Les quatre nobles vérités

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Statue de Shakyamuni délivrant son premier sermon au parc des gazelles à Sarnath, Varanasi. Le Bouddha est assis dans la position du Lotus (Padmasana), sa main droite tourne le Dharmachakra, la roue du Dharma. Il est entouré de ses cinq premiers disciples. Statue exposée au musée du Prince de Galles à Mumbai. Photo AKS.9955 CC BY-SA 4.0

La tradition bouddhique rapporte qu’à 29 ans, le futur Bouddha Gautama, prince du clan des Shakya couvé et protégé depuis sa naissance par ses parents, décida un jour de sortir hors de l’enceinte du palais où il vivait. Sa promenade dans les rues de la ville l’amena à des rencontres qui le troublèrent : celles d’un vieillard, un malade, un cadavre que l’on emportait au bûcher et enfin un ermite. Cette découverte d’aspects affligeants de la condition humaine et l’espoir d’un moyen d’y échapper lui fit prendre conscience qu’il avait vécu jusque-là dans l’illusion. Tel semble être le point de départ historique du bouddhisme : la constatation, par son fondateur, des souffrances inhérentes à la vie et sa décision d’y trouver un remède à l’exemple de l’ermite qu’il avait aperçu. Ce fut, d’ailleurs, lorsqu’il atteignit l’Éveil six ans plus tard au parc des gazelles de Sârnâth, le sujet de son premier sermon (1), les quatre nobles vérités, qu’il reprit par la suite dans d’autres sûtras. Ces quatre vérités (skt catvari aryasatyani) sont les suivantes :
– La vérité de la souffrance (skt duhkhasatya)
La vérité sur l’origine de la souffrance (skt duhkhasamudayasatya)
La vérité de la cessation de la souffrance (skt nirodhasatya)
La vérité de la voie qui mène à la cessation de la souffrance (skt margasatya).

La souffrance

Voici ce que déclare le Bouddha dans son premier sermon : « Ceci, ô moines, est la noble vérité sur la souffrance : la naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont souffrance, être uni à ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime ou qui plaît est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance, les cinq agrégats de l’attachement sont souffrance. »
Il décrit ici les huit souffrances (jap. hakku), que l’on classe généralement en deux catégories. Les quatre premières, naissance (2), vieillesse, maladie et mort représentent les quatre souffrances fondamentales, celles qu’éprouvent tous les être vivants, humains ou non-humains. Elles n’épargnent personne, pas même ceux qui vivent dans la sécurité et le confort de pays à l’écart de la guerre et de la misère, qui jouissent du pouvoir, la fortune, l’admiration ou la célébrité. Elles sont la condition même de l’existence.
Être uni à ce (ou ceux) que l’on n’aime pas, être privé de ce (ou ceux) que l’on aime, ne pas obtenir ce que l’on désire, les cinq agrégats de l’attachement (3) représentent les quatre souffrances complémentaires. Elles concernent plus spécifiquement l’être humain dans son rapport émotionnel avec son environnement sociale.
Le mot sanskrit Duhkha, que l’on traduit communément en français par souffrance, possède – c’est souvent le cas pour les termes sanskrits – de multiples sens : souffrance, insatisfaction, imperfection, désagréable, ne tournant pas rond comme une roue désaxée, etc. On peut également dire qu’il couvre tous ces sens à la fois.

L’origine de la souffrance

Après ces constatations, Shakyamuni décrit les causes et raisons de la souffrance : « …la noble vérité sur l’origine de la souffrance est la soif qui produit la renaissance, qui est liée à une avidité passionnée et trouve un nouveau plaisir ici ou là. C’est-à-dire la soif des plaisirs des sens, celle de l’existence et du devenir et celle de la non-existence. » ibid.
La soif (skt trsna), un terme que l’on retrouve dans les huit nidana, va au-delà du désir ou de l’envie, puisqu’elle a également le sens de besoin. C’est cette soif qui entraîne notre attachement à la vie et provoque ainsi l’existence future et la naissance pour aboutir à la souffrance du vieillissement et de la mort. Elle concerne le plaisir matériel, sensuel ou physique, mais également la foi en une âme éternelle ou, au contraire, le refus de l’éternité de la vie.
La souffrance est liée à l’impermanence (4). Les objets (ou les sujets) de notre désir et notre plaisir, nos sentiments, nos émotions changent avec le temps et selon les circonstances. Ils s’amenuisent, s’échappent peu à peu ou encore disparaissent brutalement. Pour remédier à cela, nous pouvons changer d’objet, de partenaire, d’environnement, mais le processus d’usure et d’effacement recommence, encore et encore, nous empêchant de parvenir à un bonheur véritable.
Nous le constatons, le bouddhisme ne considère pas la souffrance comme une chose extérieure à l’être humain, qui lui serait arbitrairement imposée par une autorité supérieure ou la malveillance de son entourage, mais bien comme le résultat de ses actions, de sa façon de penser et d’appréhender ce qui l’entoure.

La cessation de la souffrance

« …la noble vérité sur la cessation de la souffrance, c’est la cessation complète de cette soif, l’abandonner, y renoncer, s’en libérer et s’en détacher » ibid.
Certaines écoles bouddhiques interprètent cette noble vérité au premier degré. Il s’agit de ne plus souffrir en éliminant tout désir, même et surtout le désir de renaître, puisque c’est la soif  et l’attachement qui sont à l’origine de la souffrance. D’autres écoles, dont celles issues des enseignements de Nichiren, semblent remonter plus loin que l’attachement dans la chaîne des douze nidanas. L’attachement étant la conséquence de l’ignorance fondamentale, c’est en vainquant celle-ci que nous pourrons parvenir à l’Éveil. Mesurer son attachement, transformer son échelle des valeurs, changer sa foi en sagesse (jap. isshin daie) et faire sa révolution humaine selon la Soka Gakkai. Quoi qu’il en soit, le but ultime, dans le premier cas est l’extinction dans le nirvana, dans le second, c’est l’atteinte de la bouddhéité sans changer d’apparence (jap. sokushin jobutsu) dans ce monde et non un au-delà. Mais ne serait-ce pas une même réalité considérée depuis deux points de vue différents ?

La voie vers la cessation de la souffrance

Voici la méthode que préconise le Bouddha pour se libérer de la souffrance : « C’est la noble voie octuple (5) : la vue juste, la pensée juste, la parole juste, l’action juste, le moyen d’existence juste, l’effort juste, l’attention juste, le recueillement juste » ibid.
Dans l’optique des enseignements du Théravada et d’une grande partie des écoles Mahayana, les deux premières voies représentent la pratique de la sagesse intuitive (skt prajana) par l’étude et l’enseignement du bouddhisme (entre autres), les trois suivantes sont celle de la vertu (skt sila) par l’observation des préceptes (ne pas tuer, ni voler, etc.) et de règles de vie strictes, les trois dernières celle du recueillement méditatif (skt samadhi).

Les quatre vérités à la lumière du Sûtra du Lotus

On peut considérer les quatre nobles vérités comme un concept fondamental de la philosophique bouddhique ; au sens propre comme au figuré, puisque qu’elles en constituent à la fois la base, la source, l’inspiration et l’origine. En particulier les deux premières qui se présentent comme des constats. Les autres pourraient paraître en opposition avec la pensée du Bouddha dans ses enseignements ultérieurs s’il n’avait expliqué dans le Sûtra aux sens infinis, introductif au Sûtra du Lotus :
« 
Hommes de bien, au début, j’ai prêché les quatre nobles vérités à l’intention de ceux qui voulaient devenir auditeurs (6), et cependant, huit millions d’êtres célestes sont descendus pour écouter la Loi et ont conçu le désir de l‘illumination. Dans la période intermédiaire, j’ai exposé en divers endroits l’enseignement profond de la chaîne des douze de la causalité pour le bien de ceux qui voulaient devenir bouddhas-pour-soi (7), et un nombre incommensurable d’êtres vivants a conçu le désir de l’ illumination…
Hommes de bien, vous devez comprendre qu’en ce sens, bien que mes prédications soient les mêmes, elles diffèrent dans leur signification. Parce que leur signification est différente, la compréhension des êtres vivants est différente. Et parce que leur compréhension est différente, les attributs qu’ils obtiennent, les fruits qu’ils obtiennent, les voies qu’ils obtiennent le sont également. »
Dans ce passage, le Bouddha affirme avoir tenu compte, jusque-là, des capacités de ceux qui l’écoutaient. Ainsi a-t-il donné aux auditeurs, bouddhas-pour-soi et bodhisattvas des enseignements et des pratiques adaptés à leur compréhension. Par la suite, dans la parabole de la maison en feu (8), il demande à ses disciples d’abandonner les trois véhicules pour le véhicule unique du Sûtra du Lotus. Pour autant, réfute-t-il tout ce qu’il a pu exposer auparavant, comme des enseignements provisoires désormais caducs ? Au contraire, il laisse entendre que, grâce à ceux-ci, des millions d’êtres ont conçu le désir d’illumination.
Dans la parabole de la maison en feu, le remplacement des trois véhicules par celui du Sûtra du Lotus a-t-il un sens inclusif ou exclusif ? Autrement dit, sont-ils englobés ou rejetés dans le véhicule unique ? Et dans ce dernier cas, faudrait-il que ses adeptes, y compris ceux qui suivent l’enseignement de Nichiren, abandonnent l’étude de la philosophie bouddhique à l’exception du seul Sûtra du Lotus ?
Zhanran expose à ce sujet, parmi les dix non-dualités, celle des enseignements théoriques et essentiels ou provisoires et définitifs, parce qu’ils sont tous nés de l’esprit du Bouddha ; non-dualité signifiant deux en apparence, mais pas deux dans la réalité absolue. Le Sûtra du Lotus insiste sur ce fait : si le Bouddha utilise des moyens opportuns dans son enseignement, il ne ment jamais. Comme par exemple dans le XVIe chapitre : « Il est semblable à un médecin expérimenté, qui emploierait un moyen opportun pour guérir ses enfants à l’esprit égaré. Il se fait passer pour mort, bien qu’il soit vivant, sans que quiconque puisse affirmer qu’il ait menti. » Par ailleurs, le Sûtra contient de nombreuses références à des concepts classés dans les enseignements provisoires. Il faudrait donc lui-même le rejeter également !
Pour Nichiren, les quatre vérités, la voie qui mène à la cessation de la souffrance, ainsi que tous les enseignements du Dharma sont inclus dans la récitation de Nam myoho renge kyo qui est la pratique essentielle des derniers jours de la Loi de Shakyamuni. Dans un sens plus large, nous pouvons ajouter à cette pratique l’étude et l’enseignement du bouddhisme, puisqu’il déclare à ce sujet EdN – 40 : « Exercez-vous dans les deux voies de la pratique et de l’étude. Sans pratique ni étude, il ne peut y avoir de Loi bouddhique » Quelle étude ? Lui-même ne nous a-t-il pas laissé des indices en citant des Sûtras et des concepts classés parmi les enseignements provisoires.

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Les cinq premiers disciples du Bouddha exprimant leurs respects à la Roue du Dhamma. Fragment d’un bas-relief moderne du parc des gazelles de Sârnâth. Photo CC BY-SA 4.0
Notes :

1 – Le Sûtra de la mise en mouvement de la roue du Dharma (skt Dhammacakkappavattana sutta) qui fut plus tard inclus dans le recueil en pali Samyutta nikaya.
2 – La naissance (skt jati) est décrite en tant que souffrance, parce que c’est elle qui nous donne accès à un monde de souffrance autant qu’elle est une brutale souffrance pour le bébé qui vient de quitter le ventre confortable de sa mère. En elle sont déjà contenus tous les malheurs de l’existence. Nous retrouvons le même mot sanskrit, jati, pour désigner la naissance dans les douze nidana.
3 – Le concept des cinq agrégats, avec son caractère provisoire, impermanent, va à l’encontre de la croyance en un soi absolu, une âme. Les agrégats d’attachement ou d’appropriation représentent notre attachement à ce qui est périssable chez nous-mêmes et chez les autres. Ils sont en cela une source de déceptions, de frustrations, de désespoir et de souffrances.
4 – Voir la vérité de l’existence temporaire.
5 – Ou encore, le noble octuple sentier (skt ashtangamarga, jap. hassho-do)
6 – Auditeurs (skt
shravaka), disciples qui recherchent l’Éveil de l’arhat au moyen du renoncement, de la discipline et la méditation. Symbolise également le septième des dix états de la vie. Le terme sanskrit arhat définit l’atteinte d’un état d’éveil incomplet, avec d’importantes nuances selon les écoles bouddhiques.
7 –
Bouddha-pour-soi (skt Pratyekabuddha), pratiquant qui a atteint le stade d’arhat par ses seuls efforts, sans l’enseignement d’un bouddha. Symbolise le huitième des dix états de la vie.
8 – Chapitre III du
Sûtra du Lotus, Analogies et paraboles.

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