Le monde des trois plans

Issu de la cosmologie indienne, le système des trois plans (1) décrit six classes d’êtres, entraînés dans le cycle des existences successives à travers naissances et morts, regroupés sur trois plans ou en trois mondes qui ont, pour certains, une localisation tandis que d’autres semblent hors de toute dimension réelle. Ces trois plans sont le plan du désir, le plan de la forme, le plan du sans-forme.

Le plan du désir (skt kamadhatu) comprend les êtres qui peuplent les enfers, les esprits affamés (preta), les animaux, les asuras, les êtres humains et ceux qui vivent dans les six premiers cieux (la partie inférieure du royaume des êtres célestes) tels les Quatre Grands Rois du ciel, que nous trouvons inscrits sur le Gohonzon, ou encore Yama. Dans le plus élevé de ces cieux vit Mara (ou Roi-Démon du Sixième Ciel) dont on dit qu’il cherche à détourner les humains du Dharma en les maintenant dans 1eur asservissement au plaisir, à l’envie – la soif (skt trsna) – à toutes les formes d’appropriation et à 1’espoir de réalisation de vœux éphémères.
– Le plan de la forme (skt
rupadhatu) (2) peut être divisé en 16, 17 ou 18 cieux selon les textes. Il est habité par des divinités (3) exemptes de désirs, d’appétits. Celles-ci possèdent une forme physique et sont encore soumises à certaines restrictions matérielles, toutefois, elles ne connaissent pas la douleur physique ou mentale.
– Le plan du sans-forme (skt
arupadhatu) désigne des êtres – immatériels, donc – qui évoluent dans quatre mondes qui n’ont pas une dimension réelle, mais plutôt spirituelle : celui où tout est sans substance (vacuité), celui où il n’y a que la conscience, celui où rien n’existe et celui où il n’y a ni pensée ni absence de pensée. Ces êtres n’éprouvent ni plaisir ni douleur physique ou mentale

Nous le constatons, les trois plans correspondent partiellement aux six voies ou destinées de la cosmologie indienne, elles-mêmes reprises par Zyiyi pour les six premiers des dix états de vie, ce qui correspond aux six classes d’êtres mentionnés plus haut. Cependant, nous pouvons considérer le monde des trois plans selon deux points de vue différents. Le premier, celui de l’hindouisme, est une description symbolique de l’univers cosmique, le second, le point de vue bouddhique, décrit des états de vie ainsi que des degrés de sagesse et d’éveil.
Dans le premier cas, nous retrouvons un empilement de monde avec, à la base, 18 enfers, au sommet, une vingtaine de cieux peuplés de divinités et, entre les deux, animaux, esprits affamés, asura et humains.
Dans le second, le plan du désir est considéré comme une illustration des six premiers états de vie. Les deux autres plans (forme et non-forme) correspondent à des graduations des états de bonheur temporaire, d’étude et d’éveil personnel (
4). Si les bouddhas y sont absents, les arhats (5) peuvent y résider. Certaines écoles bouddhiques associent les plans de la forme et du sans-forme à des étapes de la méditation. Zhiyi déclare dans la Grande concentration et intuition : « Puis on s’exerce à la concentration méditative. On calme les formations mentales dues aux désirs qui provoquent la distraction et on atteint le chemin de la méditation sur le plan de la forme et du sans-forme… On entre donc dans les quatre méditations de base dans le plan de la forme pure et, au-delà, dans le plan du sans-forme. »

Dans la doctrine de Nichiren, les méthodes de méditation de l’école Tiantai, de même que les pratiques des autres courants bouddhiques, sont incluses dans la récitation de Nam myoho renge kyo. Il n’y a plus de graduations dans les niveaux de compréhension, de maîtrise de soi, de sagacité ou de pureté. Seule compte la pureté et la force de la croyance dans le Sûtra du Lotus, en Nam myoho renge kyo. Dès lors, le monde des trois plans n’est plus l’illustration d’une Voie menant à l’éveil.
Ainsi Nichiren écrit-il dans
Sur l’atteinte de la bouddhéité en cette vie – EdN 1 :« Il est dit dans le Sūtra de Vimalakirti que, lorsque l’on recherche dans l’esprit des êtres vivants la délivrance obtenue par les bouddhas, on découvre que la vie de ces êtres est en elle-même l’illumination et que le cycle des naissances et des morts est le nirvana. Il y est dit aussi que, si l’esprit des êtres vivants est impur, leur terre aussi est impure, mais que, si leur esprit est pur, leur terre l’est également. Il n’y a pas de terre pure ou impure en soi. La différence réside seulement dans le bien ou le mal à l’intérieur de notre esprit. »
Dans
Conversation entre un sage et un ignorant – EdN 13, il évoque ainsi le monde des trois plans : « C’est vraiment triste ! Vraiment douloureux ! Depuis le passé sans commencement, nous nous enivrons avec le vin de l’ignorance, renaissant encore et encore dans les six voies de l’existence, soumis aux quatre modes de naissance. Tantôt nous suffoquons au milieu des flammes de l’enfer brûlant ou de l’enfer de la grande chaleur (6) ; tantôt nous gelons dans l’enfer froid du lotus cramoisi ou dans l’enfer froid du grand lotus cramoisi (7). Tantôt nous devons endurer la faim et la soif qui tourmentent ceux qui sont dans le monde des esprits affamés et qui, durant cinq cents vies, n’entendent jamais ni le mot « nourriture » ni le mot « boisson ». Tantôt nous éprouvons la souffrance d’être blessés et tués dans le monde des animaux, où les petits sont dévorés par les gros, et les courts engloutis par les longs. Tantôt nous sommes confrontés aux disputes et querelles dans le monde des asura ; tantôt nous naissons en tant qu’êtres humains et endurons les huit souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie, de la mort, la douleur d’être séparés des êtres chers, de rencontrer ceux que nous détestons, de ne pas obtenir ce que nous désirons, ainsi que la douleur provenant des cinq agrégats du corps et de l’esprit. Ou alors nous naissons dans le monde des cieux et sommes confrontés aux cinq signes de dégradation (8).
Nous tournons et retournons ainsi comme une roue de charrette dans le monde des trois plans. »

Ici, les trois plans ne désignent plus que le samsara, notre monde, qui entraîne tous les êtres à travers le cycle des naissances et des morts. La référence à une roue de charrette est une illustration très claire à la souffrance (skt dukkha) qui caractérise ce cycle. En effet, dans dukkha le préfixe duḥ indique ce qui est mauvais ou incorrect et la racine kha désigne un trou, plus particulièrement celui où se place l’axe d’une roue. Duḥkha désigne donc une roue qui tourne mal, qui est décentrée.
Pour Nichiren, il n’existe pas d’au-delà ni d’autres plans hors de notre monde. Aussi, ses enseignements s’opposent-ils aux courants bouddhiques qui ont repris la notion d’âme transmigrant d’un corps à un autre, à ceux prônant l’existence d’autres Terres comme celle du Bouddha Amida ou même à un nirvana situé au-delà de notre réalité. Ainsi a-t-il inscrit sur le Gohonzon « 
shoji soku nehan » pour affirmer l’identité du nirvana et du cycle du samsara.

Notes

1 – En français monde des trois plans, trois sphères ou encore trois mondes (jap. sankai, skt tridhatu, triloka ou encore trailokya). Il est difficile de donner une traduction précise au terme sanskrit dhatu, pour tridhatu, utilisé dans de nombreux concepts bouddhiques ou hindouistes dans des sens divers. Il semble toutefois décrire un ensemble fini lui-même englobé dans un autre ensemble. Le monde des trois plans a été assimilé à la fois par le bouddhisme, le jaïnisme et le sikhisme.
2 –
Rupa, la forme, est un terme que nous retrouvons pour désigner l’agrégat de la forme (voir les cinq agrégats) ou encore dans le quatrième maillon de l’origine interdépendante. Il s’agit du même concept.
3 – Le terme divinité correspond ici à celui de deva.
4 – En ce qui concerne les bodhisattvas, il est dit qu’avant leur retour parmi les humains, ils renaissent dans le quatrième ciel du plan du désir (skt Tushita). Il est également expliqué par ailleurs que, parmi les êtres qui vont accéder au plan du sans-forme, certains choisissent de revenir chez les humains pour les guider sur la voie de l’éveil. Nous voyons que, dans tous les cas, la place que le bouddhisme attribue aux bodhisattvas se trouve dans notre monde de saha.
5 – Arhat ou arhant. Ce terme sanskrit, signifiant méritant, désigne une personne qui a atteint le plus haut des quatre stades accessibles aux auditeurs (skt
shravaka). Le bouddhisme chinois l’interprète de différentes façons : celui qui n’a plus rien à apprendre, ce qui signifie que l’arhat est arrivé au terme de son apprentissage et de sa pratique, le destructeur des bandits, pour montrer que l’arhat a repoussé les « bandits » que sont les illusions de la pensée et du désir, ou encore celui qui ne renaîtra pas, parce qu’il s’est libéré de la transmigration dans les six voies. Nous pouvons y ajouter « digne d’offrandes », une expression qui figure parmi les dix titres honorifiques d’un Bouddha. L’arhat peut être synonyme de Bouddha dans la tradition hinayana. Dans les textes du Mahayana, plus tardifs, il ne décrit plus qu’une étape intermédiaire sur la voie de l’Éveil, liée à la condition monastique. C’est le bodhisattva plongé dans les réalité du monde laïque qui représente désormais l’idéal du pratiquant.
6 – Les 6e et 7e plus terribles des enfers brûlants (skt
Tapana et Pratapana).
7 – Les deux plus froids des enfers glacés (skt
Padma et Mahapadma).
8 – Cinq marques de désintégration qui concernent uniquement les êtres célestes. Elles apparaissent lorsque l’un d’entre eux est proche de la mort. Elles sont diversement décrites selon les textes. Dans l’une des versions du Sûtra du Nirvana, ce sont : ses vêtements deviennent sales, les fleurs sur sa tête se fanent, son corps sent mauvais et devient sale, il transpire sous les aisselles, où qu’il se trouve, il est malheureux.

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