Les trois domaines de l’existence

Issu du concept des trois mille mondes en un instant de vie de Zhiyi, les trois domaines d’existence (jap. san seken) décrivent la vie dans le monde réel (skt loka) selon trois points de vue différents : ce qui constitue un être vivant, celui-ci dans son entourage sensitif et son environnement dans le monde réel (1). Ce sont le domaine des cinq agrégats, le domaine de l’être vivant et le domaine de l’environnement qui, tous trois, dans le système des trois mille mondes, manifestent le même état de vie à un instant donné dans le temps. En japonais, san signifie trois et seken (littéralement l’espace monde/société) possède plusieurs sens, dont le monde, la société, les gens, la sphère des relations humaines. Dans cette langue il désigne plus précisément le contenu du monde (les groupes d’humains et leurs relations) que le contenant, le monde lui-même. Il est généralement traduit en français par « trois domaines de l’existence ».

Les cinq agrégats (jap. go’on, skt pancha skandha).

Le bouddhisme considère que l’être vivant est constitué de l’assemblage temporaire et en constante évolution de cinq fonctions ou éléments, l’un physique et les quatre autres mentaux, ce sont les cinq agrégats : la forme, la perception, la conception, la volition et la conscience. Ce terme existait dans le langage courant à l’époque de Shakyamuni, avec le sens de tas, empilement, amas, mais c’est le Bouddha qui lui a donné sa valeur philosophique. Il a exposé les cinq agrégats dans ses deux premiers discours après avoir atteint l’illumination à Sarnath (2). Une abondante littérature bouddhique leur est consacrée, aussi bien des sûtras traduisant la parole du Bouddha que des commentaires comme le Traité sur les cinq agrégats de Vasubandhu (3).
L’agrégat de la forme (jap. shiki, skt rupa, concept d’origine hindouiste) comprend le corps physique et toutes ses manifestations. Il ne se limite pas à la forme proprement dite. Il représente tout ce qui, chez un être, appartient aux quatre éléments, terre, air, eau et feu (la température du corps représente le feu ; la voix et la respiration représentent l’air ; le sang et les humeurs l’eau ; la chair la terre, etc.) ainsi que, par extension, les cinq organes des sens à travers lesquels nous percevons le monde extérieur et nous agissons : l’œil et la vue, le nez et l’odorat, l’oreille et l’ouïe, la langue et le goût, la surface du corps pour le toucher.
L’agrégat de la perception (jap. ju, skt vedana ) est la fonction de recevoir les informations extérieures par les organes des sens et de les ressentir – ou les classer – comme agréables, désagréables ou neutres. Nichiren dit à ce sujet : « …On comprend que quelque chose est chaud ou froid, mais on n’a pas encore conçu le désir… » (4)
L’agrégat de la conception (jap. so, skt samjna) ou représentation mentale est la fonction d’identification, de reconnaissance ou de découverte de ce à quoi nous sommes mis en présence (objet, personne, environnement). À partir de ses attributs, par exemple son odeur, sa couleur, sa voix, etc., nous nous en formons une idée, un concept, sans avoir encore une opinion ou une décision à prendre à son sujet.
L’agrégat de la volition (jap. gyo, skt samskara) est décrit de façon très diverse, peut-être parce qu’il conserve une part du concept hindouiste dont il est issu. En premier lieu, il exprime l’intention, la volonté d’action ou de réaction au contact d’un objet, d’un être, d’un phénomène (le prendre, l’utiliser, le rejeter, s’en éloigner, le détruire, etc.). Il se compose de six groupes de volitions (skt cetana) qui correspondent aux cinq formes, aux objets des cinq sens et aux six premières consciences (voir plus loin). Vasubandhu le définit comme l’intention, l’impulsion innée, l’ensemble des phénomènes mentaux qui accompagnent la conscience. Par exemple : l’aspiration, la foi, l’attachement, les jugements, les opinions, etc.
Cet agrégat est également un composant essentiel de notre tempérament, notre personnalité, nos tendances. À un niveau plus profond, il est l’expression de notre karma qui dirige nos actions de façon favorable, défavorable ou neutre. En même temps, il provoque la création de nouvelles causes karmiques à travers le mécanisme des dix modalités, c’est pourquoi on l’appelle aussi l’agrégat des formations karmiques. Pour autant, il ne faut pas l’interpréter comme un concept déterministe. S’il nous incite ou nous prédispose à agir selon nos tendances karmiques, la décision de nos actes revient à l’agrégat suivant, celui de la conscience.
L’agrégat des consciences (jap. shiki, skt vijnana) réunit les informations de tous les autres agrégats. Il est la conscience discriminante, celle qui crée des valeurs, la source du mental et de la pensée. Dans Le cycle de la vie, Daisaku Ikeda écrit à ce sujet : « Dans le bouddhisme, le mot conscience est la traduction du sanskrit vijnana, qui signifie faculté de discernement, de compréhension et de perception… On entend généralement par conscience un état particulier, la faculté de penser ou l’état d’éveil ordinaire. Mais ici, le mot « conscience » a un sens différent. Dans le bouddhisme, la conscience implique une capacité ou une énergie en action, que l’on soit conscient ou non. »
Cet agrégat est lui-même composé de neuf niveaux, ce sont les neuf consciences (5). Les cinq premières sont liées à l’agrégat de la forme, plus exactement aux cinq organes des sens dont elles constituent le prolongement mental. Ce sont les consciences de la vue (skt caksur-vijnana), de l’ouïe (skt srotra-vijnana), de l’odorat (skt ghrana-vijnana), du goût (skt jihva-vijnana) et du toucher (skt kaya-vijnana). Pour la sixième, la conscience mentale (skt mano-vijnana), il existe deux interprétations qui peuvent d’ailleurs se compléter : une conscience coordinatrice reliée aux cinq précédentes, réalisant une sorte de synthèse cohérente de celles-ci (6) ou bien une conscience ne dépendant pas des sens, mais ayant pour objet l’observation de phénomènes mentaux à travers la réflexion.
Les trois dernières consciences sont la conscience individuelle (skt mano-vijnana), la conscience réceptacle (skt alaya-vijnana) et enfin la conscience pure (skt amala-vijnana), le terme mano-vijnana étant le même pour les sixième et septième consciences. À la différence des agrégats des perception, conception et volition, ainsi que des six premières consciences, celles-ci ne sont pas tournées vers le monde extérieur. Leur nature est intérieure et purement mentale.
La conscience individuelle correspond à l’idée que nous nous faisons communément de la conscience ou du conscient ; faculté de réflexion, de discernement, de jugement, de décision, capacité de faire la distinction entre le bien et le mal, etc. L’ignorance de la vraie nature de la vie (jap. mumyo, skt avidya), l’attachement à un ego indépendant, un moi absolu, ou encore la croyance en une âme éternelle proviennent de celle-ci. Elle a, en effet, tendance à se fonder sur une conception fixe, isolée et unique de la huitième conscience, alors que celle-ci est en état de flux permanent et que nos vies, en interaction constante, exercent des influences réciproques profondes les unes sur les autres ainsi qu’avec notre environnement.
La conscience alaya, la huitième, réside dans ce que la psychologie appelle l’inconscient, tout en allant au-delà du champ de la science. Les expériences de vie actuelles et passées – globalement appelées karma – y sont stockées. Elle reçoit les effets des causes positives et négatives et les conserve en tant que potentiel karmique ou « semences » qui conduiront ensuite l’être constitué des cinq agrégats vers des expériences et des situations agréables ou douloureuses, le bonheur ou la souffrance. Dans Trente versets de la pensée unique (Trimsika), Vasubandhu explique que ce n’est pas l’acte, mais l’intention le motivant, qui crée le karma. Par intention, il faut comprendre l’agrégat de la volition et d’autres facteurs de désir, de volonté d’agir, etc. L’énergie engendrée par cette intention (à travers l’agrégat de la volition) ne se résorbe pas dans l’accomplissement de l’acte, elle va s’inscrire dans la huitième conscience. C’est cette conscience, chargée du karma, qui entraîne la neuvième conscience dans le cycle des naissances et des morts (skt samsara), la maintient dans l’illusion sur le véritable aspect de la vie et l’empêche de s’exprimer dans toute sa potentialité.
Cette neuvième conscience est appelée amala ce qui signifie en sanskrit « pur » parce que cette conscience demeure pure, indépendamment du karma accumulé. Daisaku Ikeda la décrit ainsi, op. cit. :
« La neuvième conscience est en soi la réalité ultime de toutes choses et équivaut à la nature de bouddha universelle. Le bouddhisme explique que nous pouvons changer notre karma le plus profond en faisant apparaître les facultés inhérentes à notre propre vie, plutôt que grâce à l’aide d’un dieu extérieur.
La conscience amala est la force de vie pure, le pouvoir de vivre, et représente l’énergie pour une vie meilleure. C’est le grand soi qui œuvre au bonheur de tous. Le pouvoir de rendre tous les êtres humains absolument heureux est la fonction du bouddha. C’est pourquoi la neuvième conscience est connue sous le nom de « conscience du bouddha ». On l’appelle aussi la nature du Dharma, parce qu’elle correspond à l’illumination potentielle présente en chaque être. »
Dans Le recueil des enseignements oraux (OTT p. 23), à propos du deuxième chapitre du Sûtra du Lotus, Nichiren déclare : « Myoho Renge Kyo représente la neuvième conscience, tandis que les dix états de vie représentent les huit premiers niveaux de conscience. »
Nous avons vu que skandha signifiait « pile » ou « tas » en sanskrit. C’est en quelque sorte ce que les agrégats représentent, une superposition de cinq « couches », depuis la surface du corps et du domaine neurosensoriel, jusqu’au plus profond de la conscience et de l’inconscient. Comme l’explique Nichiren (7)  : « Le volume V de la Grande concentration et intuition, citant un commentaire doctrinal, déclare que la conscience effectue d’abord le processus de discernement ou de discrimination, ensuite, la perception saisit une chose, la conception forme une image de la chose, la volonté décide d’accepter ou rejeter la chose et la forme répond à la décision de la volonté ».
L’échange entre les différents agrégats ne suit pas toujours leur « ordre d’empilement ». Il existe entre eux des imbrications ou des relations croisées, comme entre la volition et la huitième conscience ou encore la forme et les six premières consciences. Ces interrelations complexes sont à l’origine de la notion bouddhique de non-dualité du corps et de l’esprit. D’autre part, à l’instar de nombreux principes bouddhiques, selon le contexte, les agrégats peuvent posséder plusieurs sens comme pour le champ des six sens ou et la relation entre la volition et la huitième conscience. Il en est de même dans le cycle des douze liens de la coproduction conditionnée (8).
Si les cinq agrégats forment l’être vivant, si, comme nous le verrons, ils « habitent » en quelque sorte le domaine des êtres vivants qui, lui-même, habite le domaine de l’environnement, nous pouvons nous poser cette question à leur sujet : par qui sont-ils eux-mêmes habités ? Ce n’est pas par la huitième ou la neuvième conscience, qui restent des éléments temporaires – quoiqu’essentiels à la vie –, au même titre que les autres agrégats. La réponse nous est fournie par la parabole du char, utilisée par la nonne bouddhiste Vajira dans le Samyutta-nikaya, ainsi que par le moine Nagasena pour répondre au roi Ménandre Ier dans les Questions de Milinda (Milindapañha). Ces textes prennent pour exemple un char. Elles expriment l’idée que celui-ci est composé de pièces, un timon, un essieu, des roues, une caisse, etc. et qu’il est impossible de le définir dans l’absolu, sans faire référence à ces pièces. La nonne Vajira le déclare : « De même que la combinaison des pièces donne lieu au mot « char » de même l’existence des agrégats donne lieu à la convention d’être vivant. » Nagasena fait remarquer au roi Milinda que, faute d’être identifiable par lui-même, le char n’est qu’un mot que l’on emploie pour désigner un assemblage d’éléments, comme on s’accorde à dire « être vivant » à partir des agrégats. Que l’on démonte entièrement le char et il n’existe plus. Nous pouvons en conclure que dans la réalité, il n’y a pas de char et pas plus d’être vivant, et pourtant ils existent !
Vasubandhu écrit également : « Pourquoi appelle-t-on cela domaine ? Parce qu’il y a saisie des caractéristiques propres aux phénomènes bien qu’il n’existe pas d’acteur. » Autrement dit, les 5 agrégats paraissent être un domaine vide d’occupant, un assemblage provisoire « vide » d’une substance, de la notion d’âme éternelle hindouiste, l’atman.
Cette notion d’une âme ou d’une entité immuable, le Mahayana et la plupart des écoles bouddhistes l’ont toujours rejetée. D’une part parce qu’il n’existe qu’un seul monde, le monde réel, et que rien ne peut exister au-delà, d’autre part en référence à cet autre point de vue du bouddhisme, la triple vérité (jap. santai) de la vacuité, du caractère temporaire et de la voie du milieu. La vérité de la vacuité signifie que les phénomènes n’ont pas d’existence propre ; leur vraie nature est non substantielle, indéfinissable en termes d’existence ou de l’inexistence. La vérité de l’existence temporaire signifie que, bien que non substantielle, toute chose possède une réalité temporaire en constante évolution. La vérité de la Voie du Milieu signifie que la vraie nature des phénomènes n’est ni vacuité ni temporaire, bien qu’ils affichent les attributs des deux. La Voie du Milieu est l’essence des choses qui se perpétue à travers un état manifeste ou latent. Ainsi en est-il des cinq agrégats comme de tous les phénomènes composés.
Les cinq agrégats nous amènent également à la notion bouddhique de phénomènes composés (skt samskrtadharma, jap. ui) et incomposés (skt asamskrtadharma, jap. mui). Les premiers sont les choses ou substances qui dépendent des causes et effets. Ils se définissent par ces quatre caractéristiques : naissance, destruction, durée et impermanence. C’est donc le cas des cinq agrégats, à l’exception de huitième et neuvième consciences, et de ce qui est du domaine de l’aspect réel des phénomènes que perçoit le bouddha.

Le domaine des êtres vivants (jap. shujo)

Shujo est la traduction du terme sanskrit sattva signifiant « vivant ». Ce domaine est celui de l’être individuel formé de l’union temporaire des cinq agrégats qui manifeste ou éprouve l’un des dix mondes. Ce domaine se réfère non plus à un assemblage, mais à la personne comme un tout. Cependant, aucun être n’existant dans l’isolement le plus parfait, le sens de ce terme est étendu au corps collectif des êtres qui interagissent les uns avec les autres. Vivant ne signifie pas uniquement humain, mais concerne toutes les formes de vie, microorganismes, végétaux, animaux, etc. Dans le cas de celles qui sont dépourvues de certains agrégats (conscience et organes des sens) on peut dire que ceux-ci sont à l’état latent.
Nous pouvons, par ailleurs, remarquer l’importance qu’accorde le bouddhisme aux processus de la perception et aux relations de l’être vivant avec son environnement. La biologie nous l’a révélé sous son aspect matériel, chimique et parfois physique : la perception c’est la vie. Elle est présente même dans ses formes les plus simples comme le virus ou la bactérie. Sans cette perception, la vie ne peut ni se nourrir, ni se défendre, ni se reproduire. Elle ne peut exister.

Le domaine de l’environnement (jap. kokudo)

En sanskrit, kshetra, terre, région, domaine d’action, lieu sacré, mot que l’on retrouve par exemple dans le terme buddha-kshetra, terre de bouddha. C’est le lieu ou le terrain qu’habitent les êtres vivants et où ils mènent leurs activités.
Selon l’antique cosmologie indienne, en dehors de notre monde, il en existait un grand nombre d’autres – dont le ciel ou l’enfer –, où les êtres transmigraient et renaissaient en fonction de leur karma, appelés les six mondes ou les six voies (9). Cette vision pluraliste peut être interprétée comme une allégorie sur l’impact de l’état de vie de l’être humain sur sa perception de son environnement. Mais même ainsi, elle appelle plusieurs remarques : chacun de ses différents mondes est clos, il n’est possible de s’en échapper pour des mondes meilleurs que par la mort, après de nombreux cycles d’existence, et l’état de vie y est le même pour tous ces occupants parce qu’il est imposé par l’environnement lui-même. Elle est, en fait, le reflet de la pensée hindouiste selon laquelle la transformation du karma est un processus qui nécessite de très nombreuses vies.
En revanche, selon le concept des trois mille mondes de Zhiyi, il n’existe pas d’autre monde que le nôtre, celui de Saha. Notre ressenti physique et moral n’est pas fonction d’un univers particulier, mais des dix états de vie par lesquels nous pouvons passer instantanément. Le lieu où nous vivons est donc défini par le domaine de l’environnement qui devient le reflet de notre état de vie intérieur et non plus l’inverse. En conséquence, comme nous le constatons tous les jours en regardant les personnes qui nous entourent, ce domaine de l’environnement n’impose pas uniformément l’un des dix états à tous ses habitants – de même que la collectivité n’impose pas un état identique pour tous ses membres. Et c’est ce qui fait que nous pouvons avoir sur les autres une influence positive ou négative, leur apporter du bonheur ou du malheur, les aider, être nous-mêmes encouragés, les faire changer ou changer nous-mêmes d’état de vie à leur contact.
Mais comment expliquer qu’un même environnement puisse manifester des états de vie différents à ses différents habitants ? Dans Sur l’atteinte de la bouddhéité dans cette vie – EdN 1, Nichiren nous explique : « Il est dit dans le Sûtra de Vimalakirti que, si l’esprit des êtres vivants est impur, leur terre aussi est impure, mais que si leur esprit est pur, leur terre l’est également. Il n’y a pas de terre pure ou impure en soi. La différence réside seulement dans le bien ou le mal à l’intérieur de notre esprit. »
Notre état de vie sous ses aspects physiques, mentaux, relationnels, environnementaux dépend donc de nous, de notre conscience profonde. De même que les cinq agrégats ne peuvent être isolés les uns des autres, les trois domaines ne doivent pas être considérées indépendamment, mais comme des aspects d’un tout intégré, qui manifeste dans un instant l’un des dix états de vie. Tel est le sens de la non-dualité de soi et de l’environnement.

Notes :

1 – Dans la Grande concentration et intuition (jap. Makashikan), Zhiyi (voir Zhiyi et Tiantai) reprend le principe des trois domaines d’existence, exposé dans le Traité de la grande vertu de la sagesse (voir Nagarjuna).
2 – Ce sont le Sûtra de la mise en mouvement de la roue du dharma et le Sûtra sur les caractéristiques du non-soi. Dans le premier, Shakyamuni déclare : « La naissance est souffrance, vieillir est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont souffrance, être uni avec ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, les cinq agrégats de l’attachement sont souffrance. » Dans le second il décrit les cinq agrégats, comme des phénomènes composés, changeants, impermanents, sujets à la destruction, donc sens substance propre. Les interpréter comme un moi inaltérable et s’y attacher, aussi bien au sujet de soi-même que des autres, ne peut qu’engendrer la souffrance.
3 – Vasubandhu (IVe-Ve siècle), souvent cité par Nichiren, est le fondateur de l’autre grande école du Mahayana, le Cittamatra (Rien-que-conscience). Ses écrits, notamment l’Abhidharmakosa, ont exercé une grande influence en Chine et au Thibet.
4 – Sur le principe des trois mille mondes en un instant de vie (Ichinen sanzen riji) – WND 178.
5 – Les écoles bouddhiques sont unanimes en ce qui concerne les cinq premières consciences liées aux cinq sens, pour la suite, nous trouvons différentes versions : de six consciences pour les écoles anciennes, à huit et neuf pour des courants plus modernes du Mahayana indien, version qui sera reprise par l’école Tiantai.
6 – Le processus sensoriel comprend les six premières consciences, les cinq organes – ou facultés sensorielles – plus le mental et les six objets perçus ou sources. Pour ces derniers, il s’agit pas exactement d’un objet extérieur à nous, mais de ce qui permet de le distinguer, ses caractéristiques olfactives, visuelles, tactiles, auditives, gustatives et mentales. Par exemple : couleur, texture, luminosité, goût, taille, son humain, animal, bruit naturel, etc.
On appelle ce processus sensoriel le champ des six sens. Dans celui-ci, les organes, consciences et objets forment un ensemble de 18, les 18 dhatus (terme sanskrit signifiant élément). À travers l’agrégat de la perception, l’expérience du contact étant agréable, désagréable ou neutre, nous obtenons 18 x 3 = 54 types de sensations, lesquelles sont physiques ou mentales, ce qui fait donc : 54 x 2 = 108. Et 108 est le nombre des perles de la boucle du chapelet bouddhique. Elles symbolisent les 108 sensations qui nous tiennent attachés au monde de l’illusion fondamentale ; les quatre plus petites qui leur sont ajoutées représentant les quatre grands bodhisattvas sortis de la terre
7 – Op. Cit.
8 – On les trouve alors sous l’expression « le nom et la forme » (skt namarupa ; rupa pour forme et nama pour nom qui représente les quatre autres agrégats) attachée à la croyance illusoire en l’existence du « soi », du petit ego. Selon le mécanisme des douze liens de la coproduction conditionnée (skt nidanas), le karma, créé dans le passé par notre ignorance et l’agrégat des volitions (samskara), provoque la « renaissance » de la conscience (vijnana). De cette renaissance découle la formation des 5 agrégats (namarupa), qui créent le champ des six sens, ce qui entraîne l’établissement d’un contact avec les objets ou les êtres environnants. À ce contact, l’agrégat de la perception (vedana) va réagir par l’attirance, la répulsion ou l’indifférence. Cette réaction va se prolonger par le désir (ou l’aversion) et, en conséquence, par l’attachement à l’existence et à la renaissance pour poursuivre le cycle des naissances, vieillesses et morts.
9 – Les six mondes (jap. rokudo, skt sad jagati), six destinées ou encore roue de l’existence:
– les enfers (18 types d’enfer empilés sous la surface de la Terre, brûlants, glacés, éphémères, aux rigueurs en fonction des fautes commises par leurs habitants),
– le monde des esprits affamés, les pretas, localisé sous le mont Meru,
– le monde des animaux, qu’ils partagent avec nous, c’est donc moins un lieu qu’un état,
– le monde des asuras (situé dans des grottes et peuplé de titans querelleurs, jaloux, ambitieux et en lutte perpétuelle),
– notre monde, le monde Saha, ce qui signifie endurance, souffrance,
– les cieux ou mondes des dieux ;
Ainsi, en fonction de son karma renaît-on sous forme d’animal, de preta, d’asura, d’être céleste, etc. dans le monde correspondant.
Ce sont ces six mondes qui, dans le concept des dix états de vie, deviennent les six premiers états (enfer, avidité, animalité, colère, humanité et bonheur temporaire) tandis que les quatre nobles mondes, la voie des auditeurs, des bouddhas-pour-soi, des bodhisattvas et des bouddhas représentent les quatre états supérieurs (étude, éveil pour soi, bodhisattva et bouddha).

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