties du système des trois mille mondes. Le terme japonais qui désigne ces états, jikkai, signifie dix éléments, domaines ou dimensions. On le constate, le mot kai possède des sens très différents, tout comme le mot sanskrit dhatu, dont il est la traduction (1). Les Anglo-Saxons utilisent utilisent le mot « world » (monde) et les Français « état de vie ».

Ces dix états sont donc les suivants :
– l’enfer (jap. jikoku-kai) état de souffrance, de désespoir ;
– l’avidité (jap. gaki-kai) état dominé par le désir et l’insatisfaction ;
– l’animalité (jap. chikusho-kai) état soumis aux comportements instinctifs ou aux besoins immédiats ;
– la colère (jap. shura-kai) la colère, la jalousie ou le besoin de domination ;
– l’humanité (jap. nin-kai) l’état naturel de l’homme, caractérisé par la capacité de raisonner ;
– le bonheur temporaire (jap. ten-kai) la joie, le bonheur temporaire ;
– l’état d’étude (jap. shomon-kai) l’aspiration à l’éveil par l’écoute et la recherche des enseignements ;
– l’éveil personnel (jap. engaku-kai) capacité à percevoir par soi-même l’aspect réel de la vie ;
– l’état de bodhisattva (jap. bosatsu-kai) le désir d’œuvrer au bonheur d’autrui en dépassant ses égoïsmes ;
– l’état de bouddha (jap. bukkai) état de plénitude, de parfaite liberté et de sagesse, dans lequel tout (y compris les inévitables épreuves de la vie) peut être vécu comme une possibilité de joie et d’accomplissement.

Les origines du concept

Les dix états n’apparaissent pas sous la forme d’une liste telle que nous la connaissons aujourd’hui avant que Zhiyi ne les expose dans la Grande concentration et intuition (2). Cependant, on les trouvent déjà inclus dans une énumération du chapitre XIX du Sûtra du Lotus, à propos des voix que pourront entendre ceux qui purifieront leurs oreilles en acceptant ce Sûtra : « …les voix des êtres célestes… les voix des asuras… les voix de ceux qui sont en enfer, les voix des bêtes féroces, les voix des démons affamés, les voix des moines, les voix des nonnes, les voix des auditeurs, les voix des bouddhas-pour-soi, les voix des bodhisattvas, les voix des bouddhas… »
Les six premiers états
sont antérieurs au bouddhisme (3). Ils sont issus de la cosmologie indienne qui décrit l’univers comme un ensemble de continents séparés par des océans et composés de couches plates successives (des mondes) souterraines et aériennes. Notre continent, le Jambudvipa, avait sous lui des enfers et, entre les deux, dans un « ailleurs hypothétique » se trouvaient le monde des esprits affamés et des asuras. Au dessus, supportés par le mont Sumeru ou Meru, se trouvaient un certain nombre de cieux. Dans les textes bouddhiques, les six premiers mondes sont également décrits en parallèle dans le monde des trois plans traités par ailleurs dans ce blog. Ces six mondes bouddhiques (4) sont du plus bas au plus haut :
– Les enfers (skt naraka, jap. jigoku). Huit enfers glacés, huit enfers brûlants, des enfers périphériques
ou éphémères, soit dix-huit enfers souterrains dans lesquels les êtres subissent tous les tourments possibles sur des périodes de temps plus ou moins longues. Ce sont les fautes graves qu’ils ont commises dans les vies antérieures qui ont conduit « leurs habitants » à y renaître.
– le monde des esprits avides (skt pretaloka, jap. gaki). Trente-six contrées souterraines selon la tradition. Les esprits ou spectres qui les hantent, les preta, subissent constamment la faim, la soif, toutes les sortes de désirs, en même temps que les douleurs engendrées par la satisfaction de ces désirs, ainsi que des maux multiples. Ce sont une avarice et une avidité extrêmes qui conduisent dans ses mondes les êtres après leur mort.
– le monde animal (skt tiryak, jap. chikusho). Contrairement aux deux premiers mondes, ceux qui y vivent, les animaux, partagent le même espace que nous. Ils mènent une vie soumise à l’inquiétude, la nécessité, le danger permanent et l’instinct.
– le monde des titans ou asura (skt asura, jap. ashura). Ces êtres forts, intelligents et belliqueux vivent dans des grottes, au pied du Kalpavrikshade, l’arbre géant qui dresse sa cime jusque dans les royaumes divins et dont les fruits exaucent tous les souhaits. S’ils mènent une existence agréable, ils n’ont pas la possibilité de goûter à ces fruits que se réservent les dieux qui peuplent les cieux. Rongés par la jalousie, la colère et la frustration, ils luttent contre ceux-ci pour prendre possession des sommets du Kalpavrikshade et finissent toujours par être vaincus.
– l’humanité (skt manusya, jap. ningai). La condition de l’homme, la plus souhaitable, selon le bouddhisme, parce que les souffrances y sont assez fortes pour susciter le désir de libération sans priver l’esprit de sa faculté de réflexion. Si les êtres humains y connaissent les huit souffrances, ils sont capables d’entendre et de comprendre les enseignements du Bouddha.
– le domaine des dieux (skt
deva, jap. tennin). Le plus agréable des six mondes, fruit du bon karma de ses habitants, qui s’étend sur vingt-sept niveaux ou cieux. On trouve entre autres, au « premier étage », les quatre grands rois du ciel figurant aux quatre coins du Gohonzon et, au sixième, règne Vasavartin, le roi-démon-du-sixième ciel. Si dans ces cieux, les habitants mènent une vie joyeuse et d’une durée considérable, ils ne sont pas immortels, ni préservés d’une chute vers les états inférieurs dans leurs existences suivantes. Ils ont un karma comme toutes les autres forment de vie.

 

kailashtibet

Le mont Kailash au Tibet, identifié par la tradition indienne au mont Sumeru ou Meru. Il est désigné comme le centre de notre monde, ou continent de Jambudvipa, et vénéré à ce titre par les hindous, jaïns, böns et bouddhistes de certaines écoles.
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Des esprits simples pouvaient croire, autrefois, à six univers séparés, d’autres interprétaient ceux-ci comme six formes d’existences (animaux, végétaux, esprits enfermés dans la pierre, être en souffrance, humains, etc.) situées dans la réalité de notre monde, mais tous admettaient que c’était le karma de renaissance qui y conduisait et pensaient qu’ils ne pouvaient s’en échapper que par la mort et la renaissance en s’efforçant de ne pas commettre d’actes négatifs pour pouvoir évoluer vers les mondes supérieurs. Cette conception passive de la transformation du karma est propre à certains courants hindouistes, ainsi qu’au bouddhisme Theravada, ce qu’illustrent ces répliques de Nagasena dans Les Questions de Milinda : « L’effort présent, maharaja, est inopérant : c’est l’effort passé qui est efficace… »
Dans le
Sûtra du Lotus, il en va autrement, la fille du roi-dragon (skt Nagakanya, jap. Ryunyo), qui représente à la fois la nature féminine, l’enfance et l’animalité des nagas, atteint immédiatement l’illumination en écoutant le Bouddha. Ainsi, sur la base de cet enseignement, nous voyons que nous ne sommes pas prisonniers d’un état toute une vie, mais seulement l’espace d’un instant. L’instant d’après, n’importe lequel des dix états peut lui succéder selon le mécanisme des dix modalités de la vie, en particulier celui de la loi de causalité. C’est ce qu’implique la théorie des trois mille mondes en un instant de vie.

Les quatre nobles voies

Les quatre derniers états, qu’on pourrait définir comme les plus élevés ou les plus nobles – étude, éveil personnel, bodhisattva et bouddha –, ne sont pas présentés dans les textes du bouddhisme ancien sous la forme d’états de vie temporaires et accessibles à tous. Ils y figurent à travers les êtres qui décident de dépasser l’incertitude des six premières voies, de se libérer de leurs désirs terrestres et leur karma et d’agir positivement sur leur environnement et leur entourage : les disciples de Shakyamuni, les sages qui recherchent le Dharma par une démarche personnelle, les bodhisattvas et enfin les bouddhas. Zhiyi a donc pris ces êtres éclairés comme modèles pour les états de vie suivants :
– l’état d’étude (skt shravaka, jap. shomon). Il est représenté par ceux qui écoutent et cherchent à comprendre les enseignements du bouddha, shravaka ayant pour sens « qui écoute la voix ». Shariputra, le plus proche disciple de Shakyamuni, en est en quelque sorte l’archétype, mais tous les autres membres de la sangha, communauté qui entourait celui-ci, peuvent être considérés comme des auditeurs. Il s’agit là évidemment de l’étude des enseignements du Bouddha ou encore du Dharma et non pas l’étude dans son sens profane, telle celle d’une langue étrangère, des mathématiques ou même de la physique fondamentale…
l’état d’éveil personnel (skt pratyekabuddha, jap. engaku). Le terme sanskrit a pour sens « indépendamment éveillé » ou « individuellement éclairé ». Dans les premières traductions chinoises des textes bouddhiques, il apparaît avec le sens de « éveillé à la cause », ce qui implique une perception éclairée de la loi de cause à effet. Le Compendium de la doctrine Mahayana de Jingying Huiyuan (523-592), décrit le pratyekabuddha à la fois comme celui qui s’éveille au principe de l’origine interdépendante et celui qui s’éveille à la vérité par l’observation des phénomènes naturels tels que la dispersion des fleurs, le cycle des saisons, etc. Dans les Mots et phrases du Sûtra du Lotus, Zhiyi distingue également deux types d’éveils pour pratyekabuddha : l’éveil personnel (jap. dokkaku) et l’éveil à la loi de causalité (jap. engaku). Le premier sens peut s’appliquer dans les périodes durant lesquelles les enseignements du bouddha ne sont pas apparues ou ont été perdues ou encore les pays qui n’en ont pas connaissance.
Certains textes bouddhiques décrivent les pratyekabuddha comme des ermites, des chercheurs solitaires, incapables d’enseigner la Voie aux autres parce qu’ils ne sont pas pourvu d’une profonde bienveillance pour autrui, tandis que d’autres, comme, par exemple, les Jakatas, contes et récits sur les vies antérieures du Bouddha, affirment qu’ ils peuvent enseigner le Dharma dans les périodes pré-bouddhiques.
Pour ce qui concerne cet état proprement dit, il est la condition de la vie dans laquelle nous percevons la fugacité de la vie dans les six voies et essayons de nous en libérer en cherchant la vérité éternelle par nos propres efforts et non l’étude ou l’application d’une doctrine.
– l’état de bodhisattva (5) est une condition de la compassion dans laquelle nous aspirons en même temps à notre propre illumination et à celle des autres, même si cela exige des sacrifices personnels. Il est caractérisé par l’altruisme, la mise en sommeil de notre égocentrisme, ainsi que par des actions motivées par les liens profonds qui nous unissent avec les autres êtres. Nichiren déclare (EdN 39) que « Même un brigand sans cœur aime sa femme et ses enfants. Il a lui aussi une part de l’état de bodhisattva en lui.  »
Après avoir décrit cet état de vie en quelques lignes, voyons les personnages qui ont servi de modèles à Zhiyi. Dans de nombreux sûtras et commentaires apparaissent les bodhisattvas (Avalokiteshvara, Maitreya, Manjushri, Vimalakirti, etc.). Ceux-ci peuvent même en être le personnage central, comme Vimalakirti, le bodhisattva éponyme du texte sous-titré Sûtra de la liberté inconcevable. Ils sont toujours décrits comme des êtres exceptionnels, de grande vertu, capables de prodiges défiant les lois de la physique, parfois dotés de pouvoir équivalents aux bouddhas, comme nous pouvons le voir dans le Sûtra du Lotus qui en présente toute une galerie dans les derniers chapitres (6). Au vu de leurs prouesses, il est évident que ces personnages n’ont aucune réalité historique. Si les textes leur attribuent un passé, celui-ci est tout aussi merveilleux et irrationnel que leurs talents. Ils sont donc d’une nature bien différente de celles des disciples du Bouddha, des représentants de l’état d’étude ou du Bouddha lui-même dont on connaît par la tradition des détails de leur vie, leurs familles et leur mort. Le bodhisattva est, en fait, un modèle du pratiquant idéal créé par la tradition mahayaniste, un modèle qui a par ailleurs été défini selon plusieurs listes : dix étapes, quatre vœux, 52 niveaux d’éveil, dix vœux, etc.
Arrêtons-nous sur les quatre vœux issues des sûtras indiens et repris ainsi par Zhiyi dans la Grande concentration et intuition :
faire parvenir l’infinité des êtres à l’Éveil ;
trancher les innombrables passions ;
maîtriser tous les enseignements du Bouddha ;
attester de la prééminence de la Voie bouddhique.
Dans une version ultérieure qui s’est élargi à d’autres écoles du Mahayana, ces vœux ont pris cette forme :
– p
uissé-je libérer tous les êtres de leurs difficultés ;
puissé-je éradiquer toutes les passions ;
puissé-je maîtriser tous les dharmas ;
puissé-je conduire tous les êtres à la bouddhéité.
Dans ces deux versions figurent des aspects altruistes et personnels et l’étude de la philosophie bouddhique y est placé sur le même plan que la pratique (trancher ou éradiquer les passions). Nous voyons donc que la notion personnifiée du bodhisattva a un sens plus large que lorsqu’il s’agit de l’état de bodhisattva seulement tourné vers les autres. D’une certaine manière, elle englobe les auditeurs et les pratyekabuddha.
– l’état de bouddha. Il ne faut pas confondre état de bouddha et bouddhéité. Le premier est l’un des dix états ; à ce titre, il comprend les dix états et tous les dix états le contiennent, ce qui explique que nous pouvons le faire apparaître momentanément dans notre vie par la pratique du bouddhisme, sans être nous-mêmes un bouddha. La bouddhéité qualifie celui qui est parvenu à l’Éveil ou l’illumination et a développé les trois vertus du bouddha. Il existe des degrés à l’Éveil, depuis des Éveils partiels qui désignent la compréhension d’une phrase ou d’un enseignement du Bouddha par un auditeur, ou encore la sagesse acquise par les pratyekabuddhas et bodhisattvas, jusqu’à l’état définitif, parfait, insurpassable et sans régression, en sanskrit anuttara samyak sambodhi, dans lequel le karma a été totalement effacé. Il existe de nombreuses listes sur les vertus, qualités et pouvoirs du bouddha, qui pourraient éventuellement s’appliquer instantanément à l’état de bouddha.Voici ce qu’en dit Nichiren dans la Conversation entre un sage et un ignorantEdN 13 :
« Myoho renge kyo est la nature de bouddha de tous les êtres vivants. La nature de bouddha est la nature du Dharma et la nature du Dharma est l’illumination. La nature de bouddha de Shakyamuni, de Maints-Trésors et des bouddhas des dix directions ; de Pratiques-Supérieures, de Pratiques-Sans-Limites et des autres bodhisattvas sortis de la terre ; de Sagesse-Universelle, de Manjusri, de Shariputra, de Maudgalyayana et des autres ; du grand roi Brahma et du dieu Shakra ; des dieux du soleil et de la lune, de l’étoile du matin, des sept étoiles de la Grande Ourse dans le ciel du nord, des vingt-huit constellations et des innombrables autres étoiles ; des divinités célestes, des divinités terrestres, des dieux du dragon, des huit sortes d’êtres non-humains, et des êtres humains et célestes réunis dans la grande assemblée pour entendre l’enseignement du Bouddha ; du roi Yama — en bref, depuis tous les êtres vivants du domaine au-dessus des nuages qui est au-delà de la pensée et de la non-pensée, jusqu’à ceux qui sont au plus profond de l’enfer — la nature de bouddha de tous ces êtres a pour nom Myoho renge kyo. Par conséquent, si vous prononcez une seule fois ces mots du Daimoku, alors la nature de bouddha de tous les êtres vivants sera appelée à vous rejoindre. À ce moment-là, les Trois Corps de la nature du Dharma [que vous possédez] en vous — le Corps du Dharma, le Corps de rétribution et le Corps de manifestation — jailliront et deviendront manifestes. À titre d’illustration, quand un oiseau en cage chante, les nombreux oiseaux du ciel se rassemblent tous immédiatement autour de lui ; voyant cela, l’oiseau qui est dans la cage s’efforce de sortir. »
L‘origine des dix états nous éclaire en partie sur le fait que ces états de vie par lesquels nous pouvons passer d’un instant (ou d’un monde) au suivant ne sont pas seulement un état psychologique. Ils englobent à la fois le physique, le sensoriel et l’intellect de l’être, ainsi que son environnement sensitif et non-sensitif, puisque cet état s’exerce sur les trois domaines de l’existence, parmi lesquels se trouvent les cinq agrégats. Sans entrer dans les détails, nous savons tous qu’une maladie qui affecte le corps atteint aussi l’esprit et, à l’inverse, qu’un état de stress, de désespoir peut déclencher des troubles physiques sévères. De même, une personne déprimée peut se couper de ses amis, négliger son travail, son environnement immédiat et nous voyons comment l’avidité de l’homme a profondément nuit à notre planète et continue à la détruire, alors qu’il ne cesse d’élargir le champ de ses connaissances.
Parmi les explications que donne Zhiyi op. cit.
, en voici une qui nous ramène aux cinq agrégats : « Les trois royaumes inférieurs [enfer, preta et animal] représentent les manifestations maléfiques des agrégats et du champs des six sens. Les trois royaumes sains [humain, colère et ciel] sont de bonnes manifestations des agrégats et du champs des six sens. Les deux véhicules [étude et éveil personnel] représentent les manifestations des agrégats et du champs des six sens exempts d’impuretés… » (7) D’une certaine manière, c’est un effet passé qui nous a amené à l’état présent et une cause présente qui nous amènera au suivant, cependant ce mécanisme est plus particulièrement décrit dans la troisième partie du concept des trois mille mondes, celui des dix modalités de la vie.

Inclusion mutuelle des dix états (jap. jikkai gogu)

Dans l’objet de vénération pour observer l’esprit – EdN 39, Nichiren Daishonin cite ainsi Zhiyi :
« La vie à chaque instant comporte les dix états. En même temps, chacun des dix états est doté des dix états, de sorte que la vie possède effectivement une centaine d‘états. Chacun de ces états possède à son tour trente mondes, ce qui signifie que dans les cent états, il y a trois mille mondes. Les trois mille domaines d’existence appartiennent tous à la vie à chaque instant. S’il n’y a pas de vie, inutile d’aller plus loin. Mais la plus infime parcelle de vie contient l’ensemble des trois mille domaines…Voilà ce que nous voulons dire quand nous parlons de la région de l’insondable ciel. »
L’inclusion mutuelle ne signifie en aucun cas qu’un état de vie apparent puisse posséder en lui un autre état qui fasse sentir si peu que ce soit son influence. Un état se manifeste toujours seul dans l’instant présent. Nous pouvons parfois nous sentir dans des « états mitigés » où animalité et bonheur temporaire, bodhisattva et colère, avidité et enfer, paraissent se mêler. C’est la succession des instants, et donc des états dans chaque instant qui passe, qui produit cette illusion, tel un film, en apparence animé, composé de 25 images fixes par secondes qui pourtant restitue le mouvement.
Le bouddhisme parle d’inclusion des états pour expliquer le fait qu’un état non apparent sur l’instant puisse se manifester l’instant d’après sous l’influence d’une condition dans le mécanisme des dix modalités de la vie. Dans la philosophie bouddhique, rien ne vient du néant. Ce qui n’était pas présent et qui se manifeste, la vie naissante par exemple, était auparavant en état de latence, de vacuité (skt
sunyata, jap. ku). Ainsi en est-il des dix états. Un seul est présent dans l’instant, pourtant l’instant d’après, n’importe lequel des dix peut apparaître. Nous disons qu’ils sont en état de vacuité, virtuellement inclus dans celui des dix états apparents.
Pour en revenir aux trois domaines de l’existence, ceux-ci impliquent que les dix états ne s’exercent pas seulement sur les cinq agrégats, mais également sur l’environnement vivant et non vivant. Mais puisque, parmi ceux-ci, se trouve l’état de bouddha, peut-on dire que les plantes, les pierres, l’air puisse manifester cet état ? C’est ce qu’affirme Nichiren en évoquant le Gohonzon
op. cit. : « Si un morceau de bois ou de papier ne possédait pas la cause et l’effet dans son aspect matériel et spirituel, il serait vain de s’y fier comme objet de vénération ». Citant Zhanran, il ajoute : « Une plante, un arbre, un caillou, un grain de poussière : tout cela a la nature de bouddha et est doté de la cause et de l’effet, ainsi que de la fonction de la manifester et de la sagesse qui permet de s’éveiller à la nature de bouddha. »
Nous avons vu qu’il existait des degrés à certains états ou personnes représentant ces états – 18 enfers, 36 mondes des esprits avides, 27 cieux. Il en est de même pour les bodhisattvas avec 40 à 52 étapes (selon les traditions), les bouddhas, les bouddhas-pour-soi et notre expérience de la vie nous a appris qu’il y avait des degrés au désir, à l’animalité, la colère ou même à l’étude. Ces constatations seraient-elles l’indice que les chiffres dix pour les états de vie, cent pour l’inclusion de ces états et trois mille pour les trois mille mondes ne sont pas une réalité mais un symbole ? Zhiyi ne les aurait-il pas choisis pour rendre accessible à notre compréhension limitée la complexité infinie des circonstances ou conditions de la vie ?

  Notes :

1 – Nous retrouvons ces deux termes, entre autres, dans les dix-huit éléments (skt astadasa dhatu, jap. juhachikai ) note 6 des Trois domaines de l’existence ou encore dans le concept de réalité ultime absolue (skt dharmadathu, jap. hokkai).
2 – Zhiyi utilise fréquemment l’expression dix dharma-royaumes pour désigner les états de vie. Il en tire trois sens : le nombre dix est le modificateur, le dharma-royaume est l’objet qui est modifié, la jonction de l’objet et du modificateur produisent les dix dharma-royaumes. Ce qui nous ramène aux trois vérités selon lesquelles s’il y a modificateur, les dix états sont sans substance (vacuité), si l’état peut être modifié, il a une existence temporaire et l’interpénétration des deux est le résultat de la voie du milieu.
3 – Les emprunts du bouddhisme aux religions et philosophies qui l’ont précédé ont été fréquents. Si, parmi les théories qui existaient à son époque, Shakyamuni a rejeté la notion d’âme (skt
atman), il a repris un certain nombre de concepts, tels les 5 agrégats, le karma, le cycle des naissances et des morts (samsara), etc., pour leur donner un sens souvent bien différent.
4 – En sanskrit, sadgati qui signifie six conditions, destinées, vies futures. Le japonais rokudo se traduit par six voies.
5 – Bodhisattva, signifie en sanskrit « éveil et être ». Il désigne donc, dans le bouddhisme ancien, une personne proche de l’Éveil.
6Les bodhisattvas Effort-constant, Jamais-méprisant, Roi-de-la médecine, Son-merveilleux, Sensible-aux-sons-du -monde, Merveilleux-ornement et Sagesse-universelle
7 – Animalité, avidité (preta), ainsi que la colère sont associées aux trois poisons (skt trivisha, jap. sandoku). L’animalité c’est le poison de l’ignorance (skt avidya) et l’avidité celui de la soif, la convoitise ou l’avidité (skt raga) voir l’origine interdépendante. L’état de colère (skt dvesa) s’exprime par la haine, l’aversion et la colère. Ce sont les sources principales de la souffrance.


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